« Maurice » de E. M. FORSTER

forster mauriceCommencer l’année sur un coup de coeur, rien de tel pour envisager une année de lecture sous de bons auspices. Forster est un auteur que je me promettais de lire depuis bien longtemps, depuis, pour tout dire, les adaptations de James Ivory au cinéma à la fin des années 80. J’allais alors très souvent au cinéma, j’avais une quinzaine d’années, et j’avais vu tous les films adaptés des romans de Forster (Maurice, Chambre avec vue, Retour à Howards End). C’est grâce à une LC avec Céline, que, plus de 25 ans plus tard, je me suis enfin décidée à ouvrir un de ses livres.

Contrairement à Chambre avec vue que j’ai vu et revu au moins une dizaine de fois, Maurice est un film que je n’ai vu qu’une seule fois, mais qui est resté très présent dans ma mémoire sans pourtant nuire à la lecture du roman dont il est l’adaptation, sans doute parce que James Ivory a si bien su restituer l’atmosphère du roman que les deux se sont mêlés sans fausse note. Bien sûr, les personnages du roman ont pris les traits des acteurs du film, mais le casting était si juste que mon imagination n’aurait sans doute pas mieux fait.

Le roman narre le cheminement de Maurice Hall, gentleman sans grande fortune et sans grande intelligence. Au sortir de la public school et avant son entrée à Cambridge, l’un de ses professeurs l’informe sur les choses de la chair avec schémas à l’appui et discours moralisateurs sur le rôle de l’homme et de la femme. Cette discussion va durablement marquer Maurice, entraînant chez lui, un combat intérieur que le roman va développer.

E. M. Forster, par ce roman dont il refusa la publication toute sa vie, fait une étude psychologique magistrale de l’éveil à la sexualité homosexuelle dans une Angleterre où l’amour homosexuel est encore perçu comme immoral et immonde. Il décrit les affres de son personnage, sa lutte, ses questionnements, son sentiment de culpabilité face à cette attirance pour les hommes qu’il tente de refuser et contre laquelle il ne peut rien. Une amitié amoureuse avec Clive Durham à Cambridge lui fait prendre, petit à petit conscience, de sa « différence ».

E. M. Forster écrit non seulement un fabuleux roman d’amour, mais fait aussi une analyse pertinente des moeurs anglaises au début du XXème siècle en traitant un sujet qui, encore au moment de la rédaction du roman, était un sujet tabou. L’homosexualité est décrite à la fois sous l’angle moral de l’époque, mais aussi du point de vue de Maurice qui, la vivant, nous la rend telle qu’elle l’est : un amour peut-être différent dans ses actes, mais pur et sincère, un amour comme un autre. Maurice va devoir lutter contre les bonnes mœurs, va se confronter aux risques de la dénonciation, aux conceptions de l’homosexualité perçue alors comme une maladie ou une phobie morbide. La lutte est alors morale et sociale d’autant plus qu’elle flirtera avec une remise en question de la hiérarchisation des classes sociales (si le désir faisait fi des barrières sociales, la civilisation telle que nous l’avons conçue s’écroulerait. p.232). C’est finalement un roman subversif que nous livre ici Forster, mais qui, dans l’écriture est d’une douceur et d’une pertinence fabuleuses.

Maurice est un roman initiatique. Le personnage éponyme devra affronter nombre d’obstacles, pour voir clair en lui et accepter ce qu’il est. Comme tout roman romanesque, il devra lutter contre sa famille et la société pour vivre son amour. Tout en reprenant les éléments traditionnels du roman, Forster écrit un roman moderne par son sujet et dresse le portrait d’une homosexualité qui veut sortir de l’obscurantisme dans lequel, même encore aujourd’hui, nous avons tôt fait de l’enfermer comme en témoignent les récentes manifestations sur le mariage pour tous et toutes les absurdités que nous avons alors entendues sur les déviances supposées. Forster au contraire donne une vision franche et sincère de l’homosexualité, du mal être de ces hommes et surtout fait de cet amour un amour comme un autre avec ses affres, ses désirs, ses pulsions, seul le contact avec la société aveugle en fait un amour différent. D’abord platonique avec Clive, cet amour sera aussi physique grâce à Alec. Loin de n’en montrer qu’un aspect épuré, aristocratique et donc acceptable d’après Clive (l’amour entre hommes n’est excusable que s’il demeure platonique p.276), Forster évoque son aspect charnel et donc subversif, dit le désir et en cela combat l’hypocrisie de l’époque.

En cédant aux plaisirs de la chair, Maurice avait – pour reprendre le terme qu’employa Mr Lasker Jones dans son diagnostic final – entériné sa perversion et s’était définitivement coupé de la communauté des hommes normaux. p.241

Forster est réputé pour être un grand stylisticien et la lecture de ce roman fut un plaisir pour cela. C’est un tel bonheur qu’un livre où sujet et style se complètent que je ne peux que vous encourager à lire cet auteur.

L’année 2013 commence bien.

Vous pouvez lire l’avis de Céline dont l’analyse du roman ne pourra que vous convaincre davantage.

Roman lu dans le cadre du Challenge I Love London (pour certains passages dont un au British Museum), du Challenge La Littérature fait son cinéma et du Challenge Cartable et Tableau Noir.

challenge cartable et tableau noirChallenge la littérature cinémachallenge I Love London

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54 Commentaires

  1. et ne pas oublier « la route des indes » non plus, le film et le livre

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  2. c’est aussi un auteur que je veux lire depuis longtemps

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  3. Céline m’avait déjà donné très envie de le lire. Ce que tu en dis confirme cette envie.

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  4. J’avais lu un de ses romans il y a longtemps. J’avais beaucoup aimé sa modernité mais pas le style. C’est grave ?

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  5. Finalement, je vais attendre un peu pour le sortir car il semblerait qu’un challenge Ivory/Forster se préparerait pour le mois d’octobre…oui on prévoit longtemps à l’avance avec Lou !!!

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  6. Beaucoup entendu de bien sur ce livre. Il va falloir que je le lise un de ces jours!

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  7. metaphorebookaddict

     /  janvier 12, 2013

    Encore un qui est dans ma PAL!! 🙂

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à vous....