« Des gens comme les autres » Alison LURIE

photoJanet Belle Smith, nouvelliste américaine, séjourne dans une résidence pour artistes, à Illyria, magnifique domaine au sein duquel elle va côtoyer plusieurs confrères, musiciens, auteurs et peintres. Durant son séjour, elle tient un journal dans lequel elle rend compte de ses journées à la résidence et de ses interrogations sur son écriture. C’est ce journal que nous donne à lire Alison Lurie.

Alison Lurie est une romancière que j’avais déjà lue dans mon adolescence et que j’ai été heureuse de retrouver avec ce roman. Elle aborde ici plusieurs thèmes : l’art, la perception de l’artiste par la société, et plus spécifiquement la perception de la femme artiste. Au premier jour de son séjour, Janet est heureuse de retrouver Illyria. Femme mariée à un cadre dans les assurances et mère de deux enfants, elle espère que ce séjour, qui va la maintenir hors de ses préoccupations familiales, lui permettra de retrouver l’envie d’écrire. Elle retrouve aussi avec plaisir Kenneth Forster, un artiste peintre, avec lequel elle s’entend particulièrement bien. Mais l’arrivée d’Anna May, nièce de la directrice d’Illyria, âgée d’une vingtaine d’années, va provoquer un véritable séisme dans la communauté d’artistes.

Janet est une femme qui a remporté un certain succès, mais elle souffre d’un manque de reconnaissance maritale. Son mari  considère son activité d’écrivain comme très secondaire et comprend mal son besoin de s’isoler à Illyria pour écrire. Le couple appartient, de part la situation du mari, à la bonne société de Westford : une grande maison, une école privée pour les enfants, une gouvernante et la non nécessité de travailler pour Janet. Le succès modéré de son ouvrage a entraîné ce que Janet appelle le gaz toxique. Elle s’est alors rendue compte que ses amies ou ses connaissances commençaient à la considérer d’un œil soupçonneux : est-ce d’eux dont elle a parlé dans son livre ? Au fil du temps, Janet, afin d’éviter le gaz toxique, va écarter tout sujet faisant de près ou de loin référence à son quotidien. Cette auto-censure a pour conséquence une perte d’envie d’écrire, un style qui s’étiole et une grande difficulté à trouver des sujets qui la passionnent.

Banales, répétitives, ennuyeuses. Voilà ce que sont devenues mes nouvelles ces derniers temps. A force de ne vivre que ce que je peux écrire, dans un cercle d’expérience et de sensibilité qui ne cesse de rétrécir. (p.161)

Janet vit finalement en décalage par rapport à son milieu. Même si elle ne peut renoncer ni à l’écriture ni à sa vie avec son mari et ses enfants, quand elle arrive à Illyria, elle est à la croisée des chemins et doit prendre une décision. Cette réflexion sur la perception de l’artiste par des personnes extérieures au milieu artistique m’a paru d’autant plus intéressante qu’elle touche une femme mariée et mère. Alison Lurie dit bien la déconsidération du travail de Janet, qui, normalement, vu son milieu, aurait dû se contenter d’élever ses enfants, de s’occuper de sa maison et de choyer son mari. A Illyria, en compagnie des autres artistes, elle se sent à sa place, parmi eux, appartenant à ses êtres un peu hors du commun pour qui l’art est essentiel.

Là où Alison Lurie fait preuve d’un esprit critique, est que cette mini-société va finalement, au contact d’une Lolita sans cervelle, révéler que les artistes sont des gens comme les autres avec leurs bassesses, leurs mensonges et surtout leurs a priori. Mais du désenchantement naîtra du nouveau et Janet finira par trouver le bon chemin à suivre.

Voilà finalement un roman qui pourrait être une réponse à la lettre de Pia Petersen, dont j’ai parlé il y a quelques jours, ou du moins un autre visage d’une femme qui se revendique écrivain et qui cherche sa liberté de création. Sans réelle revendication féminine, Alison Lurie, tout en prenant une femme qui doute de son art et de sa capacité à créer, montre, par petite touche, la difficulté d’exister comme auteur quand on est une femme et, sans doute encore plus quand cette femme appartient à un milieu aisé et qu’elle est mère et épouse.

En fait, dans l’ensemble, les gens n’aiment pas l’idée qu’une femme puisse sérieusement être écrivain. Ils trouvent ça incongru. Ils préfère oublier l’un des deux, ou bien l’écrivain ou bien la femme – « Dans mon cas, c’est généralement la femme », a-t-elle dit d’un air désabusé. Avec ce résultat qu’on lit dans les interviews, que HHW [femme auteur reconnue] fait très bien la tarte aux pêches, comme si ça avait quelque chose de très bizarre, de très original. (pp.91/92).

Si vous ne connaissez pas Alison Lurie, surtout n’hésitez pas et sachez qu’elle a reçu le Pulitzer pour Liaisons étrangères en 1984, et le Femina en 1988 pour La vérité sur Lorin Jones.

Roman lu dans le cadre du Challenge Romancières américaines et du Challenge US.

challenge romancières américainesChallenge US

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37 Commentaires

  1. marjolaine

     /  novembre 19, 2013

    Je ne connais pas cet auteur 😉

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  2. Une auteure que je ne connais pas non plus, une de plus !

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  3. Je ne la connaissais pas mais tu me donnes bien envie de découvrir ce roman…

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  4. Une auteure que je ne connais pas du tout. Je la rajoute immédiatement à ma wishlist.

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  5. Merci pour la découverte et de ce titre et de cette auteure.

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  6. J’ai lu plusieurs Alison Lurie dans ma « jeunesse ». J’ai arrêté parce qu’il y a souvent la même ambiance. Mais par contre, elle écrit très bien. Je me souviens d’une grande fluidité. Le challenge Romancières américaines sera l’occasion de la retrouver.

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    • J’avais lu les deux romans primés dont je parle à la fin du billet et puis plus rien avant celui-ci, et c’était agréable de la retrouver. Je suis d’accord avec toi elle écrit très bien et ses livres se lisent avec grand plaisir d’autant que son regard critique sur la société est intéressant.

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  7. Je ne connais que de nom Alison Lurie pour l’instant. Je dis bien pour l’instant puisque comme tu es une grande tentatrice je suis repartie avec « Conflits de famille » de cette auteur dimanche. Ton billet me donne en tout cas envie de le lire très vite.

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  8. Je ne connais ni de nom, ni de lecture. J’essaierai de me rappeler cet auteur.

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  9. Je ne connais pas du tout.
    Bon va falloir aller à sa rencontre alors. Je n’ai pas le choix 😉

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  10. chaplum2

     /  novembre 20, 2013

    J’avais aimé un de ses romans lu il y a plusieurs années et tu me donnes envie de la relire. Tu as raison, il fait écho au livre de Pia Petersen.

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  11. En replongeant dans ma bibliothèque, je me suis souvenue que je l’avais découverte (grâce à ma soeur) avec La ville de nulle part et Liaisons étrangères. Merci d’avoir rappelé cet auteur à mon bon souvenir!

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  12. Je n’ai pas encore lu cette auteure qui me tente

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  13. J’ai hésité plusieurs fois devant Alison Lurie, ton billet m’encourage !

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  14. C’est un auteur que j’ai lue il y a longtemps ( les amours d’Emily Turner, et celui-ci), j’aime son écriture. Il faudrait que je la lise de nouveau.

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  15. Je ne connais pas cet auteur mais ton billet me donne tr-s envie et j’ai effectivement pensé à « Instinct primaire » en le lisant.

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    • Ah je suis fière alors de te la faire connaître 😉 ! Oui il y a des échos avec la lettre de Pia Petersen, même si l’héroïne a choisi là une vie de couple avec ses concessions.

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  16. J’ai très envie de la découvrir…

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  17. Voilà une auteure que j’aime beaucoup, j’ai eu ma période pendant laquelle j’alternais entre Lurie et Lodge .

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  18. J’ai eu ma période Alison Lurie. J’aime son analyse lucide de la société américaine, des milieux universitaires.. Tiens, je viens de lire le commentaire au- dessus : comme Emma, Lurie et Lodge!

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à vous....