Après deux semaine d’interruption, les Samedis Sandiens reprennent du servie, avec aujourd’hui un roman qui marque l’engagement de George Sand pour la cause du peuple. Ce roman naît de sa rencontre et de son amitié avec Agricol Perdiguier qui fit paraître, en 1839, le Livre du compagnonnage.
L’histoire se passe en 1823. Le comte de Villepreux engage le père Huguenin et son fils, Pierre, qui vient d’achever son tour de France de 4 ans, pour restaurer la chapelle de son château. Le père se blesse et Pierre demande alors à Amaury le Corinthien de l’aider dans les travaux de restauration. Dans la chapelle, un soir, Pierre découvre l’atelier de Mlle de Villepreux. Il parcourt ses livres, ses antiquités, ses objets d’art, et tombe en admiration devant cette jeune fille instruite.
Par ce roman, George Sand rend compte d’idées qui lui sont chères : la valorisation du peuple, et ici un peuple artiste à travers la confrérie des Compagnons. Elle décrit donc de façon assez précise le fonctionnement du Compagnonnage, les rivalités entre les différents corps de métier, les symboles, les légendes liés à cette confrérie. Pierre Huguenin incarne le parangon du Compagnon, jeune homme beau, instruit, philosophe et mu par l’idée égalitaire et républicaine, très proche de Pierre Leroux. Mais ce socialisme dix-neuvième siècle est aussi emprunt de religiosité, et Pierre apparaît souvent comme le messie, c’est que, comme l’a écrit Michèle Hecquet (Poétique de la parabole : les romans socialistes de George Sand 1840-1845), les romans socialistes de Sand relèvent de la parabole. Ainsi Pierre prône l’entente du peuple, persuadé que la cause du peuple ne peut être portée que par le peuple lui-même et non par les classes dirigeantes, c’est-à-dire la bourgeoisie ou l’ancienne aristocratie. Pierre est une figure tutélaire, autoritaire, mais aussi rassembleuse, il incarne avant tout une idée, plus qu’un personnage, et son prénom n’est sans doute pas une simple coïncidence. On pourra parfois trouver plus sympathique les défauts d’Amaury, ses erreurs, ses hésitations, mais Pierre, par sa grandeur d’âme, est bien l’incarnation de l’utopie sociale de George Sand.
Parallèlement, le roman rend compte de deux histoires d’amour : la première entre Pierre et Yseult, la seconde entre Amaury et Joséphine, la jeune cousine d’Yseult. Deux amours aussi différentes l’une que l’autre, le premier établi sur une entente philosophique et intellectuelle, le deuxième établi davantage sur la sensualité, avec toutes les conséquences que celle-ci peut entraîner. Pierre et Amaury, bien que compagnons, représentent deux orientations différentes et donc vivent leur amour sur le même mode. Comme 7 épées dans la première partie de La Ville Noire, Amaury veut réussir, faire sa place, tandis que Pierre a une vision altruiste et humaniste de son destin.
La figure du Comte de Villepreux est aussi intéressante. Il y a souvent dans les romans de George Sand ces figures patriarcales appartenant à l’ancienne aristocratie, pas nécessairement opposées au socialisme mais attachées encore à leur classe, et particulièrement sceptiques face à une république aux mains du peuple.
Ce roman n’est pas le plus simple de George Sand, mais il est intéressant dans sa description d’une confrérie, par les idées sociales qu’il véhicule, et également parce qu’il est particulièrement représentatif d’une période importante dans le parcours romanesque de George Sand : ses romans socialistes. Il ne faut pas être effrayé cependant car ce roman car il apporte un réel bonheur de lecture, et les intrigues amoureuses permettent d’insérer un peu de légèreté dans la narration.
Avec ce roman, George Sand marque l’ancrage politique du romantisme, un romantisme social tourné vers la cause du peuple, tel que Victor Hugo le développera également dans Les Misérables. George Sand montre que l’artisan est aussi un artiste du quotidien.
Je voudrais finir sur une anecdote personnelle. Il y a plusieurs années, alors que j’étais en DEUG de lettres, et encore loin de ma rencontre avec George Sand, j’ai donné pendant un an des cours de Français à des Compagnons du Tour de France dans une commune près de Grenoble. Dans la salle de cours, il y avait une vitrine dans laquelle était exposé un exemplaire du roman de George Sand. Ce roman eut un grand retentissement dans le monde du compagnonnage, et l’a encore aujourd’hui. Pour moi, cette étrange rencontre, m’apparaît aujourd’hui comme un premier signe de mon amour pour George Sand, comme un signe, l’un des premiers… car il y en eut plusieurs par la suite.
Billet écrit dans le cadre du Challenge George Sand , des Samedis Sandiens et du Challenge Romantique.