« Les Gens dans l’enveloppe » Isabelle MONNIN et Alex BEAUPAIN – Rentrée Littéraire 2015 #3

Monnin les gensUn jour de juin 2012, Isabelle Monnin achète sur internet un lot de photos d’une famille qu’elle ne connaît pas, une famille anonyme. Quand elle reçoit les photos dans une grande enveloppe blanche, elle découvre des photos banales de la vie, de celles que l’on a tous quelque part dans une boîte en tôle un peu cabossée ou dans des albums. Certaines sont mal cadrées. Les couleurs sont parfois un peu passées et rappellent les années 70/80. Quelques polaroids d’où émergent le portrait d’une petite fille, le regard hors cadre, la frange « aile de mouche » comme dirait ma mère, et une petite bouche en bouton de rose. Isabelle Monnin, après bien des hésitations, décide alors d’imaginer l’histoire fictive qu’illustrent ces photos.

Dans les romans d’Isabelle Monnin, il y a toujours le manque : le manque d’un enfant (Les vies extraordinaires d’Eugène), le manque d’une sœur (Daffodil Silver) et toujours le projet fou de les faire vivre, de les saisir dans leur essence. Mais peut-on saisir l’essence d’un être qui n’est pas soi ? Et que reste-t-il d’un être, de son histoire, de ses pensées ?

Le roman, les personnages rendent l’auteur victorieux. Il saisit l’essence d’un être fictif, tel qu’il nous est totalement impossible de le faire dans la réalité. Nous ne pouvons saisir que nous-même, et encore. Alors Isabelle Monnin trouve des prénoms aux gens dans l’enveloppe : la petite fille devient Laurence, l’homme au regard doux et un peu triste sera son père et s’appellera Serge, la vieille dame aux lunettes noires et à l’absence de sourire sera Simone. Il se lit dans ces photos une tristesse, peut-être un drame. Isabelle Monnin y perçoit l’absence d’une mère : le manque d’une mère.

Le livre est composé de trois parties : le roman imaginé à partir des photos, l’enquête menée par Isabelle Monnin pour retrouver les gens dans l’enveloppe et les textes de chansons écrites et composées par Alex Beaupain (malheureusement je n’ai pas eu le CD avec le livre et ne pourrait donc pas en parler) . C’est un objet étrange que ce livre (je ne parviens pas à l’appeler roman) qui mêle et entremêle la fiction à la réalité et la réalité à la fiction, qui rompt la frontière entre les deux. Qui mêle aussi les deux pans de l’auteur : romancière et journaliste. L’histoire imaginée par l’auteur est une histoire possible de cette famille et l’enquête révélera combien parfois la fiction rejoint la réalité. L’auteur le montre en mêlant des extraits de son roman aux révélations de son enquête. Il y a des révélations évidentes : La petite fille du roman, Laurence, s’appelle Laurence dans la réalité. Mais il y en a de plus subtiles, et l’écrivain devient médium.

Peut-être que ce livre va finalement au-delà de l’histoire racontée dans le roman. Ce n’est pas tant l’histoire imaginée qui importe et qui aurait aussi bien pu être autre, que ce rapport étrange entre fiction et réalité. Car où se situe réellement le roman ? Il y a cette expression idiote : « vivre sa vie comme un roman », comme si une vie de roman avait plus de valeur. Ici l’auteur nous dit que toutes les vies, même les plus insignifiantes à première vue, même les plus apparemment banales, peuvent être un roman. Comme la vie de la famille M., une famille de Français moyens, résidant dans un petit village perdu.

Toutes les vies valent d’être racontées. Et soudain je repense aux phrases de George Sand entamant son autobiographie, Histoire de ma vie. Je vois un parallèle évident, une même recherche : « L’oubli est un monstre stupide qui a dévoré trop de générations » (chap.1) – « Échappez à l’oubli, vous tous qui avez autre chose en l’esprit que la notion bornée du présent isolé. » (chap.2). Il me semble qu’Isabelle Monnin lutte aussi contre ce « monstre stupide », dans ses romans. Mais plus que l’histoire d’une vie qui ne conterait que des faits, qui ne relaierait que des anecdotes, la recherche de l’auteure va plus loin et en ce sens fait le contraire que George Sand : Je comprends seulement le sens de ce projet pour moi. Je cherche ce qu’il reste des Gens dans l’enveloppe pour que ma sœur ne disparaisse pas / Je me souviens d’eux pour ne pas l’oublier (p.347), tandis que Sand écrivait : Ecoutez ma vie, c’est la vôtre. C’est dans la vie des autres, des anonymes que l’on peut mieux se reconnaître plutôt que dans les auto-fictions d’auteurs narcissiques.

Je me suis toujours reconnue dans les romans d’Isabelle Monnin. Parfois à tel point que s’en était troublant. Mais ce n’est pas tant dans les faits que dans les sensations, les interrogations, les douleurs et plus que tout dans les manques.

Les Gens dans l’enveloppe est un livre contre l’oubli, mais aussi un constat d’échec. Une génération suffit pour qu’on oublie un prénom, une voix. Que nous reste-t-il une grand-mère, d’un père disparus trop tôt ? Des photos et des anecdotes. Mais de ce qu’ils étaient au fond d’eux ? Rien. C’est contre ce rien que se bat Isabelle Monnin dans ses romans et c’est ce rien aussi qui m’obsède bien souvent.

Merci à Isabelle Monnin pour ce livre et les précédents, pour ce fil tendu entre nous à travers eux et pour ces mots que nous échangeons parfois.

Livre lu dans le cadre du Challenge 1% Rentrée Littéraire (3/6)

challenge 1% 2015

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27 Commentaires

  1. Tu me donnes envie de découvrir cette auteure.

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  2. eimelle

     /  septembre 2, 2015

    j’avais bcp aimé Daffodil Silver, celui là me tente bcp!

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  3. Je ne connaissais pas du tout cette auteure et le point de départ de ce livre m’a l’air très intéressant

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  4. Ton billet est très beau. Je ne connais pas l’auteur (c’est le nom d’Alex Beaupin qui avait attiré mon œil !) mais tu donnes envie de la découvrir … Merci !

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  5. C’est une très belle chronique ! Je ne connaissais pas l’auteur, mais c’est Alex Beaupain qui m’a intrigué. Tu m’as convaincu, je le note avec grand plaisir !

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  6. Un objet étrange qui me fait de l’oeil…

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  7. Je vais regarder ça de plus près, j’aime beaucoup Alex Beaupain que je suis depuis des années ( et qui est vraiment très chouette en concert).

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  8. Je ne pensais m’arrêter devant ce roman, mais tu me donnes très envie =)

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  9. Merci George pour cet avis, un cri qui vient de l’intérieur, j’emprunte les paroles de B Lavilliers. C’est noté 🙂 bien envie de lire ce titre.

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  10. Décidément la question du lien qu’entretient la littérature avec le réel semble très présent en cette rentrée… Un thème en tout cas que je trouve passionnant.
    Voici une chronique qui éveille donc mon intérêt, pour un auteur que je ne connaissais pas.

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  11. Très envie de le lire

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  12. Bonsoir,
    Après avoir vu l’auteur sur le plateau de Rucquier où elle n’a eu que des éloges, après avoir lu le résumé et ensuite ayant lu chez toi, comme de loin, mon cœur m’avait déjà fait signe, j’ai compris que je vais l’acheter. Cela ne fait pas l’ombre d’un doute.
    Je ne connais pas l’auteur et m’en vais investiguer dans les autres livres. J’ai lu que ce n’était pas son premier.
    Quant au dernier livre de Christine Angot, je vais l’acheter aussi après avoir écrit le résumé d’un excellent livre traitant du même sujet et excentissime, malgré qu’il soit en vente chez Kindle et à un prix ridicule non justifié.
    À bientôt Georges, très bientôt. 🙂
    Bises
    Geneviève

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  13. Oups excellentissime…. !

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  14. J’ai très envie de lire ce roman, merci pour cette belle chronique !

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  15. J’ai failli l’acheter avant-hier ! ^^ C’est juste que je n’avais pas assez d’argent sur moi 😀
    En tout cas, tu me donnes encore plus envie de le lire

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  16. Il fait partie de ma sélection pour cette rentrée littéraire, d’abord j’aime beaucoup l’auteur, ensuite, tout de suite, ça m’a parlé ce drôle d’objet littéraire ;0) Je pense craquer pour lui très vite :0) Je mets ton billet dans vos plus tentateurs et te souhaite une très bonne rentrée, un bel automne et un parfait mois de septembre :0) Gros bisous

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  17. Ellettres

     /  septembre 16, 2015

    Je suis un peu réservée sur l’usage public réservé à ces photos intimes… (Comment sont-elles arrivées sur internet, ça c’est autre chose). Je suis sûre que l’auteure a eu le don de les transcender pour écrire une belle histoire. Mais le mélange réalité-fiction, sans que l’on ne sache vraiment s’il s’agit du lard ou du cochon, me retient un peu, je l’avoue…

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  18. Merci pour cette critique ! J’ai terriblement envie de le lire maintenant. Il faut que je vois s’il est à la bibliothèque.
    Je ne connaissais pas du tout l’auteur mais je sens que je vais l’aimer.

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  19. lirepour...

     /  novembre 15, 2016

    Ce roman est juste magnifique! Je le conseille et reconseille!

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à vous....