« Flavie » de George SAND

Voilà bien longtemps que je néglige celle qui pourtant est la figure tutélaire de ce blog, celle qui m’a accompagnée tant d’années et dont il me reste encore à découvrir bien des romans. Il était grand temps que je revienne à mes premières amours littéraires qui me constituent et ont fait la lectrice que je suis.

Ce « petit roman », comme Sand elle-même se plait à le nommer, fut acheté en avril à Nohant même, il est donc porteur d’une aura encore plus forte.

Roman épistolaire se déroulant à Florence, Milan pour finir à Paris, il rend compte d’un échange de lettres entre Flavie de Ker… et son amie Robertine. La première est une jeune fille de 21 ans qui se dit déjà « vieille fille », la seconde est mariée et mère de famille. Flavie est coquette, spirituelle et superficielle, se plaisant à faire chavirer le cœur des hommes sans parvenir elle-même à être touchée par l’amour. A Rome, où elle a séjourné quelques temps avec son père féru de botanique, elle a fait la connaissance de Malcolm Rosemonde, lui-même passionné de sciences naturelles, et envisage de l’épouser plus par amitié pour sa mère que pour lui-même. Mais avant de se décider franchement, elle a besoin de se faire une idée plus précise de l’homme. Aussi le couple père/fille et le couple mère/fils s’installent-ils à Florence quelques semaines afin de mieux se connaître. C’est à Florence qu’apparaît un homme de condition inférieure, quelque peu mystérieux, savant pourtant reconnu, un certain Emile Villemer.

Comme souvent dans les romans écrits après 1850 (celui-ci date de 1859), George Sand met en scène une de ces jeunes filles coquette, à « la tête légère », orgueilleuse de son rang et hautaine pour les personnes qu’elle n’estime pas digne d’elle, mais ayant des aspirations de femme libre qui lui viennent sans conteste d’une éducation paternelle trop permissive. Aussi a-t-elle des idées sur le mariage très arrêtées (du moins au début) qui nous la rendent assez sympathique malgré tout : […] je veux qu’il respecte les miens [ses goûts], qu’il ne gêne aucune de mes habitudes ou de mes fantaisies, qu’il se fie aveuglément à ma parole qui sera chose sacrée pour moi, et qu’il me laisse mener la vie qui convient à mon caractère et à mes idées. (p.17). Ces idées bien arrêtées trahissent néanmoins une absence de sentiments, et cet homme qu’elle décrit comme un futur mari possible n’est en fait rien d’autre que son père, et elle semble décrire ici davantage le rapport qu’elle entretient avec son père, qu’un quelconque rapport marital et donc amoureux. Son amie Robertine n’est pas dupe d’ailleurs quand elle lui répond : Espérons que ce beau Malcolm mettra un peu d’amour dans ce cœur endormi (p.29). Ce roman raconte finalement comment l’amour vient aux filles  pour paraphraser en le modifiant le conte de La Fontaine.

Car tout est là, et une fois de plus chez Sand, l’amour surgit là où nous ne l’attendions pas, bousculant les convenances, les pensées arrêtées, éclairant d’un jour nouveau l’existence et révélant la vérité sur soi.

Flavie va donc petit à petit, comme le papillon du même nom dont il est également question dans le roman, sortir de sa chrysalide pour devenir papillon, mais Sand use ici de la métaphore non d’un point de vue physique (comme cela est souvent le cas), puisque la jeune fille est reconnue dès le début d’une grande beauté, mais d’un point de vue moral. Elle va enfin sortir d’elle-même pour découvrir le monde autour d’elle : Vois-tu, j’avais vécu trop factice, antinaturelle, dans le convenu du monde, dans le scepticisme de l’esprit et dans le vide du cœur. (p.92).

Femme sans passion, si ce n’est passion d’elle-même, l’amour la heurte de plein de fouet et lui fait ravaler ses préjugés. J’ai beaucoup pensé à Elizabeth Bennet en lisant ce roman, non pour le rapport au superficiel, mais pour cette ironie dans les lettres et ces préjugés sur les êtres. Bien sûr les rangs sont opposés entre Lizzie et Darcy et Flavie et Emile, mais les préjugés de classe sont présents et le traitement à quelques similitudes, je ne saurais dire cependant si Sand lut Jane Austen, il me plaît à le penser.

Quoiqu’il en soit, George Sand signe ici un roman à la fois romanesque et ironique, dans lequel elle prend une certaine distance avec le romantisme (il gagnait, avec une agilité superbe, le sommet d’un grand vilain rocher que les petites Anglaises, ses cousines, avaient déclaré « beautiful » : elles sont romantiques. p.24). Sand est en effet, en 1859, dans une phase plus positiviste que romantique comme en témoigne l’empreinte scientifique de ce roman, mais l’amour n’est pas que l’apanage des romantiques. Toutefois bien des éléments marquent encore l’appartenance de Sand au romantisme : l’Italie, le titre prénom de l’héroïne ou encore un certain socialisme perceptible.

Livre publié aux Éditions Le Jardin d’Essai, disponible à la librairie du domaine de Nohant et sur commande dans toutes les bonnes librairies.

Roman lu dans le cadre du Challenge Romantique, du Challenge George Sand, du challenge Un classique par mois et du Challenge Il Viaggio.

challenge un classique par mois

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29 Commentaires

  1. Je ne dis pas que je ne me laisserai pas tenter, quand j’aurai un peu plus de temps devant moi (pas lu une ligne depuis samedi).

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  2. Le genre épistolaire n’est pas mon préféré mais j’en ai acheté quelques-uns dernièrement, sinon il faudrait aussi que je lise du George Sand, ça fait un sacré bail que je n’en ai pas lu

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  3. Je note cette participation (mais pour l’actualisation des liens, il va falloir attendre un peu). Comme tous les romans de Sand, ça a l’air bien…

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  4. Je note ! ça me plairait bien.

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  5. il faut que je le trouve… J’aime Sand (mais plutôt dans Consuelo, ses fresques échevelées, ou dans sa correspondance avec Musset), mais j’aime surtout le prénom Flavie, qui aurait été celui de notre premier enfant s’il avait été une fille 😉 (et j’ignorais cette référence littéraire, à l’époque !)

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  6. Ah! Le voilà le retour aux fondamentaux! 😉 Et quel retour!!! Une bien jolie métamorphose que nous conte là Madame Sand… L’amour se cueille souvent là où on ne l’attendait pas 😉 La façon dont tu en parles me fait l’effet d’une lecture douillette et chaleureuse. Je note ce titre…

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  7. Comme Sharon je dirais que je me laisserais bien tenter…. mais seulement quand j’aurais retrouvé mon énergie et que ma PAL sera un peu descendue (et j’ai du mal à contrôler les entrées :0)

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  8. Je n’ai jamais lu Sand (j’avoue, comme tous les auteurs classiques, qu’elle me fait un peu peur), mais celui-c me fait bien envie…

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  9. ça fait longtemps que je n’ai pas lu de roman épistolaire ! et rien que de voir le nom « Florence », je plane !une lecture intéressante, il me semble !

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  10. eh bien moi je suis ravie que tu te fasses plaisir, je ressens la même chose que toi après une série de lectures obligatoires en un temps donné (en fait c’est plus le temps qui me fait râler plus que le livre parfois). J’aime les romans épistolaires, quand je reviendrai aux classiques j’y penserai ! ;). Et on sent ton plaisir dans ce billet !^^

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  11. Coïncidence, je suis en train de terminer Jean de La Roche, écrit dans ces années-là (59). Jean est encore très romantique, Love Butler déjà fort savante, et je suis bien certaine que dans les 40 pages qu’il me reste à lire, leur amour va enfin s’épanouir…. n’est-ce pas? (non non, ne me dis pas…!) . Bref, nettement moins de coquetterie que dans Flavie! Mais au fait, Sand « inoffensive », est-ce un compliment à lui faire 🙂

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    • Ah mais Love est un personnage magnifique, quelle femme cette petite jeune fille… bon promis je ne dirai rien sur la fin de ce roman que j’aime beaucoup. Sand reste fondamentalement romantique mais évolue aussi avec les préoccupations de son siècle et les années qui passent, disons que c’est le reste de sa jeunesse, elle reste attaché à ce qui a fait notre jeunesse et nos conviction d’alors, même si elle y glisse quelques pointes d’ironie.
      Quant au côté inoffensif de Sand, c’était plus un moyen innocent (et un peu trompeur, je l’avoue 😉 ) de convaincre une amie de lire ses romans, non évidemment qu’elle n’est pas inoffensive, nous sommes là pour en témoigner 😀 !
      Merci de ta visite !

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  12. Je suis contente de te voir revenir à tes premières amours !
    Et la manière dont tu nous parles des écrits de Sand donne toujours envie de mieux les connaître. Merci.

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  13. Un billet bien tentant qui fait plaisir à lire!

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  14. Je suis rassurée… Sand n’est pas gentille et inoffensive ! c’était « pour rire » ! en tout cas, cet article m’a bien donné envie de découvrir Flavie. Que de titres « inconnus » dans l’oeuvre de Sand qui reste à explorer ! Merci de nous les faire découvrir.

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  15. Je ne connais pas ce titre mais il faut dire que je connais peu George Sand.
    Bonne fin de semaine.

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  16. Et que de finesse bien souvent dans l’analyse de ces personnages! Dans Cora aussi elle a un regard ironique envers le romantisme lorsqu’il se traduit en poncifs!

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  17. Après Colette, je passerai à George

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à vous....