« Qui se souvient de Paula ? » Romain SLOCOMBE

slocombe PaulaOn pourrait se dire encore un roman sur la déportation des juifs pendant la Seconde Guerre Mondiale ; on pourrait éviter ce roman pour ado à cause de son sujet si pénible, si difficile ; on pourrait préférer un roman plus « facile », plus « divertissement », qui remue moins les tripes et qui passe sur nous comme une légère brise sans laisser aucune empreinte… mais on aurait tort et on passerait à côté d’un roman magnifique.

Dès l’ouverture du roman, vous allez vous prendre un énorme coup de poing dans la figure, autant être prévenu. Un coup poing qui va vous révolter, vous remuer les tripes, qui va faire resurgir en vous des angoisses, des peurs que, pourtant, vous n’avez pas connues, mais qui sommeillent en tout être humain.

Le roman de Romain Slocombe s’ouvre sur le texte de la circulaire n°173-42 du 13 juillet 1942, signée par le directeur de la Police Municipale de Paris, Emile Hennequin. Cette circulaire, froide, administrative dans son sens le plus affreux, explique comment se déroulera la rafle du Vélodrome d’hiver du 16 et 17 juillet 1942 dans Paris et la Région parisienne. Tout y est décrit par le menu : le nombre de policiers et de cars, les tranches d’âge des futurs interpelés, leur nationalité, leur répartition entre Drancy et le Vél’ d’hiv’, l’heure des interventions. C’est une violence de la pire espèce, car froide et déshumanisée.

Au document historique, suit une lettre, celle de Paula Karlinski, étudiante en prépa à la Sorbonne, juive, fille d’un peintre reconnu. A la froideur de la circulaire succède une lettre dans laquelle on entend une voix douce, gaie, jeune, pleine d’espoir, une lettre destinée à son amoureux, Jacques Masaran, parti à Londres avec ses parents, tandis que Paula, sa mère et son petit frère se sont installés en zone libre, dans le Sud de la France. Paula raconte comment elle a échappé à la rafle du 16 juillet, comment elle est parvenue à rejoindre sa mère et son petit frère à Lyon.

Le roman est composé en trois parties : 1. La lettre de Paula en novembre 1942 ; 2. Le Retour, récit à la 3ème qui raconte le retour de Paula à Paris en janvier 1943 pour retrouver son père dont elle est sans nouvelles ; 3. Le Lac, juillet 1997, la quête de Jacques Masaran pour savoir ce qu’il est advenu de Paula.

Trois temps reliés par le destin de Paula, un destin particulier pris dans les affres de la grande Histoire. Documenté, précis, Roman Slocombe fait revivre ces années terribles avec les bassesses, les actes de courage, les trahisons, les remords. Paris sous l’occupation apparaît sombre, pluvieux, sinistre, la peur et la suspicion rodent. A la suite de Paula, nous arpentons tous les quartiers de Paris, faisant nôtres les angoisses, les peurs de Paula. Les destins se croisent, se séparent, se retrouvent, ne se retrouvent pas. Chacun craint pour sa propre vie, mais aussi pour la vie des siens. Difficile de s’imaginer aujourd’hui l’angoisse que pouvait provoquer l’absence de nouvelles des personnes que nous aimons dans une période où la mort était partout en planque. Le destin de Paula est recomposé comme un puzzle, chaque pièce apportant un élément nouveau, destin soumis aux rencontres heureuses, celles qui lui ont permis d’échapper aux SS, à la police française et les autres, les rencontres malheureuses. L’horreur aussi de ceux qui y ont échappé aux dépens des autres. La vie de ces personnes semblait alors soumise aux coups du hasard : dire la bonne phrase, être au bon endroit au bon moment, sentir le danger pour l’éviter, ou pas.

Et au milieu de tout ce marasme, la figure de Paula nous apparaît fragile et forte à la fois, elle a l’espérance de la jeunesse, l’incrédulité devant ce qui se trame. C’est un roman magnifique qui rappelle bien sûr, comment ne pas y penser, le journal d’Anne Frank, et qui rend aussi hommage à toutes ces jeunes filles dont la vie a basculé dans l’enfer. Mais au-delà de l’aspect hommage, ce roman est magnifique par sa composition, son agencement, ses descriptions si précises, ses suggestions qui en disent long, ses personnages qui nous deviennent si proches et cette façon de faire revivre une époque historique précisant les implications de chacun, les responsables politiques, mais aussi les particuliers qui ont oeuvré la mort de centaine de milliers d’autres.

Alors oui, ce n’est pas un roman « divertissant », oui, vous allez être remués au plus profond de vous même, mais il serait bien dommage de ne pas lire ce roman et de renvoyer Paula à son anonymat, car moi, je me souviendrai longtemps de Paula Karlinski.

Roman lu dans le cadre du Challenge Paris.

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Merci aux Éditions Syros.

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38 Commentaires

  1. Je le note pour plus tard, j’ai déjà dans ma pal plusieurs romans qui ont pour toile de fond la 2e guerre mondiale mais vu ton billet élogieux je n’ai pas envie de passer à côté. Bon week – end !

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  2. Je le note également car c’est une période de l’histoire m’intéresse énormément.

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  3. Un magnifique billet pour ce roman qui me semble faire écho avec celui de Tatiana de Rosnay, « Elle s’appelait Sarah ». Je ne sais pas quelle sera la destinée finale de Paula, mais rien qu’en lisant ta chronique j’avais peur pour elle et je craignais le pire… J’aime beaucoup quand quelqu’un de notre époque raconte celle de Paula ou cherche à savoir ce qu’il est advenu d’un de ses proches… Je le note donc dans mes tablettes!

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    • Ce que j’ai aimé aussi c’est cette composition en trois parties de style différent, en trois points de vue qui donne une autre résonance aux évènements.

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  4. Le thème m’intéresse ! Comment passer à côté après avoir lu ton billet élogieux ??

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  5. Romain Slocombe écrit de bouleversants romans sur cette période. Celui-ci ne pouvait donc qu’être très bon.

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  6. Étrange comme ta lecture en résonance avec celle que j’ai fini hier, sur la déportation des homosexuels allemands !
    Je note le titre de ce livre.

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  7. Je le note mais je ne le lirai pas maintenant. Je n’ai pas envie de ça mais je ne peux passer à côté, c’est clair 😉
    Bon week-end bises 😀

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  8. Ton enthousiasme fait plaisir ! Pas trop envie en ce moment mais je sais que vers octobre-novembre je m’y remets à ces lectures de guerres ou de batailles, donc je le note !

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  9. ton billet me rappelle « Elle s’appelait Sarah », qui m’a bouleversé..;ce qui est rare en ce qui me concerne ! Tu l’as lu ?
    un sujet dur pour de la littérature jeunesse mais nécessaire pour en jamais oublier !

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  10. Je note ce titre, de circonstance car je vais prochainement au Mont Mouchet … et puis mon fils le lira quand il sera grand.

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  11. C’est l’époque que je ne lis pratiquement jamais. Difficile à expliquer.

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  12. C’est fabuleux que des livres jeunesse comme celui là existent (qui n’a pas été marqué à vie par le journal d’Anne Franck?), parce que comme dit Valou, il ne faut surtout pas oublier, mais j’ai de plus en plus de mal à lire des choses sur la Seconde Guerre Mondiale, surtout vu du côté des victimes. C’est trop, émotionnellement parlant, trop d’arbitraire, trop d’injustice sans motif, trop douloureux.
    Je l’offrirais bien à des jeunes autour de moi mais je vais pour ma part m’abstenir, au moins pour le moment.

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    • Moi aussi, comme je le disais plus haut dans un commentaire, j’ai souvent du mal et plus encore depuis que j’ai des enfants, je crois que comme tu le dis c’est tellement injuste qu’on ne peut s’y faire. Et puis il est facile aussi pour les auteurs ou les réalisateurs de tomber dans la sensiblerie ou dans le tire larmes, et c’est ce que j’ai apprécié dans ce roman, il évite cet écueil parce que, sur un sujet comme celui-ci il n’est pas besoin d’en rajouter.
      Si j’étais prof en collège, je le ferais lire à mes élèves.

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  13. Je vais lire ce livre. Merci pour cette référence et votre bel article qui exprime des émotions sincères. Bon dimanche.

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  14. De toute façon, on ne lit pas toujours pour se distraire. Alors je retiens celui-là.

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  15. Après avoir vu hier « Elle s’appelait Sarah » voilà qui apporte encore de l’eau au moulin du devoir de mémoire.

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    • Je n’ai pas vu le film, en fait j’évite les films sur le sujet et surtout quand il est question d’enfants, trop difficile, c’est pour cela aussi que j’appréhendais un peu la lecture du roman de Slocombe, mais il est sans sensiblerie inutile et avec aussi une certaine pudeur, même si les choses sont clairement dites.

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  16. Laurence (Lolotte)

     /  avril 15, 2013

    Je note … J’ai lu en janvier Monsieur le commandant du même auteur et comme tu le dis au début de ton billet, c’est un coup de poing également (sur le même sujet d’ailleurs).

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  17. J’aime beaucoup cette période en littérature, merci pour ton billet enthousiaste qui donne envie, je note le titre et l’auteur et je l’ajoute à ma liste.

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  18. Je ne connaissais pas ce roman mais j’ai une réelle attirance pour cette sombre période de l’histoire. Beau billet en tout cas !

    Je le note pour plus tard !

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  19. duperray

     /  avril 26, 2013

    Je venais de lire un livre jeunesse sur la dictature argentine de Christophe Leon et l’histoire de Paula raconte la même histoire terrible des enfances malmenée …Je le passerai à mon fils d’ici quelque temps..

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à vous....