« L’abbaye de Northanger » Jane Austen

Après ma lecture du roman d’Ann Radcliffe (L’italien et le confessionnal des pénitents noirs), j’étais fin prête pour entamer la lecture de L’Abbaye de Northanger de Jane Austen. Paru de façon posthume en 1818, ce roman ne fait pas parti des plus connus des romans de Jane Austen. Ce roman est composé en deux parties distinctes : une première qui entraîne l’héroïne, Catherine Morland, à Bath, ville de bains bien connue des lectrices de notre romancière anglaise. Là, elle fait la connaissance d’Isabella Thrope, mais aussi de Henry Tilney, jeune homme charmant, et de la soeur de celui-ci. Dans une deuxième partie, invitée par M. Tilney père, elle se rend à l’abbaye de Northanger, bâtisse ancienne dans laquelle Catherine se prend pour une héroïne des romans gothiques d’Ann Radcliffe.

Si j’avais été quelque peu déçue par Raison et Sentiments, je dois avouer que ce roman m’a transportée. Les pages se sont tournées allègrement et facilement. Mais ce roman n’est pas un roman austiennien comme les autres. Il y a, me semble-t-il une réflexion sur le roman, et notamment à travers une réflexions sur les romans gothiques très en vogue à l’époque de l’écriture de L’Abbaye de Northanger. Rappelons que Les Mystères d’Udolpho, d’Ann Radcliffe, paraît en 1794 au moment même où Austen entame l’écriture de son propre roman!

Dès le début Austen crée un style particulier qui rompt l’illusion romanesque :

Et maintenant je peux envoyer mon héroïne au lit (p.111)

ou encore :

je dois avouer que son amour provenait de rien d’autre que d’un sentiment de reconnaissance. En d’autres termes, la seule raison à l’origine de son intérêt pour elle avait été la conviction qu’elle avait un faible pour lui. Voilà qui est nouveau dans un roman, je le reconnais, et qui porte une terrible atteinte à la dignité de l’héroïne (p.286)

A ce procédé, elle adjoint une défense du roman :

Oui, des romans; car je refuse de suivre cette coutume mesquine et maladroite, si répandue parmi les romanciers, qui consiste à dénigrer par une censure méprisante les oeuvres dont ils contribuent eux-mêmes à accroître le nombre. Ceux-là vont jusqu’à rejoindre le clan de leurs pires ennemis pour proférer à l’égard de tels écrits les condamnations les plus sévères et à n’autoriser presque jamais leur héroïne à les lire. S’il lui arrive par mégarde d’ouvrir un roman, celle-ci ne manque jamais de le feuilleter avec dégoût. Hélas! Si l’héroïne d’un roman ne peut pas être défendue par l’héroïne d’un autre, de qui peut-elle espérer protection et respect? Voilà ce que je ne peux approuver. Laissons aux critiquees littéraires le soin de dénigrer à loisir « ces produits de l’imagination » et, à la parution de tout nouveau roman, celui de parler en formules rebattues de ces inepties qui font à présent gémir la presse. Ne  nous abandonnons pas les uns les autres. Nous constituons une profession outragée…. (pp.48/49)

Ces remarques nous forcent à reconsidérer ce roman sous un autre jour. Certes Austen écrit là un roman austennien, mais va plus loin en démontant également son art romanesque. Le fait de faire de Catherine Morland une lectrice assidue d’Ann Radcliffe nous pousse à nous interroger sur notre rôle de lectrice de roman, et notamment de romans de Jane Austen. Austen, romancière du sentiment, parle à plusieurs reprises de Radcliffe, romancière du terrifiant et du fantastique. Elle fait de son héroïne une jeune fille naïve, influée par ses lectures, et ne sachant appréhender la réalité des relations humaines, des mesquineries, des sous-entendus des relations sociales. Tout en créant une héroïne à l’imagination fertile, Austen ne se dépare pas de sa défense du roman : il semble y avoir une volonté générale de décrier le talent des romanciers, de sous-évaluer leur travail et de dédaigner des ouvrages qui n’ont à leur crédit que le génie, l’esprit et le bon goût (p.49).

La place de cette réflexion dans l’économie du roman (soit dès les trente premières pages du roman) est intéressante à considérer alors même que les références aux romans de Radcliffe sont nombreuses. Je ne crois donc pas de Jane Austen fasse une critique des romans de Radcliffe, bien au contraire, elle cherche à montrer la diversité des  romans féminins. Le fait que M. Tilney fils aime également les romans de Radcliffe en est pour moi une preuve, une reconnaissance de la littérature féminine. Finalement, dans son roman, elle fait la preuve de ce qu’elle affirme dans sa longue digression sur la défense du roman : Si l’héroïne d’un roman ne peut pas être défendue par l’héroïne d’un autre, de qui peut-elle espérer protection et respect? (p.48)

L’abbaye de Northanger est donc un roman dans le pur style de Jane Austen, mais va plus loin dans une réflexion aboutie sur le roman anglais féminin !

Note 9/10

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27 Commentaires

  1. Je n’ai pas lu celui-là par contre je viens de finir Mansfield Park et c’est le premier Jane Austen que j’ai adoré. Il vient avant Orgueil et préjugés.
    Je ne sais pas quand je publierai ma critique

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    • leslivresdegeorgesandetmoi

       /  décembre 16, 2009

      Je n’ai pas encore Mansfield Park mais j’ai lu beaucoup de bonnes critiques à son sujet… une prochaine lecture donc !

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  2. tu as été decue par raison et sentiment ? naaan j’y crois pas. donne toi une claque !!
    Moi aussi je l’adore L’abbaye de Northanger . il change des autres !

    tu as lu Juvenilia ? C’est drole comme tout et surprenant de la part de Jane Austen !

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    • leslivresdegeorgesandetmoi

       /  décembre 16, 2009

      Si j’ai été déçue c’est surtout parce que j’avais vu le film au moins 5 fois et la lecture du roman a été poluée par les images du film !
      J’ai Juvanilia dans ma Pal, mais je ne l’ai pas encore lu, mais j’y compte bien ! 😉

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  3. Moi aussi je l’ai beaucoup aimé !!! J’ai hâte que Angélita publie sa critique (je relirai peut être le roman sous un autre œil alors).

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    • leslivresdegeorgesandetmoi

       /  décembre 16, 2009

      Angélita lit essentiellement des romans policiers et c’est donc très intéressant de lire ses critiques de Jane Austen.

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  4. De toute façon, c’est jane Austen, alors…

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  5. je le rajoute a ma liste

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  6. Je vais le noter car je participe au challenge Jane Austen…

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    • leslivresdegeorgesandetmoi

       /  décembre 16, 2009

      J’adore ce challenge Jane Austen, étendre la lecture des romans aux adaptations ciné c’est vraiment une bonne idée !

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  7. Pas lu encore, mais j’ai hâte! ^^

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  8. J’ai lu tout Jane Austen il y a quelques années….après avoir vu le film Northanger Abbey il y a peu (j’ai eu le sourire aux lèvres pendant tout le visionnage), j’ai relu le roman que j’ai beaucoup apprécié, l’ai aussi dévoré en 2 soirs….et l’ai aussi trouvé drôle. Bref je suis ressortie à nouveau ravie d’une lecture de Jane Austen.
    Prochaine lecture Raisons et sentiments….et j’espère ne pas être déçue!!!!!

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    • leslivresdegeorgesandetmoi

       /  décembre 16, 2009

      Dès que je regarde une adaptation des romans de Jane Austen je suis comme toi le sourire béat tout le long. Et faire les comparaisons avec les romans c’est très jouissif !!! Ma déception pour Raison et sentiments, vient surtout du fait que j’avais vu et revu le film avant de lire le roman….

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  9. Je suis pressée de le relire, je l’avais beaucoup aimé la première fois.

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  10. Pas lu celui-ci, mais il vient sur ma liste d’Austen directement après Persuasion ! 🙂

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    • leslivresdegeorgesandetmoi

       /  décembre 18, 2009

      j’avais bien aimé « Persuasion » mais je crois que j’ai une préférence pour « l’abbaye » !!!! j’irai lire tes avis quand tu les auras lus ! bonne fin de journée ! c’est toujours un plaisir de te voir sur mon blog ! 🙂

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  11. Je l’ai beaucoup aimé aussi!!! Bon, je trouve l’humour plus évident que dans les autres Austen mais ça m’a plu! J’aurais juste aimé quelques pages de plus à la fin!! L’écriture d’Austen, c’est un vrai voyage dans le temps, n’est-ce pas!

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    • leslivresdegeorgesandetmoi

       /  décembre 23, 2009

      Oui, la fin est un peu trop rapide… mais c’est toujours un plaisir de se plonger dans les romans d’Austen !

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  12. je l’ai achevé il y a quelques jours et j’ai beaucoup aimé. C’est effectivement un roman assez différents des autres titres écrits par Jane Austen, et j’aime beaucoup l’analyse que tu en fais. Il y a effectivement, une réflexion très intéressante sur le roman et notre rapport à la littérature.

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  13. élo

     /  septembre 2, 2012

    salut,
    j’aimerais savoir à quels chapitres de quels volumes tu as trouvé tes citations : « Et maintenant je peux envoyer mon héroïne au lit » et celle de la page 286, car je lis le roman en anglais, j’aimerais retrouver ces citations mais la pagination n’est pas la même!
    Merci

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  14. je n’ai pas été sensible à l’humour qui est visiblement présent… je suis contente d’avoir lu du Jane Austen mais je n’ai pas été particulièrement emballée par cette lecture!

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  1. Northanger Abbey de Jane Austen « Je Lis, Tu Lis, Il Lit
  2. Les Challenges de la blogosphère Littéraire « Les Livres de George Sand et moi

à vous....