« Tyrannicide » Giulio MINGHINI – Rentrée Littéraire 2013.

minghini tyrannicideLes Éditions NiL ont une collection que j’apprécie beaucoup : Les affranchis. Cette collection publie des textes souvent assez courts sous la forme de lettre dédiée. J’avais lu celle d’Annie Ernaux à sa sœur disparue : L’autre fille. Dans Tyrannicide, l’expéditeur destine sa lettre à Philippe Sollers, directeur de la collection « Blanche » chez Gallimard, mais en s’adressant à Sollers, il s’adresse aussi à l’auteur. Dans cette lettre, l’expéditeur répond à une lettre de refus de son manuscrit.

Cela fait six fois qu’il remanie et envoie son manuscrit à la Blanche. Il s’obstine à vouloir être édité uniquement dans cette édition et recherche l’aval de Sollers qui sans cesse le lui refuse. Tout en revenant sur le pourquoi et le comment de son roman, il s’en prend de plus en plus à Philippe Sollers lui-même.

Force m’est de constater que votre réputation de mandarin égocentrique des lettres françaises n’est pas usurpée, Philippe Sollers. (p.19).

Entre besoin de reconnaissance et rancœur, l’expéditeur apparaît, au fil des pages, de plus en plus étrange et laisse percevoir une personnalité pour le moins particulière. Au début du texte, on est du côté de l’expéditeur contre un Philippe Sollers que l’on connaît soi-même comme assez hautain et esthète, et les griefs qu’il reproche à l’auteur reconnu nous paraissent justifiés. Mais la force de ce texte est que nous plongeons de plus en plus dans la personnalité de l’auteur refusé : est-il vraiment incompris ou est-il réellement un mauvais auteur ?

Ce texte peut apparaître comme une critique de l’édition relatant les aléas d’un auteur anonyme tentant d’obtenir le fameux sésame, il peut être aussi une critique des maisons d’édition ayant pignon sur rue, dirigées par des hommes ayant la carte du petit monde germanopratin. Et en effet, il y a de cela dans ce texte. Mais la grande originalité de Giulio Minghini est qu’il manipule son lecteur et que les deux personnages de son livre ne sont ni tout blancs ni tout noirs. Petit à petit, on finit par se dire que les refus de Phillippe Sollers ne sont peut-être pas si infondés que cela et finalement on commence à penser que Giulio Minghini opère ici une critique de tous ces pseudo-auteurs, sûrs de leur talent méconnu et qui, à force de refus, en deviennent aigris : Je suis navré que vous n’ayez pas perçu son potentiel cinématographique. Navré pour vous, j’entends. Vous manquez drôlement de flair, Monsieur Sollers. (p.62).

L’obstination du l’expéditeur d’être publié dans la Blanche est aussi une volonté d’être reconnu par Philippe Sollers lui-même. Plus que la volonté d’être édité, il me semble que cet auteur refusé cherche avant tout à être apprécié de l’auteur reconnu auquel il voue une admiration qui vire à la haine. Il a beau rappeler les erreurs passées de Gallimard qui refusa Marcel Proust (et donc s’assimiler à ce dernier), cet être à la vie déprimante et petite, court après une reconnaissance littéraire qui cache une reconnaissance personnelle, d’autant que ses manuscrits s’inspirent de sa propre existence.

Un texte qui déstabilise puisqu’il n’est pas ce qu’il laisse supposer, mais un texte intéressant cependant qui conduit à nous interroger. Reste à savoir ce que Philippe Sollers pense de tout cela !

Livre lu dans le cadre du Challenge 1% Rentrée Littéraire 2013.

challenge 1% littéraire 2013

Poster un commentaire

23 Commentaires

  1. Amusant cet exercice littéraire ! Il y a un texte qui ressemble à cela, par Yann Moix, dans le recueil « La malle », chez Gallimard, que je suis en train de lire. Sinon dans cette collection, j’ai adoré « Vincennes ». Annie Ernaux, j’en ai marre avouerai-je…

    Réponse
    • Je ne connais pas ce texte de Moix, à voir ! Le texte d’Annie Ernaux m’a beaucoup plu, j’aime sa façon d’analyser les choses et le sujet en lui-même m’intéressait beaucoup.

      Réponse
  2. C’est sûr que je n’ai aucune envie de lire le roman de Gérard Joyau !!! On comprend que Gallimard l’ait refusé ! J’ai beaucoup apprécié ce court texte qui joue sur les archétypes et qui est assez désopilant.

    Réponse
  3. Et nous n’avons toujours pas la réponse à notre question : qu’en pense Philippe Sollers ? Tu en parles très bien ! 😉

    Réponse
  4. J’ai envie de découvrir ce livre… Belle journée

    Réponse
  5. sollers

     /  octobre 21, 2013

    Sollers en pense sûrement qu’il n’est pas directeur de la collection « blanche » mais de « l’infini ».

    Réponse
  6. Déstabilisant est effectivement le mot !

    Réponse
  7. Surprenant et bien mystérieux !!!

    Réponse
  8. Une idée intéressante, même si je n’aime pas le principe de parler nominalement de quelqu’un comme cela …

    Réponse
  9. Et voici ma chronique de Tyrannicide. Ai beaucoup aimé pour d’autres raisons que Philippe Sollers, pour le noeud Oedipien. Astrid.
    http://laisseparlerlesfilles.wordpress.com/2013/10/26/rentree-litteraire-2013-tyrannicide-de-giulio-minghini-les-illusions-perdues-de-lhomme-qui-voulut-etre-ecrivain/

    Réponse
  10. C’est le deuxième billet que je lis sur ce récit. Je l’ai noté pour un prochain achat.

    Réponse
  11. Je l’avais vu chez Aspho, et l’idée de la collection m’enthousiasme complètement, j’avais déjà très envie de le lire, mais ton billet enfonce le clou (c’est tout ce que j’aime le critique du milieu éditorial et l’écrivain raté)…je l’ai mis sur ma liste de cadeau de Noël!!

    Réponse

à vous....