« Madame de Sévigné » Stéphane MALTERE (bio).

maltère sévignéMadame de Sévigné est bien sûr connue essentiellement pour sa correspondance passionnée avec sa fille, Mme de Grignan, mais qui était-elle vraiment, qui côtoyait-elle et, à part écrire à sa fille, que faisait-elle ? Stéphane Maltère tente de répondre à ces questions et à quelques autres dans cette biographie qui n’est pas sans intérêt et qui devrait me permettre d’aborder la lecture de cette vaste correspondance avec plus de flèches à mon arc.

Stéphane Maltère propose une biographie qui, tout en rendant compte de la vie de Madame de Sévigné, prend soin de la replacer dans son époque, celle de la Monarchie Absolue de Louis XIV perturbée par la Fronde, les guerres et les intrigues de la Cour. A travers le destin d’une femme de l’aristocratie, il aborde également l’éducation des filles, l’importance de la religion, la Préciosité. Orpheline très tôt, elle fut mise sous la tutelle de ses oncles maternels, veuve assez jeune, elle a bénéficié d’une certaine liberté dont peu de femmes pouvaient jouir à son époque. Avec Madame de La Fayette, dont elle fut une amie proche, ou Mademoiselle de Scudéry, elle a participé à la création d’une littérature féminine. Mais la particularité de Madame de Sévigné est qu’elle était auteure sans le savoir et que, si son talent d’épistolaire était reconnu par ses proches, elle doit sa reconnaissance littéraire à son cousin, Roger de Bussy-Rabutin qui publia, très tardivement, alors que la marquise était déjà âgée, des extraits de sa correspondance dans ses Mémoires.

Cette biographie centre surtout son propos sur la relation fusionnelle que Madame de Sévigné entretenait avec sa fille, Françoise. Une relation qui ne fut pas sans orage et dont Stéphane Maltère montre bien la complexité n’hésitant pas à révéler chez la marquise une tendance au chantage affectif, et mettant en lumière également le grand dilemme de Mme de Grignan, sans cesse tiraillée entre son amour pour sa mère et son amour pour son mari, tiraillée donc entre deux lieux : Paris et Grignan.

Les nombreux extraits de la correspondance montrent à quel point Madame de Sévigné était sans cesse tournée vers sa fille, soucieuse de sa santé et de toujours entretenir, par ses lettres, un lien puissant avec sa fille. Les marques d’affection reviennent sans cesse et Mme de Grignan apparaît comme un être d’exception sous la plume maternelle. Grâce à cette biographie, j’ai d’ailleurs appris que les lettres de Françoise ont été détruites. Mais cet amour maternel de la marquise pour sa fille, cette abnégation maternelle, est bien sûr ce que nous connaissons le mieux de la vie de Madame de Sévigné. Aussi, j’avoue que mon intérêt s’est davantage porté sur des éléments de sa vie beaucoup moins connus.

Le premier, et de taille, fut d’apprendre qu’elle avait également eu un fils, Charles. Un fils qui semble avoir un peu souffert de cet amour quasi exclusif pour sa sœur, comme le laisse suggérer à plusieurs reprises le biographe et que l’on peut deviner dans certaines de ses lettres : Je vous aime mille fois mieux que tout ce qu’il y a dans ce monde […] Ne renoncez point à votre fils (p.271). Maltère dresse le portrait d’un fils cependant joyeux, aimant les romans d’aventure de l’époque, qu’il lit parfois pendant des heures à sa mère. Si l’amour de Madame de Sévigné pour son fils n’est pas à remettre en doute, il n’est cependant pas aussi puissant que celui qu’elle accorde à sa fille. On peut d’ailleurs se demander pourquoi.

L’autre intérêt que j’ai eu à la lecture de cette biographie s’est porté sur la vie quotidienne de Madame de Sévigné. Ces nombreux voyages, ses cures à Vichy pour ses crises de rhumatisme, ses séjours en Bretagne près de Vitré dans sa demeure des Rogers, mais aussi à Rennes (que je connais bien). J’ai également appris qu’elle fut un temps la propriétaire de l’hôtel Carnavalet. J’ai aimé le récit de sa vie faite de lectures, et de promenades, même s’il témoigne d’une vie oisive caractéristique des aristocrates de l’époque. J’ai aimé aussi ses amitiés avec d’autres femmes éminentes de l’époque, Mme de La Fayette notamment et son rapport avec la Préciosité. Ou encore son amitié avec Fouquet. J’ai ainsi appris que c’est elle qui présenta La Fontaine au surintendant. Enfin j’ai appris qu’elle était janséniste, proche de Port-Royal et donc de Racine dont elle admirait les pièces, et grande lectrice de Nicole, fondateur du jansénisme. Fondamentalement catholique, Madame de Sévigné se révèle opposée aux protestants et applaudit la révocation de l’Édit de Nantes, révélant même un certain désintérêt pour le sort les huguenots.

Au final, Madame de Sévigné, apparaît bien plus complexe que cette image d’Épinal de l’amour maternel. L’analyse assez précise, je crois, de sa correspondance en fait une femme ancrée dans son époque, à la fois intelligente, belle, mais aussi profondément attachée à son roi et aux valeurs de la Monarchie.

Biographie lue dans le cadre d’une Lecture commune avec Nathalie et du Plan Orsec 2014.

PAL Orsec 2014

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12 Commentaires

  1. Pour ma part, j’ai étudié madame de Sévigné en licence, et je connais donc bien sa biographie. La thèse défendue par le professeur était que madame de Sévigné n’aimait pas du tout sa fille, et que l’écriture de ses lettres n’était qu’une preuve de son égocentrisme.

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  2. Je ne connais pas non plus la vie de cette grande épistolière, je savais juste qu’elle avait été propriétaire de l’hôtel Carnavalet !

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  3. C’est passionnant tout ça ! Et ça fait du bien des bios de temps en temps, non ? (je vais me laisser tenter par Camus la semaine prochaine … :))

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  4. On avait aussi abordé un peu la biographie de Mme de Sévigné pendant mes années romanes mais j’avoue que je ne me souviens pas de grand chose !

    Je suis allée visiter le château de Grignan, il y a 3-4 ans. Quelle déception de voir que quasiment tout était reconstitué (le château a en fait été presqu’entièrement pillé et/ou détruit). Par contre, plus bas dans la ville, il y a une petite librairie/imprimerie que l’on peut [doit] visiter et là, c’était une super expérience ! Les gens qui la tiennent sont passionnés et on traverse toute l’histoire du livre et de l’imprimerie !

    Bref, tout ça pour dire que ça me plairait bien d’en lire un peu plus sur Mme de Sévigné : les femmes qui ont « réussi » alors que l’époque ne s’y prêtait pas m’impressionnent toujours beaucoup !

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    • Je suis allée aussi à Grignan il y a quelques années, mais nous étions juste en transit, on a quand même vu la statue sur la place mais pas eu le temps de visiter le château mais apparemment je n’ai pas à regretter grand chose.

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  5. Je lis enfin ton billet ! Moi aussi tout ce qui concerne la relation mère-fille m’a vraiment intéressée. Ça ne devait pas être facile d’être la fille de madame de Sévigné ! Je crois qu’il y a au château de Grignan une petite collection de peintures mais cela apporte peu à notre connaissance de la marquise.
    En revanche, pour la lecture de la correspondance, je vais devoir attendre quelques années je crois (la catégorie « lecture de long cours à piocher quelques pages chaque soir » qui serait idéale pour une correspondance est occupée par les chroniques d’Alexandre Vialatte).

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  6. Un grand merci pour ce compte-rendu! Stéphane Maltère

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