« La Séquestrée » de Charlotte Perkins Gilman (Un Jeudi, Un Livre #2)

C’est la journée des séquestrées ! Je m’étais dit que je lirais l’essai d’Edith Wharton sur la lecture, et puis je suis retombée sur cette nouvelle, et il m’a semblé amusant de lire un livre portant à peu près le même titre que celui que je venais de chroniquer ce matin.

La narratrice et son mari, John, s’installent, pour l’été, dans une vieille demeure ancestrale. Lui est médecin, elle souffre d’une dépression, ou ce que l’on appellerait plutôt de la neurasthénie. Ce séjour doit lui permettre de retrouver des forces et de sortir de sa maladie, jugée superficielle par son mari (et son frère, lui aussi médecin), mais de plus en plus prégnante pour la narratrice. Leur chambre est installée à l’étage dans une ancienne salle de jeux. La jeune femme se focalise alors sur le papier peint, qu’elle juge hideux, et angoissant.

Le nouvelle est suivie d’une postface très intéressante et éclairante à la fois sur Charlotte Perkins Gilman, mais aussi sur les traitements opérés sur les femmes souffrant de neurasthénie à la fin du XIXème. Ainsi apprend-on que Charlotte Perkins Gilman, mais aussi la sœur de Henry James, Alice, et Edith Wharton ont dû subir ces mises en quarantaine, ces enfermements avec interdiction absolue de toute occupation artistique et intellectuelle, cette obligation de dormir et de manger, allant jusqu’au gavage. Si la narratrice écrit, elle le fait en cachette de son mari et de sa servante. Contrainte de demeurer des heures entières dans cette vaste chambre, le jeune femme, dans une sorte d’hallucination, va percevoir dans ce papier peint un moyen de se libérer de cette emprise, en l’arrachant, elle prend sa liberté, rompt les chaînes.

Il s’agit d’une nouvelle qui flirte avec le fantastique, mais qui traduit surtout les désespérances d’une femme enfermée dans sa condition d’épouse et de mère, incapable de se soumettre à ces rôles, culpabilisée (car naïve) par les soins de son mari qui l’infantilise et la bâillonne en l’enfermant dans une prison dans laquelle aucune élévation transcendante n’est possible, puisque, comme il est souvent répété, elle doit ramper, comme ces femmes qu’elle imagine cachées derrière le papier peint.

Nouvelle fondamentalement engagée sur le droit de la femme à disposer de son esprit, de sa créativité, de sa liberté d’être non plus seulement résumée à un état de femme mariée et de mère, mais d’exister pour soi, et de se réaliser en tant qu’être pensant.

Voilà donc un texte sur de vraies revendications féminines, que certaines féministes devraient lire pour recentrer leur combat, car nous n’en avons pas fini avec l’accès des femmes à l’écriture et à la lecture, avec cette idée que la femme écrit des bluettes, et que la lecture peut être mauvaise conseillère.

Un Jeudi, Un Livre

Défi Mia : 10/8 ça ne s’arrange pas 😉

Cette lecture est aussi pour moi l’occasion d’honorer une troisième fois avec la Lettre P, ainsi que de continuer mon (10/102)

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28 Commentaires

  1. J’ai un peu peur que cette nouvelle flirte un peu trop avec la folie… Mais sur le fond ça me semble très intéressant… POurquoi les femmes sont-elles depuis toujours tellement muselée ?

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    • les Livres de George

       /  septembre 29, 2011

      Elle est très border-line cette narratrice mais l’écriture est justement très intéressante !
      Quant à la réponse à ta question, je crois que malheureusement c’est ancestral !

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  2. Un sujet quasi ancestral que celui de l’enfermement des femmes… Au sens propre comme au sens figuré d’ailleurs!…
    Quand j’ai vu l’annonce de ta publication d’article sur HC, j’ai crû que j’avais mal lu dis donc!… La coïncidence et la publication simultanée de ces deux titres similaires est très comique en fin de compte… Bien moins les sujets dont ils traitent…

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    • les Livres de George

       /  septembre 29, 2011

      J’ai trouvé justement que c’était intéressant de confronter ces deux textes écrits à plus d’un siècle d’intervalle ! finalement l’héroïne du polar subit ce que beaucoup de femmes subissaient dans ces mariages non voulus, bon les hommes n’étaient aussi psychopathes que le Monstre, heureusement !

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  3. Tu ne joues pas dans la cour de la petite littérature toute sage et tranquille…ce sujet a l’air très très lourd à aborder…et je ne suis pas certaine de pouvoir être réceptive à ce récit..oui je me dégonfle, c’est trop dur !
    mais en tout cas ça ramène comme tu dis un sacré sujet de réflexion, et bon à ressortir quand on voit ce qui préoccupe les féministes en ce moment… entre le mademoiselle et la liberté intellectuelle, j’avoue que j’hésite sur le combat à mener… 😉

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    • les Livres de George

       /  septembre 29, 2011

      t’as vu ça, ça rigole pas 🙂 !
      On peut mener plusieurs combats en même temps, sauf que celui qui agite les féministes aujourd’hui ne me semble pas très essentiel, voir me passe totalement au-dessus de la tête et ce n’est pas faute de ne pas être « féministe » dans l’âme !

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  4. J’adore ces histoires qui mêlent l’ambiance du XIXème siècle et la vie des femmes de cette époque, surtout celles qui comme cette héroïne ne veulent pas vivre comme le souhaiterait la « bonne » société. Je crois que je vais m’inscrire au challenge ABC, puisque je crois que nous ne sommes pas obligés de lire dans l’ordre de l’alphabet ça me semble faisable….

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    • les Livres de George

       /  septembre 29, 2011

      L’auteur était très engagée visiblement et m’a fait penser à Virginia Woolf sur bien des aspects (homosexualité, la revendication de l’écriture, l’enfermement que peut provoquer la maternité quand elle est subie…)
      Pour le challenge ABC tu peux effectivement lire les livres sans suivre l’ordre alphabétique 😉

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  5. Terriblement tentant ! Je note.

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    • les Livres de George

       /  septembre 29, 2011

      J’espère qu’il te plaira ! la nouvelle en elle-même ne fait que 50 pages, mais il faut lire aussi la postface (une quarantaine de pages) qui donne beaucoup d’informations !

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  6. Je ne suis pas féministe et je n’aime pas ce mot mais le sujet et m’intéresse et j’aime beaucoup les textes publiés par les éditions Phébus. Je ne connais aps l’auteur, ca me tente beaucoup !

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    • les Livres de George

       /  septembre 29, 2011

      Féministe, ou du moins « pour le droit des femmes » si tu préfères ! je pense que c’est un combat important, que tout n’est pas acquis, et que même si nos mères ont fait le plus gros, il nous faut continuer ! J’espère que cette nouvelle te plaira, le style est assez particulier, tu verras !

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  7. J’aime beaucoup le mot féministe, 😉 et la littérature de la fin du XIX montre combien les femmes ont été victimes avant tout de leur condition de femmes. La littérature a assurément participé à cette prise de conscience et c’est tout à son honneur!
    L’émancipation de la femme est un des grands progrès du XXeme, je dirai même que l’école mixte fut une grande avancée parce que ce fut la garantie pour les filles d’avoir la même éducation que les garçons, ce fut pour elles la fin des cours de cuisine, de couture, ce fut aussi les mêmes lectures pour tous…

    Je souscrit totalement à vos deux derniers paragraphes. Je n’oublie pas que de nombreuses femmes sur cette terre vivent toujours sous la contrainte masculine.

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    • les Livres de George

       /  septembre 29, 2011

      Oui, heureusement que certaines femmes ont bravé les interdits et les codes sociaux pour oser écrire et publier !
      Effectivement si nous avons beaucoup progressé en Europe, dans d’autres pays, tout ou presque reste à faire !

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  8. Je passe pon tour. « Pages volantes » devrait arriver chez mon libraire demain … j’ai bataillé !!

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  9. Dis-moi George, c’est un SOS que tu nous envoie avec la sortie de ces deux titres en simultané ??? Excellente initiative de nous reparler un peu du « féminisme », mot qui a été galvaudé et dont certains ont oublié un peu trop vite ce qu’il contenait comme luttes pour des droits élémentaires ! Facile de « snober » ce terme pour notre génération qui a profité des résultats de ces combats… Même s’il reste encore beaucoup de chemin à faire pour que nos sociétés patriarcales condescendent à nous accorder la crédibilité que nous méritons. Mais à voir la soumission de certain(e)s, on se dit que nous ne sommes pas arrivées ! 😉 indignez-vous un peu plus femmes !

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    • les Livres de George

       /  septembre 29, 2011

      Non non je te rassure je ne me sens nullement séquestrée dans ma famille, et heureusement, de toute façon je n’aurais pas supporté de l’être et j’aurais déjà pris mes clic et mes clac !
      C’est vrai que nous bénéficions des combats de nos mères, mais il faut toujours rester vigilante car le naturel revient au galop, et le culturel aussi surtout 😉 ! Je souscris à ton cri de révolte !

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  10. liligalipette

     /  septembre 29, 2011

    J’adore les éditions Phebus, je note. Ce livre me tente terriblement !

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    • les Livres de George

       /  septembre 30, 2011

      Une très belle nouvelle et une écriture fascinante, qui décrit de façon magistrale la folie envahissante !

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  11. Quelle horrible façon de faire à l’époque ! Mais c’est justement ça qui fait que ce titre m’a l’air bigrement intéressant car on y apprend des choses 😉 Je note donc car je ne peux pas faire autrement ! mdr !

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    • les Livres de George

       /  septembre 30, 2011

      Il faut lire la postface très intéressante et très éclairante aussi pour bien saisir toute la portée de cette nouvelle ! j’espère qu’elle te plaira ! Elle m’a donné envie de lire d’autres choses de Perkins Gilman mais je ne sais pas si ses oeuvres sont dispo en français !

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  12. C’est un livre que j’avais adoré. Le récit est vraiment très fort et le basculement de la narratrice vers une début de folie est très bien rendu. Comme toi, j’avais beaucoup apprécié la postface qui permettait de bien resituer l’œuvre dans son contexte.

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    • les Livres de George

       /  septembre 30, 2011

      La postface permet en effet de bien saisir toute la portée de la nouvelle et de mieux connaître l’auteur !

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  13. C’est intéressant. Et marrant que tu aies lu ces deux livres en même temps.
    Je note.

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    • les Livres de George

       /  septembre 30, 2011

      Oui hein, j’ai trouvé cela intéressant et drôle cette similitude dans les titres !

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  14. Cette nouvelle a l’air intéressante et j’aime beaucoup ce que tu en dis. Je note!
    Je me revendique comme féministe et je suis désolée que le concept soit aujourd’hui considéré comme ringard et dépassé alors qu’il y a encore tant à faire, et que certaines féministes contribuent à cette mauvaise image. Et moi aussi je suis très attachée à mon « mademoiselle » !
    J’aimerais bien lire ton avis au sujet de cet essai d’Edith Wharton qui est un auteur que j’aime beaucoup. J’espère que ce sera pour bientôt!

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  15. Ce genre de sujets me révolte, mais cette lecture doit être bien intéressante.

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à vous....