Samedi Sandien #22 : « La Ville Noire » (1860)

Je suis heureuse de reprendre aujourd’hui mon rendez-vous sandien comme je vous l’annonçais cette semaine. Pour relancer la machine, je vous propose un roman qui renoue avec Le Compagnon du tour de France, mais sans doute moins engagé de façon explicite (quoique…).

Dans La Ville noire, George Sand plonge ses lecteurs dans le monde ouvrier, à une époque où l’industrie se répand dans le secteur de l’artisanat. En cela ce roman est aussi très proche du Péché de monsieur Antoine. La ville où se situe l’intrigue a beaucoup à voir avec Thiers, ville spécialisée dans la coutellerie, mais Sand insiste sur une particularité. La ville est divisée en deux : La ville basse (la ville noire), et la ville haute. Dans la première vivent les ouvriers, les artisans, dans l’autre résident les bourgeois qui dirigent la ville (notaire, médecin etc.). Les deux mondes ne se côtoient pas, et vouloir accéder à la ville haute pour un habitant de la ville basse, être ambitieux en somme, est dangereux et mal perçu.

Pourtant Etienne Lavoute, dit Sept Epées, très habile artisan rêve de faire fortune en profitant des bienfaits de l’industrie. Amoureux de Tonine, jeune fille orpheline, et fière, il renonce cependant à cet amour et à son engagement, préférant se consacrer à son ambition. Tonine, ayant eu pour exemple malheureux le mariage de sa soeur qui provoqua sa mort et celle de son bébé, ne souhaite pas se marier, trouvant dans le célibat la liberté qui lui convient. Tonine et Sept Epées n’ont pas la même vision : Tonine se dévoue à la communauté tandis qu’Etienne souhaite s’enrichir. Tonine est très convoitée, notamment par le médecin de la ville haute, qui lui fait sa demande. Toujours amoureux de Tonine, Etienne préfère partir à travers le monde pour étudier les nouvelles techniques industrielles… les amants parviendront-ils à se retrouver ?

Ce roman renferme de nombreux thèmes chers à George Sand.

Tout d’abord la description du monde de l’artisanat : sa pauvreté, la difficulté du travail manuel avec parallèlement l’essor de l’industrie et la possibilité de l’amélioration des conditions de travail. Bourgeois et artisans s’opposent de façon symbolique par les deux quartiers d’une même ville. Les classes sociales ne se mélangent pas et sont caractérisées par leur ville : l’une claire, riche et ordonnée, l’autre sombre, insalubre, et laborieuse. Le lien se fera par la jeune Tonine, qui, par son amitié avec le médecin Anthème, jette un pont entre les deux villes.

Là encore, et comme souvent dans les romans de George Sand après 1850, la femme est celle par qui le progrès social arrive. Sensible aux malheurs des artisans, intelligente, elle parviendra à moderniser la ville noire, après s’être instruite. Elle établira alors une sociétale matriarcale basée sur le respect de chacun, l’hygiène, la modernité industrielle. Elle sera aidée pour cela par un héritage providentiel, mais dont elle saura faire non seulement fructifier mais qu’elle partagera avec la communauté afin d’améliorer leurs conditions de travail et de vie.

Tonine et Etienne s’opposent dans leur philosophie : Tonine vit pour la communauté, tandis qu’Etienne a une ambition égoïste, même si son cœur est pur. Il lui faudra effectuer un voyage initiatique pour le faire évoluer et le rendre plus humble. En cela il est assez proche de Mauprat dans le roman éponyme. L’homme doit s’instruire, voir le monde pour mériter la femme qu’il aime. La femme a souvent chez Sand une vision plus sociale et plus avancée que l’homme, sans doute parce qu’elle possède l’intelligence du cœur, la sensibilité qui lui permet de percevoir ce qui est bon pour la communauté. La description de la ville basse, après les progrès réalisés grâce à Tonine, insiste précisément sur les femmes entourées d’enfants en bas âge, mais aussi sur celles qui travaillent et participent à la vie de la communauté.

Enfin George Sand reprend un de ses thèmes de prédilection qui est l’égalité des savoirs dans un couple, le bonheur de partager ses idées, et d’apprendre l’un de l’autre. Une entente qui comprend l’amour et l’intelligence. Et pour le plaisir deux belles citations qui résument tout ce que je viens de dire :

Elle avait voulu entendre de son mieux la science et les arts de l’industrie qu’elle avait à gouverner, et, sans être sortie de son Val-d’Enfer, elle s’était mise au courant du mouvement industriel et commercial de la France.
Sept-Épées fut donc très heureux de pouvoir causer, devant elle et avec elle, de tout ce qu’il avait / acquis et observé, sans craindre de trouver en elle des préoccupations étrangères à la nature de ses connaissances. Il eut la satisfaction de pouvoir l’éclairer encore sur le progrès qu’elle pouvait imprimer autour d’elle, et de se voir parfaitement compris et apprécié par un esprit lucide et ingénieux, moteur puissant et nécessaire de l’action d’un cœur dévoué. [pp.243 244]

c’est que l’amour enseigne encore mieux que la raison, et que toute science vient de lui. Cela, ne l’oublie jamais ; de cela surtout, souviens-toi ! [p.252]

Il existe un téléfilm tiré de ce roman. Le personnage de George Sand se mêle à ceux de son roman… il va falloir que je mette en quête de ce téléfilm. Un petit avant-goût ? C’est ICI !

Billet écrit dans le cadre du Challenge George Sand et des Samedis Sandiens.

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36 Commentaires

  1. Je ne sais plus si te te l’ai dit mais j’ai relu la mare au diable cet été … j’ai eu un peu de mal au début tant c’est riche mais ensuite j’ai adoré. Il faudrait que je lise des oeuvres moins connues de GS … il me tarde samedi prochain !

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    • les Livres de George

       /  octobre 15, 2011

      Oui tu me l’avais dit, et je suis très contente ! j’espère que tu trouveras d’autres romans qui te plairont !

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  2. il y a toujours deux villes à Clermont-Ferrand… mais tout est fermé en plein été ! sauf les vendeurs de couteaux (et encore, pas tous)

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    • les Livres de George

       /  octobre 15, 2011

      Effectivement, je me suis rendue une fois à Clermont-Ferrand pour un colloque sur Sand !! une ville noire aussi !

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  3. Bonjour , Je connais très mal l’univers de George Sand, par contre le titre de ce roman je le connais bien . C’est un souvenir d’enfance, plus précisément de vacances de Toussaint à Thiers, j’avais été sur le tournage, de ce téléfilm (vu il y a bien sûr longtemps, excellent en ce qui concerne le casting) . L’unique raison est la suivante mon père (Philippe Théaudière Directeur de la Photographie) a travaillé sur ce téléfilm .

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    • les Livres de George

       /  octobre 15, 2011

      Bonjour merci pour votre commentaire. C’est fou les hasards parfois, je suis tombée par hasard sur ces images du téléfilm et voilà que vous me laissez ce commentaire ! ce devait être un moment exceptionnel que ce tournage ! merci encore

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  4. Le film me tente bien mais le roman un peu moins : j’ai déjà lu dans cette veine les maîtres sonneurs etc… et je crois que je vais plutôt me plonger dans la période gothique de sand.

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  5. je suis contente de retrouver les samedis sandiens avec des titres que je ne connaissais pas et qui semblent tres intéressants. Je ne connaissais pas non plus l’éditeur. Affaire a suivre donc!

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    • les Livres de George

       /  octobre 15, 2011

      j’essaie de présenter des éditions accessibles, ce qui n’est pas toujours facile avec les romans de Sand ! j’espère qu’il te plaira si tu parviens à le trouver !

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  6. Bravo d’avoir repris ces samedis sandiens, on en apprend toujours même si les thèmes sont récurrents. On ressort moins bête de chez toi ! 🙂

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    • les Livres de George

       /  octobre 15, 2011

      Je crois que chaque auteur a des thèmes récurrents, mais qu’il les aborde de façons différentes à chaque fois, et c’est ce qui est intéressant quand on se lance dans l’étude d’une oeuvre ! contente que ces rendez-vous te plaisent 😉

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  7. Cette histoire me plaît. Je note.

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  8. Encore un titre de George Sand que je ne connaissais pas et je te remercie de cette découverte… Cette évocation de la ville de Thiers n’est pas sans me rappeler un très joli roman de Jean Anglade, « Un parrain de cendre », qui évoque amplement ce côté ville haute/ville basse… L’héroïne de ce roman m’a l’air très intéressante et très représentative d’une certaine catégorie de femme de cette époque : celles qui veulent jouer un autre rôle que celui que les hommes leur imposent, leur destinent… Très joli retour en force de tes « Samedis Sandien »!… Bravo 😉

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    • les Livres de George

       /  octobre 15, 2011

      Je ne connais Jean Anglade que de nom n’ayant rien lu de lui ! Tonine est une héroïne sandienne comme je les aime !
      merci !

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  9. Je ne connaissais pas ce roman. Mais faisant parti des rares amateurs de Sand qui n’aiment pas Mauprat, je ne sais pas si je vais me laisser tenter.

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    • les Livres de George

       /  octobre 17, 2011

      Le parallèle ne se fait que pour l’éducation du prétendant, car sinon ce sont des romans très différents !

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  10. Ce livre et ton analyse sont très intéressantes, il va quand même falloir que je m’intéresse à cet auteur 🙂

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  11. Maria Antònia

     /  octobre 15, 2011

    Adoro a George Sand y me gustaría participar en estos « samedis sandiens », pero, desgraciadamente, no hay muchas traducciones al español de las novelas de George Sand. Enhorabuena por esa iniciativa. ¡Mucha suerte!

    Traduction online:

    J’aime George Sand, et je tiens à participer à ces « sandiens samedis », mais malheureusement il n’y a pas beaucoup de traductions en espagnol des romans de George Sand. Félicitations pour cette initiative. Bonne chance!

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    • les Livres de George

       /  octobre 17, 2011

      Les romans de Sand sont déjà peu édités en France donc j’imagine qu’en espagnol ce soit encore plus rare !

      traduction online :

      ¡Las novelas de Sand son ya poco editadas en Francia pues j ‘imagine qu ‘en español sea todavía más raro!

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      • Maria Antònia

         /  octobre 18, 2011

        En Juillet a été publié en espagnol, « Lavinia » (1833). C’est un de ses premiers romans. Ce fut une agréable surprise.

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  12. bonsoir,
    ce livre est à la Médiathèque du Grand Troyes dans une autre édition et il me tente à chaque fois. Je termine Le dernier Amour de 1860, (90 mn aujourd’hui en plein soleil sur un banc de Troyes) mais je poursuis en lisant en ligne ma dernière découverte.
    Au prochain RDV sandiens.

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    • les Livres de George

       /  octobre 17, 2011

      As-tu lu « Monsieur Sylvestre » avant « le dernier amour » ?
      bonne lecture et à la semaine prochaine !

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      • non, je n’ai pas lu Monsieur Sylvestre. J’en arrive à plus de la moitié du Dernier Amour, pour l’instant j’adore.
        Ne me pousse pas trop, car je ne devais être qu’une sandienne débutante.
        Toutes les oeuvres sont magnifiques et je n’arrete plus (sauf 3 que je reprendrais plus tard …) . Et puis ma PAL progresse.
        A samedi.

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  13. Ouais, le retour des samedis sandiens !! Celui-là me tente, évidemment. Je crois que je lirai ses romans par thèmes, je regrouperai les histoires de travailleurs, les histoires champêtres… Après les artistes qui devraient donner lieu à publication de billets le mois prochain. 🙂

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    • les Livres de George

       /  octobre 17, 2011

      c’est une bonne idée cette lecture par thème ! j’ai hâte de découvrir tes prochains billets !
      bonnes lectures !

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  14. Finalement, contrairement à Maggie, j’aime tout dans Sand aussi bien les romans gothiques que champêtres ou sociaux ou fantastiques ..ou?? . Tu penses bien que celui-ci me tente; Dès que j’ai fini mes livres pour la rentrée littéraire, je m’y remets!

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    • les Livres de George

       /  octobre 19, 2011

      tu es une fan absolue !!! les livres de la rentrée ont tendance à me retarder aussi 😉

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  15. quenotte

     /  novembre 25, 2011

    J’ai acheté ce livre le weekend dernier dans une foire aux livres anciens ,j’habite à 50 km de Thiers,comment G.Sand a connu cette ville ?

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  16. quenotte

     /  février 4, 2012

    J’ai fini La Ville Noire ce matin ,quelle modernité dans cette jeune femme Tonine ,j’ai adoré et Non Clermont Ferrand n’est pas une ville noire !!!

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  17. Lu depuis début juin 2012, le commentaire est programmé. Reste à dénicher la 3ème oeuvre de ce voyage en Auvergne : le péché de Monsieur Antoine.
    A bientot pour quelques samedis sandiens.

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  18. je prends ton lien…

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à vous....