« La Recluse de Wildfell Hall » d’Anne Brontë

Parfois, il devient nécessaire de revenir à l’essentiel, à ce qui nous a fait aimer lire. Après une phase bof-bof et un ras-le-bol certain, je suis revenue à des valeurs sûres : Oates et, donc, Anne Brontë.

Anne Brontë est la soeur la moins connue et sans doute la moins rééditée des trois, est-ce à dire qu’elle est forcément la moins douée, rien n’est moins sûre. La réédition de ses romans chez Archipoche semble une bonne nouvelle, mais cache, du moins pour ce roman-ci, quelques vices dont j’ai parlé dans un billet sur mon journal il y a déjà quelques jours. Toutefois on peut se féliciter de cette réédition, puisque le roman est malheureusement épuisé chez Phébus. Par chance, j’avais cette édition dans ma PAL, et après avoir pris connaissance des vices cachés de chez Archipoche, j’ai lu le roman dans l’édition Phébus et grand bien m’en a pris, car la traduction est d’une tout autre qualité.

Le récit est double par sa forme : un premier récit épistolaire, mené par Gilbert Markam à un ami confident, puis le journal intime de Helen Huntingdon. Tout commence par l’arrivée d’une étrange jeune femme et de son enfant dans un petit village d’Angleterre. Helen Graham est une femme belle, mais mystérieuse, qui semble éviter tout contact avec les autres habitants du village. Très vite les rumeurs vont bon train. Gilbert est cependant très attiré par cette belle brune et ne peut se résoudre à croire aux médisances de sa sœur et de ses amies. Se noue alors entre Gilbert et Helen une certaine amitié, jusqu’à un épisode quelque peu dramatique, qui va contraindre Helen à confier au jeune homme, son journal intime relatant toute son histoire et la raison de son installation dans cette demeure isolée et quelques peu vétuste.

Reconnu comme un roman féministe, La Recluse de Wildfell Hall est un témoignage du XIXe siècle sur la condition de la femme mariée. Anne Brontë, sous la plume de Helen, dresse un portrait sombre du mariage tout en dénonçant aussi l’aveuglement des jeunes filles, leur naïveté devant l’amour, leur innocence et leur ignorance. Helen tombe amoureuse d’Arthur Huntingdon, jeune homme séduisant, sûr de lui, intrigant. Malgré les préventions de sa tante, elle l’épouse. Mue par une croyance forte en Dieu, elle s’adonne à son rôle d’épouse avec conviction et abnégation. Mais Arthur Huntingdon se révèle bien vite un homme alcoolique, jaloux, méprisant et fêtard invétéré. La vie de Helen se transforme petit à petit en cauchemar. Arthur passe des mois entiers à Londres, la laissant seule dans leur demeure. A son retour, il est ravagé par ses débauches. Cependant Helen, en bon petit soldat, tente par tous les moyens de ramener son mari dans le droit chemin. Mais l’effet escompté n’est pas celui que Helen espérait, et bientôt, Arthur prend sa femme en aversion, la rabaissant sans cesse, l’humiliant devant des invités, la trompant sous son toit.

Helen, dans son journal, décrit, mois après mois, cette descente en enfer conjugal. Après la naissance de son fils, le problème de l’éducation vient s’ajouter au problème conjugal. Helen veut à tout prix préserver l’innocence de son fils, lui inculquer les bons principes, mais son mari prend un malin plaisir à défaire toutes les entreprises de Helen, flattant les mauvais penchants de son fils, et l’entraînant à suivre son exemple.

Le piège conjugal finit par se refermer sur Helen quand, après avoir été trompée ouvertement, elle informe Arthur de son désir de quitter le foyer avec son enfant. Se révèle alors toute la puissance maritale. Arthur agit en maître tout puissant : lecture de son courrier, confiscation des clefs de ses secrétaires, de la gestion de la domesticité, embauche d’une nurse pour son fils, suppression de son matériel de peinture, et obligation de justifier toutes ses dépenses. Mais Helen n’est pas comme son amie Milicent qui se laisser piétiner par son mari du même acabit qu’Arthur, elle ose parler aux hommes, tout en maîtrisant ses pulsions de colère, lutte avec dignité et respect d’elle-même. Elle est la femme qui refuse l’avilissement, qui prend son destin en main quitte à tourner le dos aux règles sociales de l’époque. Anne Brontë est résolument du côté de son héroïne, contre la société victorienne.

Ce portrait d’épouse totalement sous le joug marital m’a bien souvent fait penser à ce qu’a vécu George Sand elle-même lors de son mariage avec le baron Dudevant. Comme Helen, celle qui n’était pas encore George Sand, a subi les colères maritales, les menaces, les insultes, l’ouverture de son courrier. L’oppression féminine dans le mariage était bien un fait réel du XIXe siècle autant à l’époque victorienne en Angleterre qu’en France. George Sand l’a dénoncé dans Indiana, son premier roman, et rejoint sur beaucoup de points la dénonciation d’Anne Brontë dans La Recluse.

Au-delà de cette dénonciation, le roman d’Anne Brontë recèle beaucoup de qualités littéraires et romanesques, qui font de la lecture de ce roman un plaisir certain qui n’a rien à envier aux romans de ses sœurs. Les rebondissements sont nombreux, l’analyse des personnages, leur évolution au sein du roman attachent le lecteur à leur destinée. Moins romantique que les héroïnes de Charlotte et d’Emily, Helen est une femme de son temps, finalement plus réaliste et, Anne se révèle une auteure engagée. Dans la préface de l’édition Archipoche rédigée par Isabelle Vièville Degeorges, on peut lire que Charlotte, après la mort de sa sœur, Anne, a rejoint les détracteurs du roman, et à empêcher la republication du roman, assurant que le choix du sujet de ce livre est une erreur (pp.13/14). Cette précision permet peut-être d’expliquer en partie pourquoi l’œuvre d’Anne Brontë reste, aujourd’hui encore, moins connue que celle de ses sœurs.

Un roman et une romancière à découvrir.

Roman lu dans le cadre du Challenge Victorien, du Challenge Romantique, du Challenge God save the livre, et du Challenge Histoire de famille.

Sans oublier Objectif PAL Noire : 102 – 3 = 99

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44 Commentaires

  1. Tu as bien raison de revenir aux sources ! Surtout quand il s’agit des Brontë !!! J’avais également beaucoup aimé ce roman de Anne.

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  2. je le veux !!! (comme c’est étonnant^^). J’ai aimé Agnes Grey donc je pense que je vais beaucoup apprécier celui-ci aussi 🙂 Tu as vu le journal de la santé de vendredi dernier ? Collard en parlait aussi vous êtes synchro ! Par contre, il parlait de la version Archipoche c’est dommage.

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  3. Excellent billet qui met bien en évidence les qualités de ce livre. J’ai adoré, je l’ai trouvé courageux pour l’époque, indéniablement féministe. Seul le côté un peu trop religieux de Helen m’a un peu agacée parfois. Gilbert est un beau personnage masculin, en totale opposition avec Arthur.

    Je l’ai lu en anglais, donc je ne peux rien dire sur les traductions françaises, si ce n’est que « recluse » n’est ne veut pas dire la même chose que « tenant », qui veut dire « locataire ». « Recluse » n’a pas la même neutralité que « tenant ».

    Pour un autre livre sur la femme victorienne, je te conseille Miss McKenzie d’Anthony Trollope. Il est fantastique sur la condition de la femme. Et écrit par un homme.

    PS: ce que tu écris sur George Sand vaut également, je crois, pour Edith Wharton. Les choses ont mis du temps à évoluer.

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    • Je suis d’accord avec toi pour la traduction du titre. Le terme de « recluse » est juste pour sa situation dans la demeure de son mari, mais pas pour la demeure qu’elle habite seule après avec son fils.
      J’ai lu aussi le roman Trollope que j’ai adoré !

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à vous....