« Enfance » Mme Roland (« Un Jeudi, Un Livre » #6)

En ce jeudi froid et  gris, la lecture des premiers chapitres des Mémoires  de Mme Roland publiés en Folio 2€, fut à la fois passionnante et instructive. Car ces quelques pages m’ont permis, avant tout, de découvrir une femme pour le moins exceptionnelle, une femme instruite et intelligente, qui eut une place importante au cœur de la Révolution Française. Mariée au ministre de l’Intérieur, elle était l’égérie des Girondins, adversaires des Montagnards, auxquels appartenaient Danton ou Marat. Elle fut arrêtée (ayant refusée de fuir comme le fit son mari), comme beaucoup de Girondins, en 1793, et incarcérée à la Conciergerie. Elle fut guillotinée le 8 août 1793, le jour même de son jugement expéditif, elle avait 39 ans. Il est dit qu’en passant devant la statue de la liberté elle aurait prononcé ces mots : Ô Liberté ! que de crimes on commet en ton nom! 

Son mari se suicida quelques jours plus tard après avoir appris la mort de sa femme. Ils laissèrent donc orpheline, leur fille, Eudora à qui, Mme Roland a dédié ses Mémoires. Elle rédigea ses dernières lors de son incarcération, et confiait ses cahiers en catimini aux personnes qui venaient lui rendre visite. Plus qu’une femme de lettres, c’était aussi une femme engagée, aux idées Républicaines.

Madame Roland est née en 1754, d’un père maître graveur, Gatien Phlipon. Elle fut élevée dans une famille aisée de la bourgeoisie. Elle est la seule survivante d’une fratrie de 7 enfants. Placée pendant les deux premières années de sa vie en nourrice, elle retourne ensuite auprès de ses parents. Très tôt, dès l’âge de 4 ans, elle présente une très grande aptitude à l’étude et surtout à la lecture :

j’étais heureuse dès l’enfance avec des fleurs et des livres (p.27)

Elle reçut une très bonne éducation : musique, danse, latin, arithmétique, histoire, géographie, physique etc. Comme elle l’écrit, une rage d’apprendre me possédait (p.39), et elle lut avidement tous les livres de la bibliothèque paternelle puis piocha allégrement dans les bibliothèques des amis de ses parents jusqu’au jour où il fallut bien avoir recourt aux libraires (p.102). Ses nombreuses lectures forgèrent son esprit et elle se reconnut notamment en Rousseau, Diderot ou D’Alembert, elle se divertit très jeune à la lecture de Candide.

Ce qui m’a beaucoup intéressée dans ces quelques pages, qui ne racontent que l’enfance de Mme Roland, est le genre même de l’autobiographie. Les Confessions de Rousseau sont parues, à titre posthume en 1782, puis 1789, et une allusion au vol du ruban dans les Mémoires nous permet de penser que Mme Roland a lu l’oeuvre de Rousseau. Or il s’agit bien là d’une autobiographie à la Rousseau, chronologique, et se voulant vraie et sincère : Je ferai mes honneurs, en bien ou en mal, avec une égale liberté (p.21), écrit-elle. Il s’agit de se peindre soi-même le plus honnêtement possible, se peindre moralement mais aussi physiquement dans un portrait où le manque de modestie n’a d’égal que celui de Rousseau lui-même.

Mais, Mme Roland, par sa position de prisonnière, rend son récit plus poignant, et sans doute plus engagé. Car elle n’hésite pas à faire allusion à sa situation : Comment, du fond d’une prison, au milieu des bouleversements politiques qui ravagent mon pays et entraînent tout ce qui me fut cher, rappeler et peindre aujourd’hui ce temps de calme et de ravissements ? (p.62). Ces insertions du temps de l’écriture rendent sans doute plus intenses les confessions de cette jeune femme, et sans doute aussi ses souvenirs s’en trouvent-ils embellis. Elle règle aussi ses comptes avec ceux qu’elle appelle ses persécuteurs, car elle sait l’importance de sa position, et le retentissement qu’auront ses Mémoires.

Selon la tradition autobiographique, l’enfance est le berceau des apprentissages, et dans ce livre on suit l’évolution d’une conscience d’abord religieuse puis philosophique, un esprit qui, au fil des lectures, s’oriente vers un certain scepticisme religieux. Les livres et les diverses lectures prennent donc une place importante puisqu’ils sont à l’origine de la formation de cette conscience. Et j’ai aimé cet échos à mon billet d’hier sur le Journal :

J’avais ordinairement plusieurs lectures en train à la fois ; les unes servant de travail, les autres tenant lieu de récréation ; les ouvrages historiques de longue haleine étaient lus à voix haute, comme je l’ai indiqué. [sa mère lui faisait la lecture le soir pendant qu’elle effectuait des travaux d’aiguilles], dans les soirées qui devinrent presque le seul temps où je restasse avec ma mère ; je passais tout le jour dans la solitude de mon cabinet, à extraire [elle recopiait de nombreux extraits de ses lectures], à m’amuser, ou à réfléchir. (pp.103/104)

Enfin, Mme Roland tout en faisant référence aux philosophes des Lumières, sème, de temps en temps, un nouvel adjectif qui fera florèse au XIXe siècle : mon imagination vagabonde et romantique (p.93). Bien sûr, fin XVIIIe, le terme est surtout employé comme adjectif et fait concurrence à romanesque, l’imagination de Mme Roland est donc, dirions-nous aujourd’hui romanesque, et non romantique  au sens qu’on lui donne depuis le XIXe siècle. Cependant on perçoit, par ces occurrences, que l’adjectif, depuis Rousseau fait son chemin.

Avec ce long billet vous aurez compris que cette lecture fut un moment important qui m’a occupée toute la journée, et me poursuit encore. Il est fort probable que je poursuive la lecture de ces Mémoires, et que j’approfondisse également mes connaissances sur cette femme.

Retrouver le livre du jeudi d’Asphodèle.

Livre lu dans le cadre du Challenge Dame de Lettres, Challenge Biographie, Challenge Romantiquesans oublier le Défi Mia,  le Challenge 2€, et le Challenge ABC Babelio.


Un Jeudi, Un Livre

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29 Commentaires

  1. Waouh ! Quelle plongée dans l’histoire. Tu sais nous la rendre moderne cette Madame Roland ! Je dois dire que ce n’est pas une lecture ou je serais allée spontanément… Comme quoi 🙂 vivent ces jeudis d’échanges fort intéressants !

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  2. Je n’avais jamais entendu parler de cette dame. Ton billet nous la rend bien proche.

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  3. Je rajoute le lien , et en plus voilà une biographie qui me tente beaucoup. J’en rajoute au fur et à mesure moi aussi. Bonne soirée.

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  4. Oh ! je veux, je veux, je veux ! C’est le XVIIIe que j’aime tout simplement. J’attendais un peu ton point de vue avant de me décider mais c’est fait. merci !

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  5. jamais entendu parler de cette femme qui paraît en effet remarquable! et c’est donc elle qui aurait prononcé cette fameuse phrase sur la liberté? j’en apprends des choses!

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  6. Un billet instructif qui m’a donné envie de découvrir cette fameuse Mme de Roland… 🙂

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  7. je connaissais cette citation à propos de la liberté…mais nullement son auteur…la Révolution m’a fait dresser les cheveux sur la tête à la fac, notamment Marat d’ailleurs (un exposé à faire à partir de « l’ami du peuple »)…mais pourquoi pas des Mémoires…c’est intéressant de voir le contexte d’écriture, et de l’associer au contenu…

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  8. Ca fait un bon moment que j’ai envie de la lire parce que le peu que je sais d’elle me fascine, et pourtant la révolution n’est pas du tout une période qui m’inspire! Mais là je me remets doucement d’avoir préparé dans la douleur un exposé sur la Bastille (c’était le bon temps, la maternelle, y avait pas de devoirs!) alors je vais attendre un peu!

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  9. Wahou quel billet ! Tu nous plonges remarquablement bien dans cet univers , tout en nous rendent très proche de cette femme qui paraît en effet exceptionnelle ! Et j’aime beaucoup tes réflexions sur les Lumières, une période qui m’attire et m’intrigue en même temps.

    Merci pour cette découverte 😉

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  10. Tu es passionnante, quand tu es passionnée !

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  11. Isabelle

     /  novembre 18, 2011

    ces femmes de lettres des lumières sont moins connues que celles du 19è, mais pas moins passionnantes : Mme Riccoboni, Olympe de Gouges, Madame Rolland, Madame de Genlis, Madame du Châtelet et bien d’autres sont fascinantes par leur savoir, leur esprit, leur culture, leur indépendance, ton billet est un bel hommage en tout cas MMe Rolland

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  12. Merci pour ce beau billet si détaillé qui m’avait échappée! J’aime beaucoup ta présentation de cette femme et du genre, les confessions, inspirées de Rousseau. Il est certain qu’avec les confessions et l’épanchement du moi, Rousseau et donc madame de Roland rompent avec le classicisme. Tous deux se posent en précurseurs du romantisme. J’ajoute le lien dans la Liste des participants.(colonne de gauche, en haut)..

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  13. Tu me donnes vraiment envie de lire ces mémoires malgré que je n’avais jamais entendu parler de cette femme. Je pense que ce sera une très belle découverte pour moi.

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  14. Ton billet est très intéressant ! Je me suis longuement intéressée à la Révolution française quand j’étais ado et j’ai hésité à lire les Mémoires de Mme Rolland. Mais, comme mes affinités ne me portaient pas de ce côté (je suis plus montagnarde que girondine), j’ai renoncé.
    Je devrais peut-être y revenir !

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  15. Cette lecture m’a enchantée également.

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à vous....