« Lira bien qui lira le dernier : lettre libertine sur la lecture » de Hubert Nyssen

Si indépendante que vous vous montriez, vous n’êtes jamais à l’abri du harcèlement médiatique, de ses caprices et de ses manipulations (p.111/112)

Hubert Nyssen est le créateur des éditions Actes Sud, grand lecteur et écrivain. Ce petit livre, par le nombre de pages, est une lettre à une lectrice imaginaire répondant au doux nom d’Esperluette, dont les sonorités rappellent l’accent du Sud, et qui désigne le signe typographique : & .

Écrite durant quinze jours, cette lettre aborde la lecture sous des aspects différents, mais à la fois du point de vue du lecteur et de l’éditeur, double casquette que revêt Hubert Nyssen : le temps ou non de lire ; le vrai lecteur ; les critiques ; les émissions littéraires ; les prix littéraires ; la quatrième de couverture etc. Mais le thème qui revient le plus fréquemment sur le sujet de la lecture reste l’influence néfaste que prend, de plus en plus, l’aspect publicitaire et mercantile de l’édition :

Pour les affairistes qui, petit à petit, mettent la main sur l’industrie de l’édition, et pour les négociants qui la gouvernent, la question de la création littéraire compte moins que celle d’un lectorat considéré comme un marché qu’il importe d’affourcher et d’exploiter. (p.70)

Hubert Nyssen met en garde sa belle et jeune lectrice contre les pièges susceptibles de l’égarer comme les quatrièmes de couverture qui délaissent la critique pour faire des auteurs et des livres des cyclistes engagés dans un criterium, avec un dossard. (p.72) ou appelle à la prudence concernant les Prix Littéraires qui jugent sur l’état des ventes plutôt que sur le bouleversement que, lecture faite, le livre pourrait avoir apporté à votre vie (p.59). Les critiques et les arguments de Nyssen ne sont pas tendres, et montrent une prise de position claire sur la lecture comme ambition métaphysique, c’est-à-dire comme éveil de la pensée, comme recherche de l’absolu qui nous hante même quand nous ne la cherchons pas (p.117). Mais pour lui, la lecture répond aussi au désir, un désir de vivre intensément qui mêle à la fois les sens et la connaissance.

Ce livre, lu dans le contexte de mon dernier billet, dit sans aucun doute bien mieux que je ne saurais le faire, ce que représente pour moi la lecture, mais a surtout su poser les mots sur mes exaspérations et mes engagements de lectrice. Alors, comme Guillaume Musso me l’a reproché dans un mail reçu hier soir, on peut juger ce comportement sectaire, pourtant je crois profondément qu’il incarne des valeurs fortes et essentielles sur la lecture et sur son importance, non pas seulement comme simple divertissement dans une société qui ne prône plus que cela comme par peur de nous faire réfléchir, mais bien comme une façon philosophique de voir le monde et de se penser. Je me méfie de ses « faux amis » dont parlent Nyssen, qui désigne[nt] une brique de papier comme étant un chef d’oeuvre et qui, dans sa fièvre zélatrice, v[ont] jusqu’à confondre impudiquement oeuvres et bonnes oeuvres (p.55). Je me méfie des mirages du médiatique et de son lot de publicités, et j’aurais bien aimé me prénommer Esperluette.

Livre lu dans le cadre du Challenge Le Nez dans les livres, et du challenge PAL Express.

PAL Express : -4

Poster un commentaire

23 Commentaires

  1. Delphinesbooks

     /  juin 12, 2012

    Tu reçois des mails de Musso maintenant toi !
    J’ai adoré ce petit livre aussi. Tant de vérité et de sagesse dans les mots de Nyssen. Je n’ai pas répondu à ton billet précédent, mais je comprends ta déception et ta prise de position. C’est au final assez triste cette uniformisation…

    Réponse
  2. Je n’ai pas lu ce livre mais j’en ai très envie (blessure main droite, pas facile de taper).

    Réponse
  3. Beau billet ! Il me donne envie de découvrir ce livre !

    Réponse
  4. Je ne l’ai pas lu et ne le connaissais pas mais que j’ai envie de le découvrir!!! Exactement ce que j’essayais de dire moi aussi. Quant au médiatique et à la publicité, j’y suis très réticente et m’en méfie beaucoup donc bravo monsieur Nyssen 🙂 (et bravo et merci à toi! ;D)

    Réponse
  5. Je me suis régalée à la lecture de ton billet, et m’en vais de ce pas noter ce livre dans mon carnet d’envies.

    Réponse
  6. Je ne l’ai pas lu non plus, mais je l’avais déjà repéré, et encore plus maintenant avec ton billet ! Dommage qu’Hubert Nyssen nous ait quittés l’année dernière !

    Réponse
  7. Je vais m’acheter ce livre qui manque cruellement à ma vie de lectrice et de bibliothécaire. Alors Guillaume Musso a été interpellé par ton article, et il t’a écrit. c’est bien je suis très contente de voir que les blogs sont pris « au sérieux » par les auteurs et prennent le temps de répondre. Et si il n’est pas content tant pis ou bien tant mieux pour lui, ça le fait réfléchir. Non mais !! Je vois que tu restes sur tes positions en les appuyant en parlant du livre de Hubert Nyssen. George ça me fait vraiment plaisir de voir avec quelle détermination tu défends la « Littérature ». Je te soutiens. Parce que moi aussi j’en ai marre des grands moralisateurs qui nous traitent de psychorigides et nous parlent de la liberté d’expression, chacun est libre d’écrire et de publier et de lire ce qu’il veut, oui bien sur mais c’est un autre débat. Là on prend la défense de la littérature au détriment « des briques de papier » terme choisi par Mr Hubert Nyssen et qui sont plutôt appropriées pour faire du feu ! Courage George parce que défendre la littérature à notre époque c’est difficile. Je connais le problème, je travaille en bibliothèque et j’ai moi aussi du mal à défendre une certaine qualité littéraire au détriment des têtes de gondole des « espaces culturels de supermarché ».

    Réponse
    • MERCI Nina, très sincèrement, merci pour ce commentaire. Oui Musso m’a contactée par mail ce que comme toi je trouve finalement assez bien même si nous ne nous sommes pas vraiment entendus, mais c’était peut-être un peu prévisible. Si je reste sur mes positions c’est parce que surtout j’ai quelques convictions, ou du moins j’essaie de maintenir mes valeurs même si je sais bien que ce n’est pas toujours facile. Il ne faudrait pas croire non plus que parce que j’aime la littérature je dénigre la littérature populaire, car dans littérature populaire,il y a littérature. Nyssen raconte comment des jeunes gens qui voulaient être éditeurs venaient le trouver, il leur demandait quel était le livre qu’ils étaient en train de lire : pas de livre en cours ; celui qu’ils avaient fini dernièrement : ils ne s’en souvenaient plus. Nyssen montre ainsi que l’édition n’est plus dirigée par des lecteurs, mais par des financiers ou des marchands, et que la création littéraire n’est plus leur préoccupation. Certes la lecture est un plaisir mais le plaisir de la lecture passe, pour moi, autant par le style que par l’histoire racontée, on peut faire des livres, mais faire de la littérature n’est pas donné à tout le monde.

      Réponse
  8. En voilà un livre qui a l’air intéressant et qui complète très bien ton article d’hier. Je le note.
    Et je te remercie pour ces articles vraiment intéressants qui font réfléchir sur la littérature, les auteurs et leur environnement.

    Réponse
  9. « on peut juger ce comportement sectaire, pourtant je crois profondément qu’il incarne des valeurs fortes et essentielles sur la lecture et sur son importance, non pas seulement comme simple divertissement dans une société qui ne prône plus que cela comme par peur de nous faire réfléchir, mais bien comme une façon philosophique de voir le monde et de se penser.  »
    Je suis d’accord à 100%! Et je trouve important de rester fidèle à ces valeurs et de les défendre, même si elles sont plutôt à contre-courant.
    Quant au livre, je m’empresserais de l’ajouter à ma LAL s’il n’y figurait pas déjà. Je sens qu’il va me plaire!

    Réponse
  10. Il a l’air très intéressant -encore une fois- ce petit livre que tu nous présente ici….
    je n’ai pas eu l’occasion, encore, de lire cet auteur, mais ça ne saurait trop tarder encore !

    Réponse
  11. Je suis d’accord à 200% avec toi et je te félicite de garder tes valeurs contre vents et marées, Je pense, mais c’est utopiste qu’on ne devrait jamais mélanger la littérature et le marketing ! Tout du moins ne pas vendre son âme, j’y tiens ! Je dois lire ce livre depuis que Delphine en avait fait un billet, elle devait me l’envoyer, ça ne s’est pas fait, du coup je ne l’ai pas acheté mais je compte réparer bientôt : c’est un livre à garder précieusement et les Musso et Lévy de la terre devraient eux aussi s’en imprégner et s’ils avaient le courage de se remettre en question, ils seraient à même de comprendre ce que nous attendons de la littérature, la vraie, pas des scénarios mal torchés destinés à finir en DVD de série B… A propos du mail de G. Musso : comment pourriez-vous vous entendre, vous ne parlez pas de la même chose et d’une et de deux, le fait de vendre beaucoup le conforte dans son idée qu’il est un « auteur d’exception »…dialogue de sourds assuré ! 😉

    Réponse
  12. Tu n’indiques pas que c’est ton livre coup de cœur pour le Club des lectrices ? Je suis en train de le finir… Ce livre est vraiment très bien écrit ! L’auteur a vraiment trouvé les mots justes et ses anecdotes professionnelles sont intéressantes.Enfin, la réflexion d’ensemble est passionnante … J’attends l’équivalent pour le cinéma. Très intéressant, il donne bien envie de lire Berberova par exemple … Sinon, voilà ce que c’est que d’être blogueuse influente, on reçoit des mails d’illustres mécontents ! 😉

    Réponse
  1. On my wishlist #12 « Le jardin de Natiora

à vous....