Samedi Sandien #23 : « Simon » (1836)

On revient un petit peu en arrière cette semaine, avec un roman qui s’inscrit dans les premiers écrits par George Sand.

Comme le veut la période romantique, le roman porte un titre centré sur le prénom du personnage principal. Cette coutume lancée par Chateaubriand (René), Mme de Staël (Corinne ; Delphine) ou encore Benjamin Constant (Adolphe) eut cours essentiellement durant la première période romantique et George Sand ne déroge pas à la règle puisque la plupart de ses premiers romans portent un titre-prénom, ce qui devait bien l’arranger, elle qui avait tant de mal à trouver un titre pour ses œuvres. Pourquoi un prénom? Car la période romantique s’intéresse au destin individuel d’une âme plongée dans l’Histoire.

Le roman court sur une période allant de 1824 à 1830, période donc antérieure à l’écriture du roman, et période romantique s’il en est. Dans le département de la Creuse, le Comte de Fougère revient en France, après avoir fui en Italie, où il s’est enrichi. Il reprend possession de ses terres et de son château. Contre toute attente, le retour du Comte est bien perçu par les habitants de La Marche. Là vit Jeanne Féline, vieille femme de 70 ans, veuve d’un laboureur, et sœur de l’abbé Féline, personnage inspiré par la figure de Lamennais. Son fils, Simon (que Sand créa à partir de l’avocat Michel de Bourges, qui fut son amant de 1835 à 1837, et qui l’initia au socialisme) va devenir avocat, grâce à son parrain, Simon Parquet qui lui paya ses études. Le jeune Simon, esprit sceptique, est résolument républicain, comme sa mère. Le Comte de Fougères vit avec sa fille Fiamma, jeune fille altière et froide, qui monte à cheval en amazone, et dompte les chevaux sauvages, et qui, contrairement à son père, est Républicaine. La relation entre le Comte de Fougères et Fiamma est distante, et laisse percevoir un terrible secret de famille qui sera révélé à la fin du roman.

La figure de Lamennais est importante dans ce roman. Félicité Robert de Lamennais représentait le catholicisme social, revendiquant la séparation de l’Eglise et de l’Etat, la liberté de la Presse et l’éducation pour tous. George Sand le rencontre en 1835 par l’intermédiaire de Liszt, soit un an juste avant la parution de Simon. Incarnées par feu l’Abbé Féline, les idées de Lamennais sont très présentes dans le roman de Sand. Ainsi Jeanne Féline, femme du peuple, a-t-elle eu accès à l’instruction grâce à son frère.  Et Simon, résolument républicain, est également fidèle aux pensées de son oncle. Le roman est donc traversé par un esprit républicain fort en opposition avec la figure du Comte, noble émigré et enrichi, ayant fui la Révolution, qui tente de se réapproprier ses privilèges passés en reprenant possession de son domaine. George Sand va donc opposer deux familles : l’une pauvre mais aux valeurs socialistes et humanistes fortes, et l’autre, noble, mais aux valeurs liées au pouvoir et à l’argent et renfermant l’un des pires crimes.

George Sand n’est pas une romancière réaliste, ainsi cette famille Féline incarne-t-elle davantage les valeurs socialistes de Sand, ses aspirations pour une émancipation du peuple, plutôt qu’un portrait pris sur le vif d’une réalité populaire.

En dehors de ce thème important, mais non lourd et qui ne doit pas rebuter car, comme toujours, George Sand sait mêler conviction et romanesque, une intrigue amoureuse se noue bien sûr entre cette Fiamma, si belle et mystérieuse, et Simon.

La figure de Fiamma préfigure Edmée de Mauprat dans le roman éponyme, mais elle a le tempérament italien, farouche, rebelle et fier, en vive opposition avec son père :

elle s’était fait un genre de vie entièrement en dehors de celui que la fortune de son père semblait lui tracer, puisqu’elle fuyait les salons pour les bois, les fades conversations pour la lecture, et les flagorneries d’une petite cour pour l’entretien ingénu de la douce mademoiselle Parquet. (p.68).

Le roman repose donc également sur ce secret qui lie Fiamma à son père, cette rivalité sourde et parfois violente qui reprend un thème cher à George Sand : la paternité. Si les personnages de l’Abbé Féline et de Simon Parquet, parrain du jeune Simon, incarnent des figures paternelles solaires et positives, le Comte de Fougères, à l’opposé est un père sombre et machiavélique. Mais il serait faux de sous-estimer la figure de Jeanne Féline, vieille femme du peuple, mais instruite, respectée de tous, et qui aura une influence importante dans le destin  des deux héros.

Je ne peux que vous conseiller ce roman qui contient en germe beaucoup de thèmes que l’on retrouvent dans les romans de la maturité.

Billet écrit dans le cadre du Challenge George Sand , des Samedis Sandiens et du Challenge Romantique.

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19 Commentaires

  1. Je ne sais pas combien compte de page ce roman, mais il m’a l’air très dense en tous les cas… J’ai encore appris plein de choses avec ton billet : notamment cette propension du romantisme à intituler les romans du genre d’un prénom. Encore un roman de Mme Sand que je ne connaissais pas d’ailleurs et que j’aurai plaisir à me trouver… 🙂

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  2. Il n’est pas très épais 😉 ! contente d’avoir éclairer ta lanterne !

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  3. Encore une trouvaille tentante. Est-ce raisonnable.

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  4. j’aime tes petits samedis sandiens, même si je ne laisse aucun message, je lis et j’apprends !

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  5. Encore un billet bien instructif …et encore un classique à lire !

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  6. Un billet très intéressant et dans lequel tu as mis en valeur le romantisme par bien des aspects. Je me suis régalée à te lire! Tu m’as encore donné envie de découvrir ce bouquin.. Mais je viens de recevoir Le péché de monsieur Antoine que tu avais commenté aussi. Je note le lien dans le challenge romantique . Un beau début!

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    • ahhhh « le péché de monsieur Antoine » c’est mon chouchou ! j’espère qu’il te plaira, le thème de la paternité y est très très présent ! bonne lecture !

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  7. Très intéressant.De George Sand j’en suis resté à La mare au diable ou La petite Fadette.

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  8. Bravo pour ce billet magnifique et circonstancié ! Je n’ai toujours pas lu François le Champi que j’avais en LC avec Nathalie le 31 octobre mais je vais le lire celui-ci, promis 😦 Juste un peu plus de temps) ! La rentrée littéraire se calme, je retourne à des lectures non obligatoires, ça fait du bien aussi…

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  9. « Pourquoi un prénom? Car la période romantique s’intéresse au destin individuel d’une âme plongée dans l’Histoire. » j’ignorais cela ! Je n’ai jamais rien lu de Sand (à part à l’école voir Eeguab !), par quoi commencer ? (parce-que si là, on est déjà dans la maturité…) je note, bien sûr !

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  10. Elle devrait me plaire, cette Fiamma !

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  11. C’est fou comme les sujets traités par George Sand m’intéressent…plus le temps passe et plus je me dis qu’il est anormal de n’avoir encore rien lu de cet auteur…il va bien falloir que je me décide, certainement une résolution pour 2012…je retournerai aux bibliothèques de Rouen pour la peine…ils ont les gros volumes compilant plusieurs écrits de George Sand, par période…

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à vous....