« On ne badine pas avec l’amour » d’Alfred de MUSSET

Musset on ne badine pasQuand on prend le pseudo George en référence à George Sand, on a forcément une certaine tendresse pour Alfred de Musset, tendresse qui pousse parfois même à baptiser son chat de ce prénom.

Hier après-midi, j’ai voulu me rafraîchir la mémoire et j’ai repris mon vieil exemplaire rassemblant les pièces les plus célèbres de Musset. Ce pauvre exemplaire présente les défauts des GF Flammarion, la colle sèche et la tranche a lamentablement craqué, du coup les pages se séparent. Le temps a aussi son effet sur les livres.

Alfred de Musset écrit On ne badine pas avec l’amour en 1834, de retour de Venise et après sa rupture avec George Sand. L’écriture de cette pièce est mue par une commande de Buloz, directeur de la célèbre Revue des deux mondes. Musset n’est guère enthousiaste, mais il l’écrit en deux mois avant de se lancer dans la rédaction de La Confession d’un enfant du siècle.

Alfred de Musset appartient à la deuxième génération romantique, celle qui commence vers 1830 et dont George Sand fait également partie. Il est romantique dans l’âme et influencé, pour le théâtre, par les préceptes de Victor Hugo sur le drame romantique.

Pour parler d’une pièce de Musset, il est un peu nécessaire de se replacer dans le contexte. Victor Hugo dans sa préface à Cromwell (1827) et Stendhal, avant lui en 1823, dans Racine et Shakespeare, en avaient posé les principes. Comme à chaque changement d’époque, la littérature évolue. Le drame romantique veut donc rompre essentiellement avec le carcan des règles classiques : volonté de réalisme, personnages ambivalents et originaux, mélange des tons (comique, tragique, drame) et prose. Musset est sans doute celui qui a le plus suivi les préceptes du drame romantique et cette pièce, et plus encore Lorenzaccio écrite en 1833, y répond assez fidèlement. Musset a donc largement contribué à l’éclosion du drame romantique sur la scène du théâtre des années 30.

A une époque indéterminée, Perdican revient dans le domaine de son père après des études de droit qu’il a suivies à Paris. Le voilà érudit. Parallèlement, sa cousine, Camille, vient de sortir du couvent et se rend également chez le baron pour récupérer l’héritage de sa mère. Les deux jeunes gens se revoient donc après avoir été séparés quelques années. Le baron, père de Perdican, est bien décidé à les marier. Depuis leur enfance, Perdican et Camille étaient promis à ce mariage, mais l’attitude froide de Camille, devenue dévote accomplie, semble remettre en question leur union. Si Perdican semble nostalgique de ce temps de l’enfance innocente, Camille donne l’impression de l’avoir oublié. Entre eux va donc s’engager un jeu dangereux dont Rosette, la soeur de lait de Camille, va en être la principale victime.

Sa rupture avec George Sand va fortement marquer l’œuvre d’Alfred de Musset : dans ses poèmes (6 poèmes lui sont explicitement dédiés), dans son œuvre romanesque (La Confession d’un enfant du siècle) et bien sûr dans ses pièces de théâtre. Leur passion alimentée par de nombreuses lettres va donc nourrir l’œuvre, ce qui est aussi le cas pour George Sand, mais sans doute avait-elle une plus forte capacité à se remettre. Je ne reviendrai pas sur les rebondissements divers de cette liaison qui fut bien tumultueuse. Quoiqu’il en soit, dans l’œuvre de Musset, George Sand apparaît souvent comme une femme froide, hautaine, qui a oublié leur amour, comme en témoigne ces vers :

Toi qui me l’as appris, tu ne t’en souviens plus
De tout ce que mon coeur renfermait de tendresse,
Quand, dans nuit profonde, ô ma belle maîtresse,
Je venais en pleurant tomber dans tes bras nus !

La mémoire en est morte, un jour te l’a ravie
Et cet amour si doux, qui faisait sur la vie
Glisser dans un baiser nos deux cœurs confondus,
Toi qui me l’as appris, tu ne t’en souviens plus.

Camille, comme George Sand, ne souhaite pas se souvenir du passé. Ayant écouté les récits des amours défuntes de ses consœurs de couvent, Camille craint l’amour sans l’avoir connu. Son âme est déchirée entre sa foi et sa volonté de retourner au couvent, et son désir d’amour pur et réel entaché par les histoires d’abandons et de tromperies qu’on lui a racontées. Perdican se montre plus désinvolte. Il a connu des femmes, mais l’amour, le vrai, semble lui avoir échappé, ce qui ne l’empêche pas de croire à l’amour et préfère souffrir d’amour que de n’aimer jamais. Cette pensée de Perdican est d’ailleurs une pensée de George Sand :

On est souvent trompé en amour, souvent blessé et souvent malheureux ; mais on aime, et quand on est sur le bord de la tombe, on se retourne pour regarder en arrière, et on se dit : J’ai souffert souvent, je me suis trompé quelquefois ; mais j’ai aimé. C’est moi qui ai vécu, et non pas un être factice créé par mon orgueil et mon ennui. (Acte II Scène V)

Cette réplique, que l’on associe toujours à Alfred de Musset, est en fait un extrait d’une lettre de George Sand à Musset (12 mai 1834). On voit à quel point Sand le hante. La douleur dans l’amour est bien sûr un trait fortement romantique, mais Musset a le talent de transcender le vécu pour le mettre au service de son art, et sa pièce ne peut être perçue comme autobiographique.

Les éléments du Drame Romantique sont bien présents, avec des personnages, comme le Baron ou le curé, maître Bridaine (surtout porté sur la bouteille) ou l’ancien précepteur de Perdican, maître Bladius. Le Baron ne cesse de s’étonner de tout, ne comprend rien aux comportements de ses enfants. Ces personnages permettent une rupture de ton en provoquant des scènes assez comiques.

L’autre élément romantique est cet anticléricalisme très présent dans cette pièce. Louise l’amie de couvent de Camille apparaît comme une femme aigrie, triste et ayant perdu toute espérance ; la gouvernante de la jeune fille, Madame Pluche est une femme acariâtre et le couvent en lui-même apparaît peuplé de femmes aigries et malheureuses influençant les jeunes novices :

Il y a deux cents femmes dans ton monastère, et la plupart ont au fond du cœur des blessures profondes ; elles te les ont fait toucher, et elles ont coloré ta pensée virginale des gouttes de leur sang. Elles ont vécu, n’est-ce pas ? et elles t’ont montré avec horreur la route de leur vie ; tu t’es signée devant leurs cicatrices, coe devant les plaies de Jésus ; elles t’ont fait une place dans leurs processions lugubres […] O mon enfant ! Sais-tu les rêves de ces femmes, qui te disent de ne pas rêver? Sais-tu quel nom elles murmurent quand les sanglots qui sortent de leur lèvres font trembler l’hostie qu’on leur présente ? (Acte II, scène V).

Enfin, et je n’ai pu m’empêcher de penser à Jane Austen, quand Musset, dans sa pièce, condamne l’orgueil qui aveugle et fait commettre les pires actes : L’orgueil, le plus fatal des conseillers humains […] qu’es-tu venu faire sur nos lèvres, orgueil, lorsque nos mains allaient se joindre ? (Acte III, Scène VIII).

Il y aurait encore beaucoup à dire sur le badinage, hérité du marivaudage, sur l’utilisation des lettres, sur les scènes épiées par un autre personnage, sur les quiproquos, sur l’innocence sacrifiée, mais je vous laisse découvrir ou redécouvrir tout cela.

Pièce lue dans le cadre du Challenge Romantique

challenge romantique

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25 Commentaires

  1. Vraiment super intéressant cet article merci 🙂 Bonne journée George 😀

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  2. très intéressant
    ce livre a un goût particulier pour moi; car j’en ai eu un extrait à étudier au concours d’entrée à l’Ecole Normale en 1972. Peut être pourras tu m’aider , d’ailleurs avec ta culture littéraire énorme.
    Mon étude leur avait plu, et un membre du jury m’a demandé de leur commenté cette phrase: »j’aime, et mes rideaux sont blancs ».Je n’ai jamais su où ils avaient trouvé cette phrase.

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  3. de leur commenter bien sûr, horreur!!!

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  4. et ce passage qui a été utilisé, re utilisé partout …
    « Tous les hommes sont menteurs, inconstants, faux, bavards, hypocrites, orgueilleux et lâches, méprisables et sensuels ; toutes les femmes sont perfides, artificieuses, vaniteuses, curieuses et dépravées ; le monde n’est qu’un égout sans fond où les phoques les plus informes rampent et se tordent sur des montagnes de fange ; mais s’il y a au monde une chose sainte et sublime, c’est l’union de deux de ces êtres si imparfaits et si affreux »

    J’aime beaucoup Aragon aussi, cela me replonge des années (trop) en arrière en cours de lettres au lycée. Je vais fouiller dans ma bibliothèque, c’est le problème des blogs littéraires j’ai souvent envie de lire ou relire les oeuvres présentées!

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  5. Très bel article, George, je ne l’ai pas lu (ou alors il y a longtemps et j’ai oublié…) mais je me rappelle très bien avoir vu la pièce il y a deux ou trois ans et j’avais beaucoup aimé !

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  6. J’avoue que je n’ai plus lu de pièces de théâtre depuis que j’ai terminé ma scolarité. Mais rien qu’à te lire en parler si bien, j’aurai presque envie de me laisser tenter… 😉

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  7. J’adore Musset ! Et particulièrement On ne badine pas, malgrés le décalage temporel, je trouve qu’elle est vraiment d’actualité. On devrait la faire lire plus souvent, pas fircement pour l’étudier mais juste pour montrer à quel point un « simple » jeu peut être très dangereux.

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  8. J’voulais commenter à propos des correspondances de Sand & Musset. Mais tu as tout dit.
    Parfait cet article.
    Cette pièce, elle est vraiment idéal en période de crise amoureuse 🙂

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  9. Merci pour ce beau billet! Du temps de ma jeunesse romantique j’avais appris ce texte par coeur, « on est souvent trompé en amour etc… » sans savoir que c’était Sand qui avait écrit ces mots. Le théâtre de Musset est un peu à part dans l’histoire du drame romantique; ses pièces n’ont pas eu beaucoup de succès et n’ont pas été souvent jouées sur scène. Il en est autrement maintenant. Au festival d’Avignon, on le voit souvent , on ne badine pas avec l’amour et surtout Les caprices de Marianne.

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    • J’aime bien dans les pièces de Musset, cette idée du théâtre dans un fauteuil, c’est vrai qu’il n’a pas eu le succès qu’il aurait dû, Sand elle-même au théâtre a souvent fait des fours sauf une ou deux pièces je crois qu’elle avait travaillées avec Alexandre Dumas fils. Le XIXème était surtout le siècle du roman.

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  10. vero1001

     /  février 7, 2013

    Musset me séduit chaque fois que je le lis !

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  11. Encore un auteur qu’il faudrait que je relise… Tes explications sont super intéressantes.

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  12. jean-marie

     /  mars 30, 2013

    tres sympa.
    des explications très simples et très claire 🙂
    les adolescents de mon age devraient lirent des oeuvres comme celle ci pour leur vocab.^^

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à vous....