Samedi Sandien #2: « Gabriel » George Sand

Cette semaine j’ai envie de vous parler d’un texte un peu particulier de George Sand. Inspirée sans doute du théâtre à lire dans un fauteuil d’Alfred de Musset, George Sand écrit en 1840 Gabriel dont la forme est celle d’une pièce de théâtre mais une pièce qui ne fut pas destinée à la scène. Défini comme « roman dialogué », ce texte dramatique est souvent méconnu à tort ,comme souvent.

Le Prince Bramante eut deux fils. L’un fut répudié, l’autre non. Le fils répudié eut un fils,  Astolphe, l’autre une fille, prénommée Gabrielle. A la mort de ses fils, le Prince Bramante ne voulut pas se résoudre à léguer son héritage à Astolphe. Afin de contrer la loi, il élève Gabrielle en garçon, niant son sexe, et l’éduque dans le dénigrement de la condition féminine. Dorénavant Gabrielle devient Gabriel. Pour ses 16 ans, le Prince révèle sa véritable identité à sa petite-fille, ce qui provoque en elle un dégoût, un sentiment insupportable. Elle décide de retrouver Astolphe. Sous son identité masculine, elle se lie d’amitié avec son cousin. Lors d’une soirée, Astolphe, pour jouer un tour à un ami, décide de déguiser Gabriel en fille. Astolphe est alors fortement troublé.

Le Prince Bramante n’est en rien un doux grand-père, ce qui le motive avant tout est la perpétuation du nom. Figure patriarcale par excellence, et dans toute son horreur, le grand-père de Gabriel(le) use d’un pouvoir despotique sur sa petite fille, lui sacrifiant son identité sexuelle, et donc sa plus profonde personnalité.

Au-dessus des vulgaires devoirs et des puérils soucis de la paternité bourgeoise, il y a les devoirs courageux, les ambitions dévorantes de la paternité patricienne. Je les ai remplis avec une audace désespérée. Puisse l’avenir ne pas flétrir ma mémoire, et ne pas abaisser l’orgueil de mon nom devant des questions de procédure ou des cas de conscience!

George Sand, à travers ce roman, crée une figure paternelle emblématique, sans doute excessive mais qui révèle bien, cependant, la main mise des pères sur les filles au XIXème siècle. Cette négation sexuelle et intellectuelle de la féminité incarne sans aucun doute, l’oppression des femmes dans la société française à l’époque de Sand. Sous le prétexte du nom, de la transmission de l’héritage, tous les crimes sont légitimités. Gabriel(le) va se révolter, va tenter d’aller à l’encontre des lois ancestrales. Pour rompre la malédiction, elle tentera d’accepter le rôle traditionnel de la femme au foyer, essayant de se conformer au rôle que la société lui octroie en tant que femme. Mais élevée comme un homme,  Gabriel(le) ne parvient pas à trouver sa place, finalement elle ne se sent ni femme ni homme, ou plutôt femme et homme et son siècle n’est pas prêt à l’accepter. Roman désespéré, Gabriel témoigne de la difficulté d’être femme, mais femme intellectuelle et indépendante, telle que George Sand voulait l’être.

Ôtons vite la robe de Déjanire, elle me brûle la poitrine, elle m’enivre, elle m’oppresse! Oh! quel trouble, quel égarement, mon Dieu!… Mais comment m’y prendrai-je? Tous ces lacets, toutes ces épingles… (Il déchire son fichu de dentelle et l’arrache par lambeaux.) Astolphe, Astolphe, ton trouble va cesser avec ton illusion. Quand j’aurai quitté ce déguisement pour reprendre l’autre, tu seras désenchanté. Mais moi, retrouverai-je sous mon pourpoint le calme de mon sang et l’innocence de mes pensées?

Sans cesse tiraillée entre son identité féminine et l’incroyable liberté que lui donne son déguisement d’homme, Gabriel(le) reste inadaptée, perdue.


Impossible de ne pas faire le parallèle avec une habitude propre à Sand de se déguiser en homme. Dès ses premières années parisiennes, elle endosse le costume masculin pour entrer dans les théâtres et les cercles parisiens. La mère de Sand déjà, dans sa jeunesse, avait, elle aussi, endossé le costume masculin pour pouvoir suivre son mari, Maurice Dupin dans les théâtres. Sand aimait se déguiser en homme et faire quelques tours à ses visiteurs. Mais au-delà du simple travestissement, ce costume masculin, plus pratique, moins salissant, est une vraie liberté pour la femme. Le dilemme de Gabriel est justement de faire coïncider cette double identité. Il y aurait encore beaucoup à dire sur ce texte, mais je vous laisse le découvrir.

Ce texte est disponible aux Editions des femmes, mais aussi en suivant ce lien.


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29 Commentaires

  1. Bénédicte

     /  janvier 15, 2011

    Quel texte vraiment intéressant! Je suis ravie de découvrir des livres de Sand qui m’étaient jusqu’ici inconnus. Merci! Allez-vous aussi inclure des biographies de Sand?

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    • leslivresdegeorgesandetmoi

       /  janvier 15, 2011

      Je vais commencer par les romans de Sand ! pour les biographies je vous conseille celle de Joseph Barry en poche ! merci pour votre commentaire !

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  2. Merci pour le lien et je pense l’ajouter au challenge femmes de lettre, il correspond bien à ce que j’ai déja lu!

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    • leslivresdegeorgesandetmoi

       /  janvier 16, 2011

      De rien ! présenter et parler des livres de Sand est une chose mais il faut aussi permettre qu’on les lise 😉 !

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  3. Je suis très intriguée par ce livre.
    A noter!
    Bises et heureux dimanche.

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    • leslivresdegeorgesandetmoi

       /  janvier 16, 2011

      J’espère qu’il te plaira ! sa forme théâtrale fait qu’il se lit vite! bon dimanche à toi aussi ! bises

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  4. Il faut que je le cherche et l´achète.

    Oui, pour faire connaître l´oeuvre de George Sand qui a souvent été maltraitée par certains critiques et son image bien ternie.

    Bon dimanche

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    • leslivresdegeorgesandetmoi

       /  janvier 16, 2011

      Tu devrais le trouver en cherchant un peu cependant !
      J’espère que mes petites présentations feront mieux connaître son oeuvre et donneront envie de lire !

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  5. Aujourd’hui, dimanche, il fait beau. Cet aprem, Mister B. va faire du vélo et nous avons décidé de nous donner RV à Nohant. Je furèterai dans la boutique pour voir sir je trouve « Jean de la Roche ». « Gabriel » me plait beaucoup aussi !!!
    Je te tiendrai informée à mon retour…

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    • leslivresdegeorgesandetmoi

       /  janvier 16, 2011

      AHHHHH la chance ! tu salueras madame Sand de ma part, bien bas et bien respectueusement ! passe une bonne journée !

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      • Je l’ai trouvé ! Cela sera une lecture prochaine. La boutique de Nohant te plairait. Ils ont tous ses livres. J’ai facilement passé 1 heure à déambuler, tout toucher… Le parc était triste, terne, avec des pyramides parsemées sur la pelouse, oeuvres des taupes, les hortensias fanés en attente du printemps, mais les pivoines ont déjà des gros bourgeons. Je sais qu’ils sont précoces ceux-là car j’admire leurs floraisons tous les ans.
        Sur sa tombe, je lui ai transmis ton bonjour. Elle a été ravie.

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        • leslivresdegeorgesandetmoi

           /  janvier 16, 2011

          Oh merci pour ce compte-rendu et pour cette émotion qu’il me donne !

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  6. C’est vraiment très agréable de découvrir un texte quasi inconnu de George Sand sous tes mots. Chaque semaine c’est une pur moment de délice avec les découvertes que tu nous proposes : Merci!…

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  7. Ton article est vraiment d’une très grande qualité et il me donne envie de le lire. Personnellement l’éducation que j’ai reçu a eu des conséquences négatives dans la mesure où mes parents ont projeté sur moi leurs désirs. Georges Sand est une femme de lettre qui par sa biographie me touche beaucoup. Donc je note dans mes tablettes.

    Réponse
    • leslivresdegeorgesandetmoi

       /  janvier 16, 2011

      Bienvenue ici !
      En effet on dépend beaucoup de l’éducation que l’on a reçu, le tout est de parvenir à s’en libérer mais ce n’est pas toujours facile ! merci pour les compliments ! 😉

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  8. Quelle chance a Syl d’avoir pu aller à Nohant cette après midi et trouver ce livre qui a l’air passionnant et qui dit bien la difficulté d’être femme au XIXème siècle!
    Merci à elle pour ce compte rendu plein de nostalgie (en tous cas pour moi qui ai visité Nohant il y a bien des années!) et à toi pour ce billet très intéressant.
    Je viens de lire Pauline.

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    • leslivresdegeorgesandetmoi

       /  janvier 16, 2011

      Oui c’est une grande veinarde !!! tu as fait ton billet sur Pauline ?

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  9. Comme les grands esprits se rencontrent. Je l’ai empreinté à la Médiathèque hier. Il me sert pour mes deux challenges en cours. Il m’avait tenté car je ne connaissais pas le théatre de Sand. Je poursuis ma lecture, je lirai ton article ensuite.

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  10. asphodele

     /  janvier 16, 2011

    Très beau billet qui fait honneur a ton homonyme… J’ai entendu parler de Gabriel après avoir lu Consul (il y a longtemps), mais on nous l’avait présenté comme une pièce de théâtre et ca ne me tentait pas trop. Le portrait que tu en fais me donne envie, George Sand ayant toujours été ma chouchoute dans la mesure ou elle est contemporaine, elle a bousculé les dogmes rassis des vieux croutons praticiens et patriarcals, la chanson de Jean Ferrat (Aragon) semble avoir été écrite pour elle : la femme est l’avenir de l’homme ».
    George, si tu nous entends, sache que le monde a évolué dans ton sens mais qu’il reste encore beaucoup a faire et que nous ne baissons pas les bras !
    Et merci a Syl. pour la ballade…

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    • leslivresdegeorgesandetmoi

       /  janvier 17, 2011

      Oh oui il reste encore beaucoup à faire tu as entièrement raison, mais on y travaille, non ? merci pour tes commentaires si riches, et si gentils !

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  11. Je prends enfin le temps de venir rattrapper le retard que j’ai pris sur le blog des copines !
    A chaque fois que je lis tes billets sur George Sand, j’ai de plus en plus envie de la lire. Je pense relire « La petite Fadette » (que j’ai lu toute gamine) et j’enchaînerai avec les livres que tu m’as conseillé la dernière fois.
    Allez hop, je file continuer de lire tes billets !Bisous

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    • leslivresdegeorgesandetmoi

       /  janvier 17, 2011

      COucou Ellcrys !!! je suis contente de te donner envie de découvrir ou redécouvrir Sand, j’espère que ses romans te plairont ! bises

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  12. Pas encore écrit le billet sur Pauline mais c’est prévu pour cette semaine.

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  13. et je l’envoie aujourd’hui!

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