Samedi Sandien #25 : « Indiana » 1832

Aujourd’hui partons à la découverte du premier roman écrit par George Sand sous son pseudonyme. Après un roman écrit avec son amant Jules Sandeau, Aurore Dupin, publie donc Indiana, et, sur les conseils d’un ami, signe pour la première fois de son pseudo George Sand. Mais d’où vient ce pseudonyme ?

Jules et Aurore ont publié un premier roman en commun, Rose et Blanche, sous le pseudonyme : J. Sand, pseudonyme déjà utilisé journalistement par Sandeau. Le pseudonyme de George Sand, est donc une reprise de la contraction de Sandeau. Martine Reid, dans Signer Sand, va même jusqu’à voir dans le nom Sand, un sans d, c’est-à-dire sans le D qui rattache George Sand au nom de son père Dupin et au nom marital Dudevant, ce serait donc une façon de s’émanciper des deux autorités masculines que son le père et le mari. C’est une interprétation comme une autre, et elle vaut ce qu’elle vaut. Au départ elle publiera sous le nom G. Sand. Le prénom George pose quant à lui plus de problèmes. Dans une lettre à un ami, elle écrit : Si vous avez un fils, faites-moi l’amitié de l’appeler George » (lettre du 25 juin 1834), on remarque alors l’absence de S. Elle affirme également que le prénom Georges est Berrichon, son étymologie signifiant « homme de la terre », d’après Georges Lubin, grand sandien : Je pris vite et sans chercher celui de George qui me paraissait synonyme de Berrichon. (pp.138/139, tome 2). Mais Martine Reid penche davantage pour l’influence anglaise, et l’influence de la figure de George Byron, alors adulé par l’Europe littéraire et romantique. Cette absence de S reste donc assez énigmatique, mais bien réelle. Impossible également, selon moi, de ne pas penser à une autre George bien connue, George Eliot ! Mais laissons à Sand s’expliquait elle-même : [ce nom] je l’ai fait moi-même et moi seule après coup, par mon labeur. (p.140, tome 2).

Donc George Sand naît réellement avec la parution d’Indiana. Indiana est une jeune femme originaire de l’île bourbon, mariée  au Colonel Delmare, mari tout puissant et autoritaire qui tient sa femme sous sa coupe. Sir Ralph Brown, cousin d’Indiana est l’une des rares personnes qui fréquentent le couple. Jeune homme timide, il entretient un lien fraternel avec Indiana. L’arrivée de Raymon de Ramière va provoquer plusieurs remous dans le couple Delmare, et donc dans  la vie d’Indiana.

Le roman paraît en 1832, pleine période romantique, deuxième génération. Le prénom de l’héroïne en titre marque déjà cette ancrage romantique. Mais les thèmes développés bien plus encore : la nostalgie, l’amour impossible, la volonté de liberté et d’indépendance, le refus de se soumettre à l’oppression maritale, l’amour absolu et  jusqu’à l’exotisme de l’île Bourbon ou le suicide. Indiana ne supporte pas l’oppression de son mari et sa brutalité, mariée trop jeune, quittant un père autoritaire, pour un mari despotique, elle aspire à la liberté et à la possession d’elle-même. D’abord aveuglée par Raymon, elle parviendra à trouver l’amour vrai en la personne de Ralph, après bien des déboires.

Dans son autobiographie, Histoire de la vie, George Sand développe la théorie romantique à laquelle elle adhère : En résumé, idéalisation du sentiment qui fait le sujet, en laissant à l’art du conteur le soin de placer ce sujet dans des conditions et dans un cadre de réalité assez sensible pour le faire ressortir, si, toutefois, c’est bien un roman qu’il veut faire. (p.161, tome 2). Elle évoque alors longuement Balzac et leurs conversations autour de la théorie, romantisme et réalisme se côtoient et finalement, George Sand affirme : J’écrivis donc ce livre sous l’empire d’une émotion et non d’un système. Cette émotion, lentement amassée dans le cours d’une vie de réflexions, déborda très impétueusement dès que le cadre d’une situation quelconque s’ouvrit pour la contenir. (p.164, tome 2).

Dans ce roman, George Sand lance deux thèmes qui ne cesseront de peupler ses romans : la condition de la femme et le mariage forcé, ou d’intérêt. Elle engage alors ses convictions dites féministes, tout en affirmant, dans son autobiographie, qu’elle n’est pas Indiana. Toutefois difficile de ne pas voir en Delmare, un double de son mari le baron Dudevant.

George Sand a 28 ans quand paraît Indiana. Nous pouvons y voir une forte influence du roman de Bernardin de Saint-Pierre Paul et Virginie, pour l’exotisme et le couple pur, mais aussi une influence du grand Chateaubriand avec son roman René. Indiana présente quelques incohérences, notamment la fin du récit, que je ne vous révèlerai pas, nous sentons les maladresses du premier roman, mais George Sand est déjà tout entière contenue dans ce roman. Indiana est sans doute le roman qu’il faut avoir lu de Sand, non seulement parce qu’il est le premier mais aussi parce qu’il est caractéristique du romantisme deuxième génération qui émerge alors avec des auteurs comme Alfred de Musset, qui George Sand rencontrera l’année d’après, grâce à son roman Lélia.

Billet écrit dans le cadre du Challenge George Sand , des Samedis Sandiens et du Challenge Romantique.

Article précédent
Poster un commentaire

25 Commentaires

  1. Le premier que j’ai lu d’elle à 10 ans, j’avais lu Paul et Virginie à 7 ans, offert ce Noël là pour me faire oublier la varicelle, et je les ai lus et relus tous les deux…jusqu’à 15 ans ! Ton billet est magnifique et j’en ai appris sur son pseudo ! 🙂

    Réponse
  2. Ton billet est passionnant … encore !

    Réponse
  3. Je suis en train de le lire ! Pour le romantisme c’est tout à fait ça… Beaucoup de drame, beaucoup de mélancolie et des sentiments puissants parfaitement décrits. Et comme toujours avec cet auteur, c’est que du plaisir. Mais à quand un billet de George sur « Lélia » ?? Je guette, je guette, mais je ne vois rien venir…

    Réponse
    • Le problème avec « Lélia » est que je l’ai lu, il y a longtemps, il faut que je potasse davantage, mais il est prévu dans la liste 😉 ! merci de suivre ces samedis sandiens, et je suis contente que « Indiana » te plaise autant ! j’ai hâte de lire ton billet !

      Réponse
  4. Sandra

     /  novembre 19, 2011

    J’adore l’interprétation du Sans D..Je suis convaincue qu’il y a évidemment de ça dans ce choix. Tu m’as également éclairé sur le S manquant de George. Tu ne peux pas savoir le nombre de fois où je t’ai laissé un message en écrivant ton nom (pseudo..) et me suis posée la question  » : « Mais S ou pas ???? ».

    Signé : Sand (parce qu’évidemment mes plus proches ne m’appellent que comme ça…, tu crois que c’était un signe pour notre amitié ??)

    Réponse
    • Martine Reid mène toute une réflexion assez intéressante sur ce pseudo.Elle affirme aussi qu’éliminer le S de George serait une façon de se séparer de JuleS Sandeau ! maintenant tu n’hésitera plus !
      Quant à ta signature, j’en suis persuadée, je crois à ce genre de signe, et ma rencontre avec Sand en est plein alors pourquoi pas celui-ci ! Dieu que j’ai hâte d’être à demain !

      Réponse
  5. Un billet magnifique, toujours aussi intéressant et instructif… Sur bien des points cette fois-ci encore… Par contre, je ne savais pas du tout qu’il y avait eu deux périodes romantiques différenciées en littérature… Tu pourras nous en dire plus bientôt?… J’aime toujours autant tes samedis Sandiens et j’en ai même parlé à mon fils, comme quoi tu es incollable sur le sujet… En parlant de sujet, son devoir sur « L’éducation sentimentale » s’est soldé par la meilleure note de la classe : 14/20! Sa prof a beaucoup apprécié la référence à Proust et, comme je lui ai fait faire des recherches supplémentaire au sujet d’Odette et de Swann, elle a encore mieux apprécié qu’il sache expliquer le pourquoi de cette référence. Merci à toi… Bon week-end…

    Réponse
    • Bravo à ton fils, je suis très heureuse que Proust ait fait des merveilles ! tu peux être fière de ton fiston !
      Je compte en effet faire un billet sur le romantisme un jour dans le cadre du challenge romantique de ClaudiaLucia, j’aime tant cette période !!!
      Merci d’être toujours fidèle à mon rendez-vous sandien ! passe une belle journée, et félicite ton fils de ma part !

      Réponse
  6. Forte puissance romantique ce livre ! J’ai beaucoup aimé. Puis Ralph… waouh !

    Réponse
  7. Quand j’étais étudiante en lettres, j’étais souvent remarquée pour mes élucubrations interprétatives.
    Et dans cet esprit, je dirais que le s de George est à l’initiale de son nom et si on rétablit l’orthographe, on obtient Georges And, ce qui invite le lecteur à chercher ce qu’il y a après ce « and » et donc à trouver la double identité de l’auteur qui est à la fois George Sand ET Aurore Dupin.
    Maintenant que j’ai révolutionné l’interprétation de l’oeuvre de George Sand, je peux aller publier un billet de blog ;^D

    Réponse
    • Tiens ça me rappelle quelqu’un 😉 ! je me souviens notamment d’un exposé sur « René Leys » de Segalen dans lequel je m’étais livrée à cette sorte d’élucubration sur le nom du héros 😉 !
      Pour ton interprétation, elle n’est pas mal du tout, si l’on considère cette volonté androgyne qui était celle de George !!! maintenant je vais aller lire ton billet 😉

      Réponse
      • J’avais fait un exposé sur l’Astrée et une métaphore du jardin de Versailles et du parcours du courtisan à l’intérieur de celui-ci. J’avais même poussé ma maman à aller à Versailles pour vérifier (on avait passé une excellente journée d’hiver dans les jardins, ça changeait). J’avais une prof de 17e géniale avec qui on pouvait faire ce genre de choses !
        Pour le billet, il est en cours, je prends mon temps en ce moment et mon homme fait de la maintenance informatique dans le bureau, ce qui rend les choses compliquées 😉

        Réponse
        • J’ai eu aussi des profs qui adhéraient et qui, du moment qu’on parvenait à justifier par le texte et par la connaissance de l’auteur, étaient prêts à nous suivre, et d’autres qui me prenaient pour une folle 😉 !!!

          Réponse
  8. j’ai adoré ce livre, et comme Evilysangel j’ignore qu’il extiste deux romantismes. A samedi prochain, voir plus tot. J’ai envie de faire un challenge l’an prochain !!!

    Réponse
  9. Un très beau billet, en effet! De plus très intéressant pour notre challenge. Tu soulèves bien le problème du romantisme et de sa relation avec le réalisme. Pour Sand, c’est bien cela, l’idéalisation des sentiments dans un cadre ancré dans la réalité, dans son Berry par exemple et ses paysans berrichons.
    Pour Balzac, s’il a écrit des romans franchement romantiques liés au fantastique,(la peau de chagrin) à l’idéalisation des sentiments (le lys dans la vallée), lorsqu’il se tourne vers le réalisme, il garde toujours des attaches avec le romantisme. Le réalisme des paysages, des objets, des lieux chez Balzac, est souvent le reflet de l’âme des personnages.
    Rien à voir avec le naturalisme de Zola qui s’appuie sur des données scientifiques. (et j’adore Zola aussi. Depuis que je fais un challenge romantique, on pense que je n’aime que les écrivains romantiques, ce qui est entièrement faux, tu t’en doutes.)
    Tiens cela me fait penser que j’ai répondu à ton commentaire sur Jane Austen. Encore un de mes écrivains favoris.

    Mardi comme je l’ai déjà fait , je voulais faire référence à tes samedis sandiens. Mais après t’avoir lu, j’ai envie d’attendre le billet que tu vas rédiger sur les deux périodes du romantisme? Qu’en penses-tu? Peut-être que ce serait mieux de commencer par ce billet d’histoire littéraire pour faire partager ton travail sur Sand?
    Quels sont les romans de Sand que tu recommanderais comme « les plus  » romantiques en dehors de Indiana et Consuelo? On me demande une liste de lecture. Je vais m’y mettre! Mais je ne peux faire une liste de tous les titres. Alors j’aimerais choisir les plus représentatifs.
    Excuse-moi pour ce long message! Je ne m’étais pas rendu compte que j’écrivais autant!

    Réponse
    • Il va falloir que tu nous fasses un challenge par courant littéraire 😉 !!!
      Pour le billet sur les deux romantismes il faut que j’y pense sérieusement et que je fasse quelques recherches, ce n’est peut-être pas pour toute de suite ! mais merci en tout cas ! j’essaierai de faire cela avant la fin de l’année !
      Pour les romans de Sand les plus romantiques, tu peux rajouter « Valentine » et surtout « Lélia », les deux « Lélia » celle de 1833 et la seconde remaniée 1836. Je crois que le roman le plus typiquement romantique de Sand c’est « lélia », il faut que je le relise d’ailleurs ! après tu as les romans qui appartiennent au romantisme social, engagé, un peu à la Hugo, et là « le meunier d’Angibault » peut bien faire l’affaire, et « Horace » aussi !
      Voilà, mais les plus romantiques sont les premiers romans des années 30, forcément aurais-je tendance à dire !
      Et surtout ne t’excuse pas pour les longs messages, j’adore ça !!!! à bientôt !

      Réponse
  10. quenotte

     /  novembre 20, 2011

    2 achats cet après midi à la foire aux livres anciens de Souvigny,Allier 03,Les maitres sonneurs et La ville noire.Je me réfère toujours à tes commentaires si complets et enrichissants.

    Réponse
  11. très beau billet, j’ignorais qu’il y avait eu deux périodes du romantimse (j’ai déjà du mal avec une !) Comme je suis inscrite au challenge de Claudialucia et que je n’y connais rien, je lis avec intérêt tous les billets se rapportant au romantisme. J’apprends des tas de choses, et comme je n’ai rien lu de Sand, je suivrai ton conseil et note donc Indiana…bonne nuit

    Réponse
    • mais deux c’est mieux qu’une 😉 !
      Je trouve que c’est génial que tu fasses un challenge pour apprendre ou approfondir tes connaissances. Les billets de ClaudiaLucia sont très enrichissants, et moi aussi j’en apprends beaucoup !
      J’espère qu’Indiana te plaira !

      Réponse
  12. Merci George pour ta réponse. Je n’ai jamais lu Lélia mais cela viendra. J’y ajouterai aussi Mauprat, un peu Gothique, Non? je suis en train de faire la liste de titres à la demande de certains mais je trouve ma manière de faire très scolaire. il faut que je trouve une présentation plus ludique. Si j’y arrive!
    J’attends donc ton billet sur les deux romantismes pour en parler mais, bien sûr, cela ne presse pas! Fais à ta guise!

    Réponse

à vous....