Pierre Salomon et Jean Chalon : biographes de George Sand

salomon bio sandJ’ai passé mon après-midi d’hier à lire la fin des biographies de George Sand, l’une de Pierre Salomon, George Sand, l’autre de Jean Chalon, Chère George Sand. Je me suis concentrée sur les dix dernières années de la vie de George Sand, période de sa vie que je connaissais le moins comme si je m’étais, jusqu’à présent, refusé de voir, de lire ce qui concerne la fin de vie de George Sand. Je me souviens d’ailleurs de n’avoir jamais terminé la bio écrite par Maurois un peu pour cette raison.

Lire en simultanée deux biographies sur le même auteur et sur la même période est une expérience un peu particulière dont je voulais vous parler. Si les deux biographes reprennent en gros les principaux moments clefs de la vie de Sand entre 1865 et 1876, le traitement est un peu différent.

Sans doute faut-il tenir compte des dates de publications de ces biographies. Celle de Pierre Salomon date de 1953, celle de Chalon de 1991. La biographie générale que je préfère à propos de George Sand reste celle de Joseph Barry, George Sand ou le scandale de la liberté parue en 1982, très complète et enrichie de nombreux extraits de ses œuvres et de sa correspondance, elle correspond exactement à ce que j’attends d’une biographie.

Pierre Salomon était un homme érudit, professeur agrégé puis proviseur du Lycée Buffon à Paris. Sa biographie s’intéresse à l’œuvre de Sand et non principalement à ses amants. Jean Chalon est journaliste et écrivain. Quand on consulte sa biographie, on constate qu’il s’est spécialisé dans les biographies de femmes célèbres. Si le premier publie dans une collection qui se définit comme littéraire, le second, chez Flammarion, touche une cible de lecteurs plus élargie. Une professeur d’université spécialiste de Sand m’avait d’ailleurs confié que Jean Chalon n’avait fait que des copiés-collés d’autres bio et que son Chère George Sand n’apportait pas grand chose de neuf pour les spécialistes.

chalon bio sandJe ne me considère pas comme une spécialiste de la vie de George Sand, j’ai encore beaucoup à apprendre. Je crois connaître relativement bien son œuvre mais plusieurs aspects biographiques me restent mal connus, si bien que la lecture des biographies m’apporte toujours beaucoup et j’aime notamment apprendre de petites anecdotes qui me la rendent plus proche. Les biographies m’aident surtout à mieux saisir ses convictions, ses réactions face à certains évènements historiques (comme la Commune par exemple) et sans doute à mieux lire ensuite sa correspondance.

Mais ce qui m’a étonnée avant tout est la façon dont est abordée l’œuvre de George Sand. Jean Chalon reste assez silencieux, se contentant la plupart du temps de citer les œuvres sans en montrer l’intérêt, notamment concernant les derniers romans et se concentrant surtout sur les évènements de sa vie de femme oubliant un peu l’écrivain.

Mais c’est Pierre Salomon qui m’a le plus surprise. Est-ce dû à l’époque de la publication de cette biographie et au fait que les études sur l’œuvre de Sand étaient encore peu développées, mais j’ai noté dans les dernières pages de la biographie écrite par Salomon, des jugements assez durs sur son œuvre. George Sand écrirait presque mécaniquement, sans conviction, en reprenant toujours les mêmes ficelles et essentiellement emportée par son imagination : l’absence d’efforts entraîne l’automatisme (p.164) ; la technique n’est jamais au point (p.165). Son talent résiderait dans son observation de la nature et dans sa capacité à la restituer dans son œuvre. Certaines phrases m’ont fait quelque peu bondir comme : Elle arrange ses souvenirs, elle idéalise son rôle avec une naïveté désarmante (p.161). Ah les femmes peuvent être tellement désarmantes ! Les dernières pages de la biographie de Pierre Salomon ne sont guère à l’avantage de Sand : sa pensée devient timorée (p.160) ; elle mendia trop souvent les faveurs impériales (p.160) ; la matière de cette œuvre si vaste, c’est avant tout la personnalité de son auteur (p.161). Je ne sais si c’est moi, mais il me semble lire là une certaine condescendance qui gomme toute la matière romanesque de Sand et notamment l’intérêt littéraire de son œuvre qui se réduit à n’être qu’un épanchement sentimental inspiré de sa propre vie. Même dans les compliments Salomon semble ne pas pouvoir s’empêcher de glisser quelques nuances : Le Péché de monsieur Antoine, Le Meunier d’Angibault, ne sont pas aussi « intolérables » (p.162), donc ils le sont un peu quand même.

J’ai été très étonnée de ce jugement critique et peu flatteur de l’œuvre de Sand de la part d’un biographe. Non que les biographies doivent être des hagiographies, et il est normal de soulever dans la vie des grands hommes ou des grandes femmes leurs faiblesses, leurs revirements, cependant les jugements émis sur son œuvre me semblent très réducteurs. George Sand était la première à juger son œuvre avec légèreté, même si parfois ce jugement était surtout le résultat d’une humilité certaine et du fait qu’elle ne se prenait pas au sérieux, mais les études multiples sur son œuvre ces dernières années ont bien montré depuis lors que les romans de Sand ne sont pas que des romans de bonnes femmes et que les derniers romans, ceux écrits après 1860 (et que souvent on connaît moins bien car ils sont peu réédités) révèlent autre chose d’un simple romanesque réchauffé.

Ces biographies sont donc teintées, et le titre de celle de Chalon le souligne parfaitement, des préjugés qui ont toujours eu cours sur Sand. Même si on lui reconnait une œuvre engagée, cette imagination toute féminine, cette folle du logis, témoigne bien des jugements toujours un peu dépréciatifs que les hommes portent sur les œuvres des romancières. D’ailleurs pour Salomon, Sand est plus une conteuse qu’une romancière ce qui finit de m’achever !

Une lecture donc qui, si elle m’a permis de mieux connaître les évènements qui ponctuèrent les dix dernières années de la vie de Sand, me laisse un goût amer sur le jugement émis sur son œuvre.

Biographies lues dans le cadre du Challenge George Sand, et du Challenge Romantique.

challenge-george-sandchallenge romantique

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22 Commentaires

  1. peut-être que le romantisme était mal perçu à l’époque de Salomon…ceci pourrait expliquer cela !

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  2. Ce billet est passionnant et à plus d’un titre.
    George Sand m’intrigue mais je n’ai que très peu lu ses écrits à part sa correspondance et là j’ai été enthousiasmé par l’intelligence, la vivacité, la profondeur de cette femme et surtout cette amitié indéfectible qu’elle accorde et qu’elle célèbre dans ses lettres
    Chez Claudialucia comme chez toi j’ai été titillée et j’ai acheté son autobiographie publiée en Quarto mais elle attend sagement dans ma bibliothèque que je me décide et j’avais envie de la lire en lisant en parallèle une biographie
    A lire ce billet je vais opté pour Joseph Barry dont la bio est accessible en poche.
    je ne suis pas étonnée par tes interrogations sur Jean Chalon dont je n’ai que très moyennement apprécié d’autres écrits.
    Quant à la dent dure de cet universitaire on peut sans doute y lire une misogynie rampante car comme tu le dis pourquoi écrire une bio d’un écrivain sans talent ?

    je suis aussi très intéressée par cette lecture parallèle car je voudrais dans quelques temps faire un billet sur la lecture de la bio de Dostoïveski vu par deux biographes, pas facile de réussir ça et je dois dire que ton billet me donne de l’entrain 🙂

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    • J’adore sa correspondance car on est vraiment dans son quotidien, dans ses pensées. Histoire de ma vie est passionnant aussi si on passe un peu toute la première partie dans laquelle Sand recopie voire réécrit les lettres de son père, ensuite c’est du délice !
      Chalon et Salomon ne visent pas du tout le même lectorat, ce serait même un peu les deux extrêmes, mais celle de Salomon est sans aucun doute un peu désuète, il l’avait corrigée d’ailleurs dans les années 80, je crois, il faudrait voir quels changements il a opérés.
      J’ai hâte de lire ton billet sur les biographes de Dostoïveski et suis contente de t’avoir boostée !

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  3. Je suis d’accord avec Dominique, ton billet est très instructif, je n’ai lu aucune boigraphie jusque là, je n’aurais probablement pas pensé m’y lancer mais je vais me laisser tentée par celle de Joseph Barry.

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  4. Bravo pour ton billet. Dans les années 50, Sand était considérée comme une auteure jeunesse. J’ai d’ailleurs lu beaucoup de ses livres à l’adolescence. Je pense qu’il faudrait que je me repenche vers George.
    Merci pour ton éclairage

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  5. ton approche est très intéressante. C’est vrai que Jean Chalon est un peu « précieux » et tourné vers l’anecdotique, les bios plus « scientifiques » sont intéressantes pour l’approche littéraire mais quelque part les deux se complètent et chacune a ses mérites

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  6. J’avais lu il y a bien longtemps celle de Jean Chalon. Je crois qu’elle ne m’avait pas déplu mais, toujours (ou plutôt déjà) psychorigide, je m’étais interrogée sur la fiabilité de ses dires, du fait de son curriculum vitae. Je note donc celle de Joseph Barry, puisqu’elle a tes faveurs.

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    • Chalon est un « pro » des bio, il en a fait à la pelle ! Je préfère les bio qui citent des extraits des œuvres et s’attachent à leur étude et celle de Barry en cela est très bien !

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  7. Oui, je trouve que cela fait bondir, c’est toujours cette même propension misogyne à montrer que les auteurs femmes ne sont pas « capables » au même titre que les hommes. cela me fait bouillir !

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  8. Ce que vous dites de cette lecture « croisée » est passionnant. On constate encore une fois combien les biographies sont différentes en fonction des époques – les lectures évoluent-, mais aussi combien les regards sur une oeuvre sont souvent marqués par le sexe du biographe : ne pensez-vous pas que ces deux biographies le montre ? Jean Chalon (dont j’ai beaucoup aimé le livre sur Alexandra David-Néel) évoque sa vie amoureuse (puisque c’est une femme, elle a eu beaucoup d’amants, elle était libre…..) et l’autre critique son style qu’il juge négativement, ce qui nous rappelle qu’Aurore s’est fait appeler George….
    Merci.
    Bonne journée !

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    • Merci !
      Il n’y a plus eu de bio générale sur Sand depuis celle de Barry. Mme Bloch-Dano a écrit une bio sur la période Manceau qui était intéressante aussi. Pour avoir une vue globale il est bien de lire plusieurs bios quand on le peut !

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  9. Je n’arrive pas à accrocher aux biographies…

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  10. Bien, au moins il ne la traite pas de nymphomane! Que veux-tu George Sand a deux tares pour un écrivain dans la société française : c’est une femme et elle est régionaliste!!
    Je lis en ce moment la biographie de John Barry…
    Souvenirs de Nohant est un texte assez court écrit par sa petite fille Aurore. Il figure à la fin des Contes de grand mère mais il faut que je vérifie auprès de ma fille dans quelle édition de poche car le bouquin lui appartient. Je te le dirai.

    J’ai un peu tardé à venir lire ton texte car je ne suis plus avertie quand on dépose des messages chez moi; ça ne fonctionne pas et c’est gênant !
    Bon week end!

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    • Oui c’est déjà ça !
      J’avais beaucoup aimé la bio de John Barry parce qu’il cite beaucoup d’extraits de l’oeuvre. Il faudrait que je la relise d’ailleurs.
      Pour les souvenirs d’Aurore Sand, effectivement je viens de découvrir grâce à toi que je l’avais à la fin des contes d’une grand-mère chez GF !! Merci pour cette info !
      Très bon WE à toi aussi ! J’ai lu avec grand plaisir tes billets sur ton voyage chez Sand !

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  11. Fred

     /  juillet 4, 2014

    Attention. Il est peut-être sincère et a peut-être raison. Je dis bien peut-être et il a peut-être tort, comme il est peut-être de mauvaise foi, je n’exclus rien, il faudrait voir… Mais si la génialité de l’artiste est acquise à partir du moment où il s’agit d’une femme, si un homme, dès lors, est coupable et macho de dire : « pas si bon que ça… » les femmes vont bientôt se complaire dans l’autosatisfaction béate (nous les fâââââmmes) et la flagornerie. Je n’ai lu que « La petite fadette » dans ma jeunesse : j’en conserve un souvenir sympathique et plutôt agréable, mais honnêtement : un peu gnan-gnan, vous ne trouvez pas ? D’ailleurs est-ce qu’on lit encore tous ces amoureux de la bucolie du XIXe ? Est-ce qu’on lit encore Joseph de Pesquidoux ? C’était pourtant un barbu lui ! 😀

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    • Je peux comprendre votre avis même si je ne suis pas d’accord avec le raccourci que vous faites du mien. Loin de moi, l’idée de juger du génie d’une romancière sur le seul fait qu’elle soit une femme. N’avoir lu qu’un seul roman d’un auteur permet difficilement, je pense, de juger d’une oeuvre de plus de 90 romans d’autant que « Fadette » s’inscrit dans une période bien particulière de la vie de George Sand, et qu’elle ne peut résumer à elle seule la variété de son oeuvre. Comme vous, beaucoup lisent « Fadette » dans leur jeunesse, comme un roman jeunesse et bien souvent s’en tiennent là ou, au mieux, lisent « François le Champi » ou encore « La mare au diable ». Comme je le disais ces biographies datent un peu et ont tendance à négliger l’oeuvre au profit de la vie de cette auteure dont la personnalité a trop souvent étouffé son oeuvre auprès du public. Oui, on lit encore George Sand et heureusement, car une oeuvre mérite toujours d’être redécouverte.

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à vous....