« La Ferme africaine » Karen Blixen

Impossible pour moi de lire La Ferme africaine sans avoir à l’esprit les images du film de Sydney Pollack Out of Africa. Durant toute ma lecture, Karen Blixen et Denys Finch Hatton sont restés dans mon esprit sous les traits de Meryl Streep et de Robert Redford. Mais, contrairement à mes craintes, cela ne m’a pas gênée du tout, au contraire, j’avais l’impression, en lisant les mémoires de Karen Blixen, que j’avais accès au bonus du film ! Mais je crois aussi que la lecture de ce livre m’a révélé encore davantage la beauté du film et cette compréhension du personnage dont a fait preuve Sydney Pollack. Pourtant le lecteur qui souhaiterait retrouver l’histoire du film dans ce livre commettrait une erreur. Les mémoires de Karen Blixen ne sont pas une narration romanesque, mais une succession de souvenirs marquants racontés et mis bout à bout, répartis en cinq grandes parties. Ainsi Karen Blixen s’intéresse-t-elle à plusieurs figures : Farah (bien sûr), son antilope Lullu, le chef des Kikuyu ou encore le jeune Kamante mais aussi d’autres personnages qui n’apparaissent pas dans le film. Beaucoup de pages sont également consacrés à l’Afrique, à ses paysages, aux Somalies, aux Kikuyu ou aux Masais qui vivaient sur les terres de la ferme.

Sur cette photo on aperçoit Farah et Kamante aux côtés de Karen Blixen

On découvre également une Karen Blixen encore plus aventurière que dans le film : aimant les safaris, tuant des lions, établissant des bivouacs… Une femme aimant l’Afrique et son peuple avec passion, cherchant à les comprendre et à les respecter, consciente de tout ce qu’ils ont pu lui apporter.

Ma rencontre avec les Noirs fut pour moi ce que la découverte de l’Amérique fut à Christophe Colomb, et, de la même manière, un élargissement de mon monde entier. (p.34)

Si la quatrième partie m’a semblé un peu longue et moins bien organisée que les autres parties, l’ensemble m’a beaucoup plu, comme une succession de portraits sur l’Afrique, et sur une époque révolue, un monde qui change aussi comme en témoigne la toute dernière partie, sans doute la plus belle et la plus sensible. Karen Blixen reste cependant très en retrait sur ses propres sentiments, et notamment concernant Denys, mais cela peut s’expliquer par le fait qu’elle publia ses mémoires sous un pseudo d’emprunt, un pseudo masculin (Isak), difficile donc d’évoquer une liaison amoureuse, et une liaison adultérine d’autant plus ! pourtant, et malgré ce pseudo masculin, il est fait allusion très brièvement de son mari, comme si le masque tombait soudain.

Dans un très beau passage, Karen Blixen évoque ses livres avec tendresse, citant Walter Scott ou Racine qui l’ont accompagnée et ont habité avec elle la ferme africaine :

J’emballais mes livres dans des caisses et je les regardais. Dans une colonie, les livres jouent un rôle tout autre qu’en Europe. Ils prennent seuls en charge un aspect entier de votre vie et, à cause de cela, et en fonction de leur qualité, on ressent à leur égard une gratitude ou un énervement plus intense que dans des pays civilisés.

Mais je crois que ce qui m’a vraiment fait aimer ce livre est la dernière partie « Adieux à la ferme ». Là se lisent la fragilité de cette femme exceptionnelle, sa douleur de laisser ce monde si fascinant dans lequel elle a vécu tant d’années. Les phrases sont belles, prennent aux tripes et deviennent universelles. Elles émeuvent, non pas seulement par ce qu’elles racontent, mais par leur forme, leurs mots et tout ce que l’on devine de cette femme qui les écrit :

Dans ces moments-là, on parvient à saisir ce qui se passe en enregistrant attentivement un instant après l’autre, comme un aveugle qui se laisse conduire et qui, sans comprendre, pose soigneusement un pied devant l’autre. Quelque chose vous arrive, vous le sentez, mais vous ne vous sentez pas concerné, vous n’avez aucune clef pour en comprendre la cause et le sens. […] Les personnes qui ont vécu cela peuvent dire qu’elles ont connu la mort : un épisode qui dépasse les limites de notre imagination, mais qui n’excède pas celles de notre expérience. (pp.502.503).

J’ai aussi été heureuse de lire deux passages que l’on retrouve en voix off dans le film de Pollack, deux passages sublimes :

« Moi, je sais un hymne à l’Afrique, un chant sur les girafes allongées et sur le clair de lune, sur les charrues dans le sol et les visages luisants de sueur des cueilleurs de café. Et l’Afrique, sait-elle un chant sur moi? L’air vibre-t-il jamais d’une couleur que j’ai portée, y a-t-il un jeu d’enfant où mon nom ressurgit, la pleine  lune jette-t-elle sur le gravier de l’allée une ombre qui ressemble à la mienne? Les aigles du Ngong me cherchent-ils parfois du regard? »

« Les Masais ont rapporté au commissaire du district de Ngong qu’ils ont vu plusieurs fois des lions sur la tombe de Finch-Hatton, au lever et au coucher du soleil. C’est un lion et une lionne qui viennent sur sa tombe, et y restent parfois longtemps allongés. […] Depuis votre départ, le terrain a été aplani autour de la tombe, pour faire une sorte de terrasse. Je suppose que c’est un bon endroit pour les lions, de là, ils peuvent surveiller la plaine, guetter le bétail et le gibier. » (p.471)

Il s’agissait d’une Lecture Commune, je vous laisse donc découvrir les avis de Sharon, Lystig et Mimipinson.

Livre lu dans le cadre du Challenge Biographie et du Challenge La Littérature fait son cinéma, sans oublier le Challenge Gilmore Grils.  Il s’inscrit également dans le Défi de Mia et le S.T.A.R 3 de Liyah.

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47 Commentaires

  1. J’aime beaucoup la manière dont tu en parles. C’set un de mes livres préférés, et j’ai eu la chance de le lire avant de voir le film, sans idées préconçues. Le style en est sublime et l’amour qu’elle porte à cette terre, profondément émouvant.
    PS : Comme Karine:), j’ai pleuré comme une madeleine en lisant la fin …

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    • Ce fut une belle lecture, surtout que je pensais qu’elle allait être plus lente, finalement le style, et la façon de raconter sont tels que l’on ne s’en rend pas compte, et on est plongé dans l’Afrique et des paysages fabuleux !

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  2. Je ne sais plus si j’ai laissé un commentaire ou non, mais aujourd’hui j,ai envie de dire que ton billet est magnifique! Il me rappelle autant de beaux souvenirs pour le film que pour le livre que je classe dans mes préférés à vie. Karen Blixen a le don, par son écriture, de nous faire voyager confortablement assis dans notre salon!

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à vous....