« Les Braises » de Sandor Marai

Le roman se situe en Hongrie, sans doute à la fin de la Première Guerre Mondiale. Un vieux Général, vivant reclus dans une partie de son château, reçoit la lettre d’un ami, qu’il n’a cependant plus vu depuis quarante-et-un ans et quarante-trois jours, annonçant qu’il viendra dîner le soir même. Cette nouvelle entraîne chez le vieux Général une introspection qui le conduit à ses souvenirs d’enfance et à l’origine de cette amitié forte qu’il a vécue avec Conrad, pendant vingt-trois ans. Le roman est donc divisé en deux parties : avant l’arrivée de Conrad et leur longue conversation durant le dîner et la nuit.

Ce qui m’a tout de suite plu dans ce roman est précisément cette construction et le mystère qui petit à petit explique la séparation des deux amis. Même si très vite nous devinons l’origine du conflit, le roman est construit de telle façon que le suspens demeure. L’intérêt second réside bien sûr dans ce long échange entre les deux hommes, dans une analyse psychologique, dans un démantèlement des évènements passés qui font que j’ai été totalement passionnée par ce livre. Tout repose sur une perception erronée du Général et sur un évènement clef qui va lui permettre de reconsidérer toute sa vie avant sa rupture avec Conrad.

Le personnage central est donc le Général, homme ayant bénéficié toute sa vie des meilleures conditions : richesse, force, beauté, fierté de lui-même, amitié et affection d’une nourrice, Nini, qui a su remplacer l’amour d’une mère. Conrad, quant à lui, est présenté comme un homme tourmenté, cherchant son destin, issu d’une famille qui a tout sacrifié pour son éducation. Bien qu’ayant suivi une carrière militaire comme le Général, son âme de musicien l’a toujours placé en décalage, il était « différent », selon l’expression du père du Général. Les différences sociales des deux hommes, leurs centres d’intérêt différents sont certainement à l’origine de la rupture entre les deux hommes. Vision assez pessimiste des rapports humains, ce roman condamne une forme d’amitié parfaite à laquelle, peut-être, seule la jeunesse croit, mais qui ne résiste pas aux années et aux engagements de l’âge adulte.

Alors que Conrad a le mauvais rôle, c’est pourtant ce personnage que j’ai préféré. Le Général, trop sûr de sa puissance et de son fait, m’est apparu désagréable. Enfant gâté, il a toujours été entouré de personnes dévouées à son bien-être. Sa nourrice, Nini en est le parangon. Figure sainte de l’abnégation, cette vieille femme, de plus de 80 ans, a passé sa vie à ses côtés. Pour moi, le Général est l’incarnation de l’égoïsme. L’un incarne la passion, et son origine polonaise, son lien familial avec Chopin, son amour pour la musique en font une âme romantique incompatible avec la carrière militaire. Au contraire, Henri est un militaire dans l’âme, un chasseur émérite, un homme d’honneur, insensible à l’art et surtout à la musique, ayant très peu lu dans sa jeunesse. Il est la force masculine, quand Conrad est la sensibilité.

Ce roman marque aussi la fin d’une époque, celle de l’empire austro-hongrois, l’effondrement d’un monde ancien. Le Général est nostalgique de cet empire, et il évoque avec admiration François-Joseph et Sissi que son père fréquentait quand il était enfant.

Ainsi sur les cendres du passé, parfois, quelques braises subsistent que l’on choisit d’éteindre ou de raviver.

Un roman qui me donne donc très envie de poursuivre la découverte de cet auteur par d’autres romans.

Roman lu dans le cadre du Challenge Ô vieillesse ennemie, du Challenge un Classique par mois et Challenge ABC 2011/2012 lettre S.

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37 Commentaires

  1. Sandor Marai est un écrivain extraordinaire, un des plus importants de la mittleuropa… Il a été découvert tardivement en France. Il a été un opposant à toutes les dictatures, et il a du s’exiler de son pays sous le régime communiste. Nous partageons totalement votre avis, « les braises » est un livre majeur de la littérature du XX°.
    Vous nous avez donné envie de replonger dans ce roman qui nous avait ébloui.

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    • Merci ! Ce roman est une très belle découverte, et je compte bien sortir très vite de ma PAL les deux autres romans que je possède de lui.

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  2. Bravo et merci pour cet article… J’ai lu Les Braises il n’y a pas si longtemps mais je crois que je n’ai pas été assez absorbée par l’histoire et ses personnages. Dommage… Par contre, je garde un vif souvenir d’un autre roman de Marai, Le Premier Amour, que j’avais adoré ! J’en avais fait un petit billet ici : http://bit.ly/Q1MS4W . Prochain Sandor Marai pour moi : Les Révoltés. Bonne journée George.

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  3. J’ai découvert Sandor Marai à travers son roman « Le premier amour » que j’ai trouvé absolument magnifique. Je m’étais promis de continuer à découvrir cet auteur. Beaucoup m’ont conseillé « Les braises » et ton avis, George, m’y incite encore plus. Merci pour ce très beau billet !

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    • Merci. Décidément « Premier amour » semble faire l’unanimité, il va donc falloir que je le lise.

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  4. Iluze

     /  août 6, 2012

    En lisant ta critique, je me demande pourquoi je n’ai toujours pas lu d’autres livres de ce grand auteur !

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  5. Merci pour cette découverte : je ne connaissais pas cet auteur mais j’ai souvent cherché des livres sur l’empire austro-hongrois et sur cette période. Il part direct dans ma wish-list 🙂

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  6. Merci pour cette découverte.
    J’ai failli me laisser tenter à plusieurs reprises par cet auteur, et puis j’ai reposé le livre.

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    • J’avais acheté deux romans de lui l’an dernier au salon du livre de poche et celui-ci cette année ! Je pense que tu devrais aimer !

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  7. Bon, on dirait bien que je n’ai rien compris à ce roman… 😦

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  8. Merci pour cette découverte, je ne connais pas du tout cet auteur ! Le premier amour a l’air de faire l’unanimité, je le note, l’histoire m’a l’air passionnante

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    • Oui visiblement il va falloir que l’on se rue sur « Premier amour », un roman qui paraît entrer très bien dans le challenge « Cartable et tableau noir » en plus !

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  9. Une découverte encore une fois très intéressante… si tu avais eu une période malheureuse avec des romans moyennement intéressants, j’ai comme l’impression que tu te surpasses en ce moment, avec des livres de choix ! 😉

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  10. J’ai justement un livre de Marai, que je ne connais pas encore, dans ma PAL et tu me donnes envie de le remonter un peu !

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  11. J’ai noté ce livre chez Grominou et ton billet est aussi très éloquent, mais je pense que c’est avec L’étangère que je ferai ma première expérience avec cet auteur…

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    • Je ne connais pas ce titre, j’en ai deux autres dans ma PAL je vais donc pouvoir retrouver Sandor bientôt ! Bonne lecture !

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  12. Un auteur à découvrir donc, je le note ! Merci George 🙂

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  13. Tu donnes bien envie de le lire. Merci pour ce très beau billet !

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  14. C’est marrant, j’ai aimé aussi mais je n’ai pas tout à fait relever les mêmes raisons ! Nos deux chroniques se complètent parfaitement … ;D

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  15. Je n’ai jamais entendu parler de cet auteur ni de ce roman mais je le note. L’aspect historique et ces retrouvailles en forme de flashbacks ont l’air prometteuses…

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  16. metaphorebookaddict

     /  août 7, 2012

    Merci pour ton message, j’ai rajouté ton billet. Et bien sur noté deux nouvelles références, celui ci et Premier amour, Ah là là ma PAL ne risque pas de descendre!!

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  17. J’attendais ton article, Sandor Maraï est dans ma PAL depuis le salon du livre de la jeunesse à Troyes, çà donne envie de lire vite, merci.

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  18. Roman qui m’a beaucoup ennuyé, histoire qui m’a paru très banale… je suis passé totalement à côté!

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à vous....