Samedi Sandien #26 : « Le Compagnon du tour de France » (1840)

Après deux semaine d’interruption, les Samedis Sandiens reprennent du servie, avec aujourd’hui un roman qui marque l’engagement de George Sand pour la cause du peuple. Ce roman naît de sa rencontre et de son amitié avec Agricol Perdiguier qui fit paraître, en 1839, le Livre du compagnonnage.

L’histoire se passe en 1823. Le comte de Villepreux engage le père Huguenin et son fils, Pierre, qui vient d’achever son tour de France de 4 ans, pour restaurer la chapelle de son château. Le père se blesse et Pierre demande alors à Amaury le Corinthien de l’aider dans les travaux de restauration. Dans la chapelle, un soir, Pierre découvre l’atelier de Mlle de Villepreux.  Il parcourt ses livres, ses antiquités, ses objets d’art, et tombe en admiration devant cette jeune fille instruite.

Par ce roman, George Sand rend compte d’idées qui lui sont chères : la valorisation du peuple, et ici un peuple artiste à travers la confrérie des Compagnons. Elle décrit donc de façon assez précise le fonctionnement du Compagnonnage, les rivalités entre les différents corps de métier, les symboles, les légendes liés à cette confrérie. Pierre Huguenin incarne le parangon du Compagnon, jeune homme beau, instruit, philosophe et mu par l’idée égalitaire et républicaine, très proche de Pierre Leroux. Mais ce socialisme dix-neuvième siècle est aussi emprunt de religiosité, et Pierre apparaît souvent comme le messie, c’est que, comme l’a écrit Michèle Hecquet (Poétique de la parabole : les romans socialistes de George Sand 1840-1845), les romans socialistes de Sand relèvent de la parabole. Ainsi Pierre prône l’entente du peuple, persuadé que la cause du peuple ne peut être portée que par le peuple lui-même et non par les classes dirigeantes, c’est-à-dire la bourgeoisie ou l’ancienne aristocratie. Pierre est une figure tutélaire, autoritaire, mais aussi rassembleuse, il incarne avant tout une idée, plus qu’un personnage, et son prénom n’est sans doute pas une simple coïncidence. On pourra parfois trouver plus sympathique les défauts d’Amaury, ses erreurs, ses hésitations, mais Pierre, par sa grandeur d’âme, est bien l’incarnation de l’utopie sociale de George Sand.

Parallèlement, le roman rend compte de deux histoires d’amour : la première entre Pierre et Yseult, la seconde entre Amaury et Joséphine, la jeune cousine d’Yseult. Deux amours aussi différentes l’une que l’autre, le premier établi sur une entente philosophique et intellectuelle, le deuxième établi davantage sur la sensualité, avec toutes les conséquences que celle-ci peut entraîner. Pierre et Amaury, bien que compagnons, représentent deux orientations différentes et donc vivent leur amour sur le même mode. Comme 7 épées dans la première partie de  La Ville Noire, Amaury veut réussir, faire sa place, tandis que Pierre a une vision altruiste et humaniste de son destin.

La figure du Comte de Villepreux est aussi intéressante. Il y a souvent dans les romans de George Sand ces figures patriarcales appartenant à l’ancienne aristocratie, pas nécessairement opposées au socialisme mais attachées encore à leur classe, et particulièrement sceptiques face à une république aux mains du peuple.

Ce roman n’est pas le plus simple de George Sand, mais il est intéressant dans sa description d’une confrérie, par les idées sociales qu’il véhicule, et également parce qu’il est particulièrement représentatif d’une période importante dans le parcours romanesque de George Sand : ses romans socialistes. Il ne faut pas être effrayé cependant car ce roman car il apporte un réel bonheur de lecture, et les intrigues amoureuses permettent d’insérer un peu de légèreté dans la narration.

Avec ce roman, George Sand marque l’ancrage politique du romantisme, un romantisme social tourné vers la cause du peuple, tel que Victor Hugo le développera également dans Les Misérables. George Sand montre que l’artisan est aussi un artiste du quotidien.

Je voudrais finir sur une anecdote personnelle. Il y a plusieurs années, alors que j’étais en DEUG de lettres, et encore loin de ma rencontre avec George Sand, j’ai donné pendant un an des cours de Français à des Compagnons du Tour de France dans une commune près de Grenoble. Dans la salle de cours, il y avait une vitrine dans laquelle était exposé un exemplaire du roman de George Sand. Ce roman eut un grand retentissement dans le monde du compagnonnage, et l’a encore aujourd’hui. Pour moi, cette étrange rencontre, m’apparaît aujourd’hui comme un premier signe de mon amour pour George Sand, comme un signe, l’un des premiers… car il y en eut plusieurs par la suite.

Billet écrit dans le cadre du Challenge George Sand , des Samedis Sandiens et du Challenge Romantique.

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15 Commentaires

  1. Ravie de retrouver tes samedis sandiens !! 🙂
    Ce roman m’intéresse, mais j’ai pris une bonne résolutions en sortant de la librairie (chargée comme un mulet) tout à l’heure : ne plus acheter ni emprunter de livres tant que je n’aurai pas lu ceux que j’ai déjà (et surtout tant que je n’aurai pas une autre bibliothèque !!!)

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  2. Ho ho les résolutions de Lili 😆 Dire que mon arrière grand-père était compagnon ! Et je n’ai jamais vu ce livre de près ou de loin, comme quoi il était temps que tu recommences tes samedis ! Très beau billet ! Et instructif…

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    • elle est comique cette Lili 😀
      Il est en poche et souvent présent dans les librairies, si vraiment tu ne le trouves pas et que lire un livre avec des phrases soulignées au crayon à papier ne t’ennuie pas trop, je peux te prêter mon exemplaire, d’ailleurs il me semble que je devais t’en prêter d’autres, non ?

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  3. Comme toujours fantastique commentaire. J’ai beaucoup admiré cet ouvrage, cet atmosphère si particulière, il est toujours mon favori, le premier de tous ceux que j’ai lus. L’an prochain, je ferai aussi un article sur cette œuvre, probablement pour clôturer ce challenge. A Troyes, nous avons aussi le musée du compagnonnage, une école des compagnons du devoir, et une merveilleuse bibliothèque à la maison de l’Outil et de la Pensée Ouvrière, où l’on peut trouver l’œuvre de George Sand et celui d’Agricol Perdiguier. Des compagnons en tenue sillonnent parfois nos rues piétonnes.
    Vous pouvez encore jouer à trouver la lettre mise à l’honneur l’an prochain sur mon blog. Pour ceux et celles qui suivent ce challenge, vous pouvez aussi trouver le nom du prochain auteur sur mon blog en 2012. (Pour vous mettre sur la piste : Il évolue entre George et Pauline).

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    • Ce n’est pas mon préféré car je le trouve un peu trop « parleur », mais nous plonge vraiment dans l’univers des compagnons et on en apprend beaucoup !
      J’aime tes énigmes !!!

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  4. Ravie de ce retour de tes « Samedis Sandiens »! Surtout avec un tel roman! Le thème du compagnonnage est aussi intéressant que mystérieux. La maison du compagnonnage à Échirolles est tellement bel édifice, tout à fait dans l’esprit de la région. Malheureusement, même si elle est parfois ouverte au public, il me semble, je n’ai jamais osé en franchir le seuil.
    Pour ce qui est du thème du compagnonnage dans les livres, j’avais été très marquée par la lecture de « La canne aux rubans » de Jean Grangeot… Roman passionnant sur le sujet qui, s’il en dévoile quelques pans, ne lasse pas de laisser courir l’imagination son « mystère » 😉

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    • Voilà c’était à Echirolles 😉 ! Je ne connais pas le roman de Grangeot, mais j’espère que celui de Sand te plaira si tu te décides à le lire ! merci pour ta fidélité à ce rendez-vous !

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  5. Comme toi j’ai beaucoup aimé ce roman même s’il n’est pas parmi mes préférés; merci pour ce beau billet qui contribue à notre challenge romantique.

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    • Ton billet sur ce roman est nettement supérieur au mien, bien plus dense ! je te le redis encore mais j’adore ton challenge ! je viens de trouver un roman d’Ann Radcliffe !!!! ah le romantisme noir !!!!!!

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