Samedi Sandien #8 : « Valentine » (1832)

Valentine fait partie des romans de jeunesse de George Sand. Après la parution de son premier roman Indiana, elle a publié des textes courts, Valentine est donc un retour au roman. Les années 1830 marquent l’arrivée de la seconde génération de romantiques. George Sand a 24 ans quand paraît Valentine.

Ce roman est un drame romantique. Valentine de Raimbault, jeune fille sensible, mélancolique et cultivée est sous l’emprise de sa mère, la Comtesse de Raimbault, deuxième épouse du Comte, mort sur les champs de bataille de Waterloo. Femme vaniteuse, fière de son titre de noblesse acheté grâce à sa fortune, la Comtesse compte marier sa fille à un bon parti, et la prépare, par une éducation superficielle à un mariage de raison. Le retour dans le pays, le Berry, de Louise, fille du premier lit du comte, et chassée par la Comtesse, va bouleverser le fragile équilibre édifié par cette dernière.

Le roman se partage entre une atmosphère bucolique et une pesanteur aristocratique incarnée par la Comtesse. Valentine trouve une oreille attentive en Bénédict, ami d’enfance, orphelin recueilli par la famille Lhéry, et issu d’un milieu paysan, pauvre. Cette amitié est bien évidemment fortement critiquée par la Comtesse, et les deux amis se voient en cachette dans une cabane au fond des bois. Là ils parlent d’art et de peinture, ilot protégé, mais menacé. Si j’ai parlé de drame, c’est bien que, petit à petit on sent monter la tension, l’étau se referme de plus en plus sur Valentine et Bénédict, un étau fait de préjugés de classe, de quiproquos et autres jalousie…

Déjà esquissé dans Indiana (dont je parlerai prochainement), le mariage de raison, l’utilisation des filles pour asseoir un nom, une respectabilité est ici, aussi, fortement dénoncé par Sand. Mais au-delà de la dénonciation du mariage d’intérêt, c’est bien à la noblesse, et surtout à la noblesse d’Empire, la nouvelle noblesse, orgueilleuse, à laquelle Sand s’attaque. Car si l’on peut acheter un titre, on ne peut acheter la noblesse d’âme, la plus essentielle. Et Bénédict, simple fils de paysan est, en cela, bien plus noble que la Comtesse.

Ce roman préfigure déjà, me semble-t-il, les romans sociaux de George Sand. Ici les nobles, les bourgeois, les paysans se croisent, s’affrontent, se font souffrir. Seuls Bénédict et Valentine, purs dans leurs sentiments, sont épargnés et pourtant ils seront sacrifiés. L’espoir naît cependant, comme souvent avec Sand, de la génération à venir, comme si, fort de l’expérience de leurs ancêtres, ils parvenaient à réparer les erreurs commises pour édifier un monde meilleur.

Car l’autre thème important du roman est le sort des filles-mères. George Sand, dans beaucoup de ses romans, évoquent le sort de ces femmes séduites puis abandonnées, qui ont eu un enfant illégitime. Rejetées par leur famille, elles se trouvent démunies, seules. Mais l’originalité de George Sand n’est pas de faire de cette fille-mère un personnage inattaquable. Avec Louise, demi-soeur de Valentine, George Sand ne crée pas pour autant un personnage empathique. Le rachat de son erreur de jeunesse ne passera pas par elle, c’est son fils, Valentin, qui lui permet d’obtenir le pardon de sa grand-mère. La ressemblance de Valentin avec son grand-père et sa tante va lui permettre de réintégrer son rang dans la famille. Cela rappelle incontestablement un épisode biographique important dans la mythologie familiale de Sand. En effet, Maurice Dupin (père de Sand) a épousé Victoire contre l’avis de sa mère. Celle-ci, malgré l’amour qu’elle porte à son fils, refuse de le revoir et de connaître sa fille, Aurore-George Sand. Maurice va donc se livrer à un stratagème. Il fait introduire la petite Aurore chez sa mère. Celle-ci la recueille, la prend sur ses genoux et constate alors qu’elle ressemble fortement à son fils… arrive alors Maurice… le pardon est accordé (du moins provisoirement). Là encore la reconnaissance par la ressemblance entraîne le pardon et l’intégration dans la famille. Comme dans la biographie, dans Valentine, la reconnaissance, le pardon sont donnés par l’aïeule. Mais au-delà du simple parallèle biograhique, qui n’a qu’un intérêt secondaire, le thème de la ressemblance est un thème récurrent dans l’oeuvre de George Sand. On perçoit donc, dans ces premiers romans, des thèmes qui seront repris, et développés dans les romans futurs et parfois plus aboutis.

Quoiqu’il en soit, ce roman a beaucoup d’intérêts, présentés comme un « petit » roman, on se rend compte, en y regardant de plus près, qu’il  en dit plus qu’il ne semble le faire croire.

Bien à vous

 

Je vous laisse découvrir l’avis de Canthilde qui a également lu ce roman !


 

 

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29 Commentaires

  1. Une fine analyse qui me plaît. J’ai commandé plusieurs livres devant arriver lundi dont un court roman de Sand au titre féminin 😉

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  2. J’aime bien ton analyse de la véritable noblesse opposée à l’aristocratie pesante. Ce qui m’a frappée, c’est la recherche d’un amour idéal, irréprochable, qui pousse très loin l’abnégation. Il y a aussi le thème de la médisance dans les petites villes, qui se déchaîne pour le moindre écart, bien connu de G. Sand elle-même !

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    • leslivresdegeorgesandetmoi

       /  mars 5, 2011

      Oui c’est vrai que la recherche de l’amour idéal dans lequel l’homme et la femme sont sur le même pied d’égalité est un motif que l’on retrouve souvent dans les romans de Sand ! Et oui la médisance, Sand l’a bien connue, comme tu le fais remarquer 😉

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  3. Effectivement, les romans de sand sous une intrigue romanesque ou parfois fantastique ont souvent un intérêt social… je note ce titre que je ne connaissais pas du tout !

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    • leslivresdegeorgesandetmoi

       /  mars 5, 2011

      Malheureusement encore un roman difficile à trouver du moins un seul volume ! j’espère qu’il te plaira !

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  4. J’aime ce côté « petit roman » qui en dit plus long qu’il n’y parait… Cela semble fréquent, voire même systématique, dans les roman de Mme Sand, n’est-ce pas?… J’ai attendu ton article tout l’après-midi, ou presque, et je suis bien contente de pouvoir faire cette nouvelle découverte…
    Lors de ma dernière virée chez mon libraire, je ne trouvais que ses romans champêtres et, renseignement pris, seuls des livres regroupant plusieurs titres pouvaient éventuellement être commandés… Celui qui illustre ton article ressemble beaucoup à la couverture que m’a montré la libraire alors… Mais bon, j’avais les bras déjà bien chargés, je n’ai pas osé… Une prochaine fois… 😉

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    • leslivresdegeorgesandetmoi

       /  mars 5, 2011

      Tu deviens un vraie sandienne !!! Désolée d’avoir tardé, j’ai eu une journée assez chargée et je suis fatiguée (levée à 5h du mat. en m’étant couchée à minuit!!!), d’où le retard, et avec la fatigue, écrire ce billet a pris encore plus de temps 😦 !
      Ces livres dont tu parles doivent effectivement être ceux édités par Omnibus et qui rassemblent soit les années des années 1830, soit les romans dont les personnages sont des artistes !

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      • Rhôôô, mais tu n’as pas à te justifier voyons ;-)… C’est juste qu’à plusieurs reprises dans l’après-midi, je me suis dit : « Tiens, est-ce que le billet du Samedi Sandien de George est sorti, ou pas encore?… » 😉

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        • leslivresdegeorgesandetmoi

           /  mars 6, 2011

          C’est que j’aurais bien aimé l’écrire plutôt mais j’étais vraiment trop fatiguée, j’ai fini la journée sur les rotules ! Savoir que tu attends ces billets sandiens me fait en tout cas très plaisir et me motive pour continuer ! merci à toi donc ! 🙂

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  5. voir mon prénom écrit sur un écran me fait tout de suite freiner pour en savoir plus, car il faut se l’avouer, il est loin d’être le plus récurrent. Quelle surprise de voir qu’un roman de George Sand l’avait pour titre…ça, accompagné de ton avis, me donnent envie de découvrir ce roman…ainsi que George Sand.
    D’ailleurs à propos de ça, quel ouvrage conseillerais-tu à quelqu’un voulant découvrir cet auteur?

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    • leslivresdegeorgesandetmoi

       /  mars 5, 2011

      Quel beau prénom tu as ! j’avais offert ce roman à une amie dont la fille porte aussi ce prénom !
      Pour découvrir Sand, tu peux lire « Indiana » (son 1er roman) ou « Mauprat » que je conseille souvent, sinon il y a un roman que j’aime beaucoup « Mademoiselle Merquem » que tu trouveras chez Babel en poche ! Pour les bio je te conseille celle de Joseph Barry qui existe aussi en poche !!
      Voilà 😉 bonnes lectures !

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  6. Il faudra vraiment un jour que je relise un Sand, ce n’est pas arrivé depuis mon adolescence!

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    • leslivresdegeorgesandetmoi

       /  mars 6, 2011

      Ce n’est pas moi qui vais te dire le contraire 😉

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  7. Nounours

     /  mars 6, 2011

    salut,

    Encore une belle lecture en perspective! il me manque la disponibilté d’esprit car je suis une tortue !!!!!!!
    a+
    Nounours

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    • leslivresdegeorgesandetmoi

       /  mars 6, 2011

      Ce roman n’est pas très épais et il se lit très bien, le tout est de parvenir à la dénicher !
      J’ai bien reçu votre mail, j’ai opéré la modification pour ce commentaire ! à bientôt

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  8. Tu en parles drôlement bien. Je t’imagine près de l’âtre dans la cuisine de Nohant, ou dans un champ face au Moulin d’Angibault, tu serais notre conteuse.

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    • leslivresdegeorgesandetmoi

       /  mars 6, 2011

      Merci dame Syl. !! ah parler de Sand à Nohant, ça doit avoir une autre dimension !!

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  9. Le thème de Valentine me rappelle celui du roman social que je viens de terminer : Le compagnon du tour de France… Il faut que je fasse un billet sur ce livre cette semaine.

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    • leslivresdegeorgesandetmoi

       /  mars 7, 2011

      « Valentine » est assez différent quand même, déjà moins engagé que « le compagnon… » et les figures féminines sont plus intéressantes je trouve dans « le compagnon… »J’ai hâte de lire ton billet sur ce roman !

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  10. Ça a l’air vraiment bien, encore ! Je note 🙂

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    • leslivresdegeorgesandetmoi

       /  mars 7, 2011

      C’est un des premiers romans de Sand que je préfère !

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  11. Bonsoir George,
    En attendant de trouver le deuxième tome du Compagnon du tour de France, j’ai commencé hier soir Valentine.
    A bientot pour les billets sur mon blog. Impatiente de retrouver la rubrique des samedis sandiens. Bonne semaine

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    • leslivresdegeorgesandetmoi

       /  mars 22, 2011

      Samedi avec le salon du livre je n’ai pas eu le temps de faire mon samedi sandien, mais il reprend samedi prochain 😉
      J’ai hâte de lire tes billets 🙂

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      • Sand fait parti peut être de ma thérapie. Soyez patiente pour les billets, entre deux j’ai aussi lu Brida le dernier Coelho, dont j’adore les voyages initiatiques, il faut que je revois d’ailleurs la fin car je devais avoir la tête bien encombrée ce jour là.
        Je prends gout à George SAND, j’aime beaucoup la vie du XIX ème siècle.

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        • leslivresdegeorgesandetmoi

           /  mars 23, 2011

          Je suis heureuse que Sand vous plaise, pour les billets faites à votre rythme, il y a aucun problème !

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  12. la grande femme de lettres te fait une dépêche de sa peau dans chaque mot

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à vous....