« Certaines n’avaient jamais vu la mer » Julie OTSUKA

otsuka certainesCe roman de la Rentrée Littéraire 2012 a été très remarqué lors de sa sortie, remportant même le Prix Fémina étranger cette même année. Dans la sélection du Prix du Club des Lectrices, je l’ai donc acheté ce week-end et lu dans la foulée sans même un petit arrêt dans la PAL !

L’histoire se déroule durant la première moitié du XXe siècle. Au début de ce siècle, plusieurs japonaises ont pris le bateau vers les États-Unis afin de rejoindre des hommes installés là-bas et avec lesquelles elles se sont mariées sur photo et lettres mensongères. Une fois arrivées aux USA, ces jeunes femmes, parfois à peine sortie de l’adolescence, vont vite comprendre qu’elles ont été trompées.

Le premier point intéressant de ce roman est de mettre en lumière un pan de l’histoire américaine peu connu. Tout d’abord cette malhonnêteté des mariages organisés, visant pour la plupart à faire venir de la main d’œuvre dans les fermes américaines sous couvert de mariage. Ensuite, Julie Otsuka évoque l’arrestation et l’internement des japonais durant la guerre du Pacifique. Elle raconte la suspicion, les dénonciations, les couvre-feux, entre autres.

Le second point remarquable tient à un choix narratif. Michel Butor dans La Modification avait choisi le « vous », ici Julie Otasuka use d’un « nous » collectif qui englobe ces Japonaises exilées, mais pas seulement, me semble-t-il. Car dire « nous » c’est inclure le « je » et ici en l’occurrence peut-être le « je » de l’auteur ou du moins, peut-être, un « je » qui relaie la voix d’une femme de sa famille. Quoiqu’il en soit il y a un investissement forcément personnel. Dans son précédent roman, Quand l’empereur était un Dieu, Julie Otsuka racontait déjà l’arrestation et l’internement des japonais résidant aux États-Unis au moment de l’attaque de Pearl-Harbor. Dans un entretien que j’ai trouvé sur le net, elle raconte que ses grands-parents et sa mère ont connu ces camps. Ce « nous » renvoie donc bien à son histoire personnelle.

Mais ce « nous » semble également renvoyer au lecteur lui-même. Lire « nous » c’est aussi lire « je » et je vois dans le choix particulier de ce pronom une volonté ou du moins un désir fort d’inclure le lecteur, de le rendre peut-être plus concerné par ce que raconte ce roman. Ainsi s’adresse-t-elle peut-être plus largement à tous ceux qui ont connu l’exil, le choc de la découverte d’une nouvelle culture, et sans doute aussi, le rejet d’une population autochtone, mais je dirais même plus, pour moi ce « nous » est évidemment un « nous », et donc un « je », féminin. Par l’emploi de ce « nous », l’auteur parle à toutes les femmes quelle que soit leur nationalité, à ces femmes qui ont subi le joug marital, les grossesses à répétition, la mort des enfants, celles dont l’innocence a été trompée, celles qui ont subi des rapports sexuels non voulus, ces femmes vivant dans un monde d’hommes dans lequel il a bien fallu exister. Ce « nous » c’est un « nous » féminin qui rassemble non seulement ces femmes japonaises, mais plus largement toutes les femmes. Et le destin de ces japonaises, énoncé sous forme de listes, parfois un peu trop redondantes, montre bien tous les destins possibles, même si, c’est vrai, la plupart des destins est plutôt assez sombre.

Mais le « nous » n’est pas seulement le « nous » des Japonaises, car dans le dernier chapitre du roman, le « nous » est alors américain. Ce double « nous », et donc ce double « je », renvoie sans doute aussi à cette double nationalité de l’auteur d’origine japonaise mais vivant depuis sa naissance aux États-Unis et assumant cette appartenance américaine.

Ensuite on peut discuter sur le traitement, l’emploi de ce nous. En effet, se pose quand même un problème stylistique qui conduit à trouver des astuces qui ont vite fait de devenir trop répétitives : certaines d’entre nous ; certaines qui ; l’une des nôtres ; l’une d’entre nous ; certaines des nôtres ; beaucoup d’entre nous, voici par exemple ce que l’on peut trouver dans une seule page. A cela s’ajoute une tendance à lister les destins à chaque chapitre. Certes cela permet de montrer ce que ces différentes femmes ont vécu, d’éviter une généralisation des destins, mais le procédé se répétant à chaque chapitre, il finit par devenir lassant.

Toutefois, Certaines n’avait jamais vu la mer est un roman à découvrir et pour ma part j’ai très envie à présent de lire son premier roman qui finalement peut apparaître comme une suite de celui-ci.

Roman lu dans le cadre du Prix des Lectrices, du Challenge A tous prix,(un peu en avance, mais juste un jour!) du Challenge US et Challenge Romancières Américaines.

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48 Commentaires

  1. Ton analyse est remarquable. En lisant le roman je n’avais absolument pas envisagé toutes les facettes que pouvaient revêtir ce « nous »; A vrai dire je m’étais plus attachée à la valeur lyrique de cette première personne du pluriel : les poètes en font souvent usage pour retranscrire un dialogue entre leur âme et eux-mêmes. J’y avais donc vu l’ajout d’un autre procédé poétique à l’intérieur de ce roman aussi émouvant qu’un poème. Mais ce billet m’a ouvert d’autres pistes de compréhension du livre. Tu fais preuve d’une belle sensibilité littéraire !

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  2. Je viens de le finir. J’avoue partagé ton avis.
    Je suis très déçue du livre. Mais je vais lire tout de même le premier ouvrage.

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  3. je viens de le finir et j’ai beaucoup aimé!

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  4. Je viens de finir son 1er roman que j’ai beaucoup aimé. L’as-tu lu ?

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à vous....