« Les Hauts de Hurlevent » Emily BRONTË (Mois Anglais #6 )

brontë HurleventPour ce Mois Anglais, il m’est venu l’envie de relire Les Hauts de Hurlevent*, lu dans ma jeune adolescence quand je découvrais les romans des soeurs Brontë et ceux de Daphnée Du Maurier. Je gardais le souvenir d’une intrigue entremêlée, mais aussi des images très précises de landes, de vent et de tempêtes et bien sûr de Heathcliff et Catherine. Cette relecture fut presque une redécouverte.

L’intrigue débute en 1801. Mr Lockwood, locataire de Heathcliff, vient prendre possession du Manoir de la Grive. Il arrive à Hurlevent par un temps neigeux qui rend les chemins impraticables. Dans cette maison sombre et peu accueillante, les habitants sont patibulaires et bien peu hospitaliers, en premier lieu Heathcliff :

Il a la mine d’un gitan au teint basané, avec les mises et les manières d’un homme distingué (p.42).

Lockwood est fortement impressionné et Ellen Dean, gouvernante mise à son service, accepte de lui raconter l’histoire tumultueuse des Earnshaw, Linton et Heathcliff. Le roman est donc une narration rétrospective menée par Ellen Dean avec quelques incursions dans le présent de narration.

Heathcliff fut donc recueilli enfant par Mr Earnshaw, père de Catherine et Hindley. Sorti de nulle part, Hearthcliff apparaît comme un enfant sauvage, voire violent, violence qui sera exacerbée par les traitements qu’il subit après la mort de Mr Earnshaw. Mais un lien particulier se noue entre l’enfant et la jeune Catherine, une sorte de compréhension mutuelle, jusqu’au jour où Catherine, après un séjour de plusieurs mois chez leurs voisins, les Lintons, revient au Manoir changée d’avoir côtoyé Edgar et Isabelle, deux jeunes gens bien élevés et raffinés.

Ce qui m’a frappé, dès les premières pages tournées, est la noirceur qui règne dans ce roman. La figure d’Heathcliff, son âme sombre et son caractère sauvage, jettent une ombre sur le roman. Cette âme que l’on pourrait dire diabolique possède une puissance qui semble inexpugnable et à laquelle tout le monde est obligé de se soumettre, capable même d’abêtir les autres habitants de Hurlevent.

Or, il me semble que tout est là dans ce roman : la puissance du mal capable de nier la culture pour faire valoir l’aspect animal de l’homme. En cela le personnage de Hareton Earnshaw en est une parfaite illustration. Heathcliff s’est employé à le rabaisser, à en faire un être soumis. Mais Cathy, fille de Catherine et d’Edgar, subira aussi cette influence, même si son intelligence, sa force de caractère lui permettront une certaine résistance. Il est bien évident que le mystère des origines d’Heathcliff laisse la place à toutes les suppositions les plus sombres. Etre malfaisant, Heathcliff punit violemment, frappe, est particulièrement irascible. Ce caractère peut s’expliquer bien sûr par ce qu’il subit enfant de la part de Hindley, frère de Catherine, puis par la « trahison » de Catherine qui épouse le palot Edgar Linton, mais sa nature profonde semble avoir été cependant un terreau très fertile.

Le refus de la culture est symbolisé par le bannissement de la lecture : Mr Heathcliff ne lit jamais ; si bien qu’il s’est mis en tête de détruire mes livres (p.356). De même, Hareton, créature d’Heathcliff, est maintenu dans son alphabétisme.

Ce qui est intéressant aussi est de constater que la branche noble, celle des Linton apparaît comme une branche qui s’éteint. Le personnage de Catherine est un figure plus difficile à saisir, je trouve. Elle ne m’apparaît pas nécessairement très empathique. Son caractère emportée, partagée entre son attirance par Heathcliff mais aussi sa méfiance en fait un être difficile à cerner. Son mariage avec Linton est un mariage raté, mais sans doute inévitable puisqu’un mariage avec Heathcliff semble totalement improbable. J’ai nettement préféré le caractère de sa fille, Cathy, qui incarne à la fois la force de sa mère et le raffinement de son père.

Au delà de ce thème, le romantisme apparaît comme l’autre thème majeur de ce roman.

hauts de hurlevent tableauLe roman paraît en 1847, en pleine période romantique donc, mais un romantisme anglais, noir voire gothique. On pourrait parler de clichés aujourd’hui, tant les schèmes sont présents : la nature tourmentée, l’amour impossible et passionnel, les spectres, les visites nocturnes dans les cimetières voire l’ouverture des caveaux : profaner les tombes pour retrouver l’être aimé est un acte que l’on retrouve aussi dans la littérature française et notamment dans la biographie de George Sand dans laquelle elle raconte comment sa mère avait supplié son père de déterrer le cercueil de leur fils pour s’assurer de sa mort, la crainte d’avoir enterré vivant un être est très forte à l’époque, et a d’ailleurs inspiré Dumas dans Pauline.

Heathcliff est bien sûr la figure centrale de ce roman alors même qu’il en est le personnage le plus détestable. Emily Brontë a l’extravagance de créer un personnage absolument non-empathique, le pire qui soit. Elle montre comment, petit à petit, il finit par contaminer tous les êtres qui l’entourent. Au fil des années, il tisse une toile dans laquelle il va enfermer tous les personnages du roman. Emily Brontë dénonce également par ce personnage la toute puissance de l’homme, le maître qui, tout en respectant les lois,  use d’un pouvoir despotique sur toute sa maison. Les femmes et les enfants en sont les premières victimes, et si Emily est  moins explicitement féministe que sa soeur Anne dans La Dame du Manoir de Wildfell Hallon sent cependant la volonté de dénoncer une situation réelle à l’époque : la mise sous tutelle des femmes, incarnée par Cathy. Car seule la mort du despote permettra aux habitants de Hurlevent de retrouver une vie normale.

Il y aurait encore beaucoup à dire sur ce roman qu’il serait dommage de résumer à sa noirceur. La figure d’Ellen Dean par exemple est un personnage essentiel, narratrice à la fois actrice et témoin du drame qui se noue, elle garde la lucidité qui lui permet un récit distancié et en même temps précis.

Inutile de vous dire que cette lecture fut un réel bonheur et une vraie redécouverte.

Lu dans le cadre du Mois Anglais, du Challenge XIXe , du Challenge un classique par mois et  du Challenge Victorien.

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et plan ORSEC 2014 :

PAL Orsec 2014

*Bien que mon exemplaire porte un titre différent, je choisis celui-ci pour mon billet, parce que Hurlevent les monts, ne me séduit pas beaucoup.

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40 Commentaires

  1. Je n’ai pas été emballée par ce roman, même si je suis contente d’avoir approfondi ma culture littéraire anglaise, mais cette noirceur m’a parue un peu longue à la fin. Heureusement qu’il y a le personnage de Nelly sinon, on pourrait penser que tout le monde est foncièrement mauvais ou faible (car les personnages sont un peu catégorisés ainsi, non?)

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    • C’est incontestablement noir, ça c’est sûr, je suis d’accord. Ce qui m’a un peu gênée c’est le revirement de Heathcliff que je trouve un peu trop soudain. Pour les personnages catégorisés, je les ai vus comme tous sous l’influence de Heathcliff et pour moi il incarne le mal.

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  2. devenirecrivain

     /  juin 30, 2014

    Je n’ai pas lu ce roman. J’en ai souvent entendu parler. Un de ces jours, il faut que je me lance !

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  3. Pas encore lu mais je le lirai bien que le romantisme ne fasse pas partie de mes préférences

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    • Si tu n’aimes pas beaucoup le romantisme ça va être compliqué car comme je le dis dans mon billet on en trouve tous les thèmes, mais ça reste un incontournable de la littérature anglaise. Il est possible que l’on soit plus sensible à ce roman au moment de l’adolescence.

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  4. Comme toi lu lorsque j’étais ado et comme toi relu récemment. Je garde une préférence pour Jane Eyre, qui porte plus d’espoir dans le récit et un personnage qui refuse de se résigner. Mais Les Hauts de Hurlevent sont impressionnants dans l’écriture et la noirceur pour une si jeune femme à cette époque. Un incontournable !

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    • Je me réponds à moi-même parce que j’ai repensé à ton billet en allant au boulot. C’est vrai qu’Anne et Emily dénoncent toutes deux le despotisme des hommes. Mais je trouvais le récit d’Anne dans « La dame du Manoir de Wildfell Hall » emprunt de religieux, alors qu’Emily a un côté beaucoup plus païen.
      Encore une fois, ma préférence à Charlotte qui, je trouve, équilibre bien les deux facettes des romans de ses soeurs 🙂

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      • Le côté religieux dans « la dame… » ne m’a pas frappée plus que ça, mais je suis d’accord avec ton parallèle entre les deux soeurs ! Il me faut relire Jane Eyre maintenant 😉 !

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    • rose

       /  mars 12, 2016

      il faut dire que jane Eyre es mon livre de chevet , les hauts de hurle vents es plus noir plus sombre on y retrouve bien la nature torturé d’Emily , et celle plus romantique dans Jane Eyre de Charlotte

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  5. Lu lorsque j’étais ado, je le relirai bien.

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  6. Ce qui m’a frappé lorsque je l’ai relu est la noirceur absolue d’Heathcliff, comment une si jeune femme a-t-elle pu l’inventer ? C’est vraiment un roman sublime et totalement à part dans la littérature anglaise. Il reste mon préféré des sœurs Brontë.

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  7. J’adore les oeuvres des soeurs Brontë et jusqu’à présent j’ai lu 2 fois « Les hauts de Hurlevent », la première en étant jeune et la deuxième un peu plus tard et en anglais (et c’est coton !).
    Ce roman est effectivement très noir, il est même marquant pour cet aspect et limite pousserait aux cauchemars, par contre je ne partage pas complètement le point de vue sur la noirceur du personnage de Heathcliff. De façon générale tous les personnages sont plus ou moins noirs, hormis Cathy qui pourrait être vue comme une rédemption des différents personnages. Catherine est loin d’être innocente comme l’agneau, elle est même méchante y compris dans sa relation avec Heathcliff, et à mon sens, si ce dernier est aussi sombre cela vient de la façon dont il a été traité sa vie durant. Il a une revanche à prendre sur la vie et c’est ce qu’il fait en soumettant tous les êtres qui l’approchent de près ou de loin, au final il n’y trouvera ni bonheur ni satisfaction et basculera dans la folie.
    C’est du romantisme sombre, quant à la part de féminisme, elle est marquée dans le roman mais moins que dans les autres oeuvres de la famille.
    A ce jour l’exemple le plus parlant est « Jane Eyre », follement révolutionnaire pour son époque sur ce thème.
    Pour finir, il existe une adaptation cinématographique récente d’Andrea Arnold qui appuie sur la noirceur du livre, le résultat est dépouillé et violent à l’image.
    Et pour la note musicale, Kate Bush of course !

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    • Que Heathcliff prennne sa revanche, je suis d’accord, c’est évident, mais il a quand même une attitude pathologique, extrême et les réf. dans le texte (métaphores etc.) tendent vers une vision diabolique du personnage. Pour Catherine, je suis d’accord avec toi et d’ailleurs comme je le disais j’ai du mal à la cerner.
      Enfin il faut que je relise Jane Eyre, lu dans mon adolescence !

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  8. Qu’est ce que j’aime ce livre!

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  9. Je l’ai également lu au tout début de l’adolescence, en 6ème, juste après ma première révélation littéraire qu’a été « Jane Eyre », et j’avais ADORE! Ces deux livres ont été pour moi le déclencheur de ma passion pour la littérature. Je suis justement entrain de relire avec délectation « Jane Eyre ». J’avais tellement aimé à l’époque que j’ai très longtemps hésité à les relire de peur que ma vision d’adulte ne gâche ce souvenir. L’occasion m’a été donné avec « Jane Eyre » par le biais de mon club de lecture et vu que je ne suis absolument pas déçue je vais donc aussi relire « Les hauts de Hurlevent »…

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  10. sa noirceur me faisait frémir aussi… j’ai adoré découvrir ce roman il y a deux ans. ton billet me rappelle cette lecture exceptionnelle 😉

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  11. valmleslivres

     /  juin 30, 2014

    J’ai vraiment du mal avec ce titre. Et grâce à la discussion FB, j’ai compris pourquoi il avait été changé.

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  12. Laurence (Lolotte)

     /  juin 30, 2014

    Je n’ai pas eu le courage de le relire mais dernièrement je l’ai écouté en audio livre, un vrai bonheur ! Quelle noirceur tu as raison, mais quelle richesse dans tous ces personnages, relire des classiques de temps en temps, ça a quand même du bon !!!

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  13. Ta critique est très intéressante et plus « poussée » que beaucoup de critiques! j’aime beaucoup ce roman, notamment pour cette atmosphère « noire » et dramatique mais presque poétique…

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  14. novelenn

     /  juillet 1, 2014

    Un roman très sombre, des personnages torturés.
    Sublime dans sa noirceur.
    La prochaine fois, je tenterais en VO ! 🙂

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  15. Nous avions beaucoup aimé ce livre.

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  16. Je ne l’ai pas encore lu, il est pourtant dans ma liste à lire!!

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  17. chaplum2

     /  juillet 5, 2014

    J’avoue que j’avais eu un peu de mal avec l’écriture de Charlotte Bronté alors que l’histoire m’avait plu.

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  18. Super critique ! Je l’ai lu il n’y a pas longtemps (dans le cadre du challenge de Bianca) et je l’ai malheureusement résumé à sa noirceur … en fait, j’ai eu du mal avec ce livre.

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  19. Je l’ai lu il y a peu ! Un pur bonheur ! Idem avec Jane Eyre que j’ai lu dans le cadre de mon club de lecture ! Pourquoi ai-je attendu si longtemps avant des les lire ?!

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  20. Merci pour cette critique fouillée
    Je l’ai relu avec mon Club de lecture il y a peu , et l’enchantement initial n’était pas au rendez-vous…
    Quand on y pense , c’est étonnant en effet de bâtir un livre sur une figure aussi toxique…
    En général, on adore quand on a une quinzaine d’années , typiquement…
    ensuite c’est peut-être un peu plus aléatoire 😉

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à vous....