« Inconnu à cette adresse » de Katherine Kressman Taylor

C’est en rangeant les piles de livres qui s’accumulaient sur mon bureau que je suis retombée sur ce petit livre acheté récemment. Je me suis mise à lire la première lettre… et puis de lettre en lettre…

Max, de religion juive, vit à San Francisco. Martin, son ami, de nationalité allemande retourne dans son pays natal en 1932. Tous les deux associés dans une galerie d’art américaine, ils commencent logiquement une correspondance. Riche de ses revenus américains, que Max lui fait parvenir des États-Unis, Martin s’installe très confortablement à Munich, dans une Allemagne très appauvrie depuis la fin de la première mondiale. Max, à San Francisco, vit seul, n’étant, quant à lui ni marié ni père, mais très attentif au début de la carrière de comédienne de sa sœur, Griselle. Au fil des lettres, les inquiétudes se manifestent envers l’arrivée au pouvoir d’un certain Hitler et des effractions commises envers les juifs. Socialement bien installé, Martin entre comme fonctionnaire de l’administration et fréquente les dignitaires du National-Socialisme.

Ce roman fut publié aux Etats-Unis en 1938. L’intrigue couvre la période allant de 1932 à 1934, quatre ans donc avant le déclenchement de la Seconde guerre mondiale. Katherine Kressman Taylor, par ce bref roman épistolaire, parvient à saisir la montée du nazisme et de l’antisémitisme. Elle montre l’endoctrinement patriotique de Martin, ses espoirs, ses réticences aussi, du moins au début, puis petit à petit ses convictions très appuyées envers une politique active menée par homme charismatique (selon lui). L’auteure restitue, à travers les lettres de Martin, un discours certainement tenu par beaucoup d’Allemands à l’époque, cette nécessité d’un bouc émissaire, les Juifs, responsables selon eux de tous les maux et de cette nécessité d’en sacrifier certains pour sauver la plupart. C’est un discours qui fait froid dans le dos, un discours où se mêle également la volonté de tenir un rang, une position sociale. Mais le tour de force de Kressman est sans doute de n’avoir pas voulu faire des portraits en noir et blanc : le gentil Juif et le méchant Allemand. Et à la fin de l’ouvrage, je me suis demandé qui était le plus diabolique des deux ? C’est une histoire individuelle au sein de l’Histoire. Et le plus vulnérable n’est pas nécessaire celui que l’on croit.

Ce qui est assez fascinant c’est comment, en 1938, Kressman a déjà tout compris du drame qui se prépare. Elle montre par ce roman, par ce qu’elle dit déjà des traitements faits aux Juifs en 1933 et 1934, les germes des horreurs que la guerre va révéler. Elle suggère déjà, les lâchetés, les compromis avec sa conscience, la peur.

Mon seul petit bémol serait que le changement opéré chez Martin m’apparaît comme un peu rapide et extrême. Peut-être que deux ou trois lettres de plus montrant son évolution idéologique auraient rendu, selon moi, cette « conversion » plus vraisemblable. Reste que le renversement final est terrible, surprenant et, je le redis, diabolique.

Roman lu dans le cadre du Challenge STAR 5.

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54 Commentaires

  1. J’ai lu ce livre grâce à mon (super) prof de français au collége ! J’avais adoré, pourtant l’épistolaire n’est pas mon genre favoris mais ce livre est entraînant.

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  2. à voir, dans le même genre visionnaire quant à la période de guerre qui s’annonce, « le Dictateur » de Charlie Chaplin, un génie !

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  3. J’ai lu ce livre il y a un petit moment déjà en classe…tu as raison, la fin est diaboliquement incroyable, j’avais été très impressionnée.

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  4. Ce qui tu en dit donne envie de le lire. Et je trouve cela intéressant de savoir qu’il a été publié avant la guerre, l’éclairage doit être différent quand on sait ce qui s’est passé après.

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  5. J’ai découvert ce livre ado, sur les banns de l’école.
    Je me souviens qu’il m’avait fait forte impression.
    Encore maintenant, j’en ai la chair de poule. Tu m’as donné envie de le relire

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  6. J’ai acheté ce livre à une foire à tout dimanche, il a rejoint ma PAL. J’avais vu la pièce de théâtre et ce livre m’avait beaucoup plu.

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  7. Je l’ai noté il y a des mois déjà, il faudrait que je le loue/achète un de ces jours 🙂

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  8. C’est vrai que le retournement est assez rapide, mais c’est le format, proche de la nouvelle qui veut ça je pense. J’avais été fortement impressionnée par ce titre. Et je l’ai vu en pièce de théâtre, avant qu’il ne soit mis en scène avec des comédiens connus : c’était fort également !

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  9. J’avais lu ce petit livre presque par hasard, fille ainée devait le lire pour l’école et je l’avais donc lu vite fait avant qu’elle doive le rendre… et bien il m’avait littéralement bouleversée. J’avoue avoir un peu compris la réaction de… Enfin bon chut ne disons rien, mais une réaction pas tellement surprenante… La cruauté était telle que la réponse forcément ne pouvait pas être autre… Je ne dis pas que la mentalité « oeil pour oeil dent pour dent » me va bien mais comment réagirions nous si on touchait à quelqu’un de notre famille ??

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  10. Je l’ai dans ma PAL (acheté car c’est un classique que je voulais découvrir) mais je ne savais même pas que le sujet était celui-ci, honte à moi… cela en dit long aussi sur l’état de ma PAL ! Sur la montée du nazisme si le sujet t’intéresse je te recommande « Mephisto » de Klaus Mann, que je dois relire car je l’ai découvert il y a dix ans (mes souvenirs sont donc un peu flous) mais ça avait été une sorte de révélation littéraire.

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    • Merci pour ton conseil, je ne connais pas ce roman et très peu très auteur, je vais y jeter un oeil ! Quant à ta PAL si elle est dans le même état que la mienne, je compatis 😉

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  11. Ce n’est pas trop le genre de lecture qui me fait envie en ce moment mais si tu ne l’as pas lâché, c’est bon signe ! 😉

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    • C’est bien sûr un sujet sensible mais les lettres lui donnent un autre profondeur et le point de vue des deux partis est intéressant même si bien sûr on ne peut adhérer à l’un d’eux !

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  12. Virgule

     /  octobre 25, 2012

    D’une efficacité redoutable ! Et c’est vrai qu’on écarquille les yeux quand on voit cette date de 1938…

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  13. C’est devenue une pièce de théâtre, jouée par Stéphane GUILLON et Gaspard PROUST

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    • Oui j’ai vu qu’ils avaient repris les rôles mais je ne suis pas sûres d’avoir envie de voir la pièce avec eux deux, je ne sais pas trop ce qu’ils donnent !

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  14. Tout ce qu’a écrit Kressman Taylor est d’une grande lucidité. Son oeuvre est courte mais dense.

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  15. Livre lu, relu et rerelu. Je n’en pense que du bien.

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  16. alexmotamots

     /  octobre 26, 2012

    Mes ados l’adore car il se lit vite et il est passionnant.

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  17. C’est court mais puissant, finement élaboré. J’ai adoré.

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  18. Laurence (Lolotte)

     /  octobre 26, 2012

    J’ai lu ce livre il y a quelques années, j’en garde un super souvenir. Par contre, j’ai aussi lu de cette auteure un livre paru à titre posthume dont j’ai oublié le titre … et que ne mérite que l’oubli à mon sens.

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  19. je le note ton billet m’a donné envie, surtout la dernière phrase. Décidément, ma LAL n’en finit plus de s’allonger !

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  20. C’est un livre formidable que j’ai lu quand mon fils l’a reçu à l’école.
    Bon weekend.

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