Entretien avec un auteur : Isabelle Monnin

Je vous propose aujourd’hui un entretien (inespéré) avec Isabelle Monnin, auteur de Les Vies extraordinaires d’Eugène. Ce roman m’a beaucoup touchée mais au-delà du sujet difficile de ce roman, j’avais noté une construction, un style qui fait de ce premier roman, un livre complet. J’ai voulu savoir comment Isabelle Monnin avait conçu et écrit son roman, elle a eu la gentillesse de me répondre.

J’espère que cet entretien vous donnera envie de découvrir ce roman…

1.Comment vient l’envie de parler d’un sujet aussi douloureux que celui de la mort d’un enfant?

Il y a des raisons d’ordres divers. L’une d’elles est le désir de s’attaquer à la question de la biographie qui est souvent l’affaire de la littérature : que sait-on de quelqu’un ? Que peut-on dire et comment peut-on parler de la vie d’une personne ? Ici, c’est presqu’un cas d’école : Eugène a-t-il existé lui qui n’a vécu que six jours ? C’est tout l’enjeu de l’enquête dans laquelle se lance son père. Il est historien, son métier est de dire l’histoire. Il va donc utiliser son savoir-faire professionnel pour tenter de reconstituer, comme dans un puzzle, les différentes facettes de la vie d’Eugène, non seulement ses six jours effectifs de vie mais aussi la vie qu’il aurait dû avoir, petit garçon né en France en 2007, s’il n’était pas mort prématurément.

2. Le fait de faire parler le père (et non la mère), est-ce un choix narratif délibéré ? et si oui pourquoi ?

Je voulais faire entendre les deux voix, celles du père et de la mère, deux façons de devenir parent et d’affronter le drame. D’emblée j’ai eu l’idée que la mère se réfugiait dans le silence et un projet de couture un peu fou et que revenait au père la mission de raconter la vie d’Eugène, à la fois pour lui donner une réalité et pour combler le silence. Elle est silencieuse et onirique. Il est narrateur pragmatique. Cela donne deux styles, deux langues : celle de la mère est presque lyrique, celle du père est simple, sobre et claire. Il ne fait pas de la littérature, il tient juste le journal de son enquête sur Eugène. Donner la place prépondérante au père permet d’éviter deux écueils : tomber dans le pathos et dans le discours « maternaliste » ambiant qui me fatigue. Elle l’a porté pendant la grossesse, à lui de lui donner une existence sociale : c’est une répartition des tâches parentales.

3. Le fait que le roman traite d’un sujet difficile peut faire peur. Etiez-vous consciente de cela en l’écrivant ? Avez-vous pris en compte ce barrage éventuel ?

Je dois confesser que lorsque j’écrivais, je ne me souciais pas du tout d’éventuels lecteurs et encore moins de leurs craintes… Je ne pensais pas être lue par quiconque. Ce n’est qu’à la fin de l’écriture que des amis très proches m’ont suggéré de le montrer à des éditeurs. Alors, oui, j’ai pris conscience de la difficulté du sujet. Le malheur effraye. Il isole, il éloigne, il « désertifie » pour reprendre le mot d’une de mes lectrices. Tout l’enjeu du roman est de rendre le drame des parents d’Eugène accessible, supportable, lisible au sens propre. C’est pourquoi je me suis attachée à ne pas tomber dans le larmoyant et à tenter de parsemer le récit de touches d’humour, de légèreté et d’absurde, notamment lorsque le père d’Eugène retourne sur les lieux de son enfance, auprès de Papy Marcel, ou vole la liste de la crèche pour espionner les copains qu’aurait dû avoir son fils.

4. Outre le sujet très sensible, la forme est importante dans votre roman. Pourquoi ce choix du journal plutôt qu’un récit purement narratif ?

J’avais l’idée du compte à rebours inversé, du calendrier intime de ce couple pour qui le point 0 est désormais et pour toujours la date de la mort d’Eugène. Le journal permet à la fois d’être dans la sobriété du narrateur et de donner la mesure du temps de leur deuil, un temps distordu, décalé, hors du calendrier social. Et aussi de placer, comme en décor, le bruit du monde en arrière plan. Les événements intimes se déroulent toujours dans le même temps que des événements historiques plus ou moins essentiels, ici la mise en scène du couple Sarkozy ou l’élection d’Obama. Cela m’amusait, moi qui suis journaliste, de placer l’actualité pour une fois au second plan.

5. Peu d’auteurs ont traité ce sujet en littérature, vous évoquez les romans de Camille Laurens et de Marie Darrieusecq, mais vous ne parlez pas (du moins votre personnage) de Philippe Forest alors que comme votre personnage, Forest se place en tant que père notamment dans son roman « Tous les enfants sauf un ». Est-ce un choix délibéré?

Le deuil est un thème universel de l’art en général et de la littérature en particulier. De la vie aussi d’ailleurs. C’est pourquoi je crois mon livre touche des gens très différents : nous sommes tous amenés à vivre un jour cette expérience du deuil. Je ne pouvais pas citer tous les livres sur ce sujet ; je ne pouvais non plus faire comme si j’étais la première à m’en saisir. Le père d’Eugène, en bon historien, commence par faire l’état des lieux bibliographique. Il a entendu parler de la controverse Camille Laurens/Marie Darrieussecq mais il n’a pas d’avis sur la question. Ce qui l’intéresse (et moi aussi) c’est juste comment raconter la vie d’Eugène.

6. Qu’aimeriez-vous que l’on retienne surtout de votre roman ?

Que s’il traite d’un sujet sombre, mon livre ne l’est pas. Un peu (et à ma toute petite échelle) comme les tableaux de Pierre Soulages : noirs mais toujours lumineux.

Isabelle Monnin sera en dédicace le Samedi 9 Octobre de 16h à 17h30 à la Librairie « Les Guetteurs du vent », 108 avenue Parmentier, Paris 11ème… vous pouvez aussi vous rendre sur la Page Facebook du roman !

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44 Commentaires

  1. Lui dire, c’est déjà fait, désolé.
    Par ailleurs, si vous aimez la littérature, vos références relatives au ton de mes propos restent bien en deçà des échanges épistolaires,critiques littéraires, analyses des auteurs eux-mêmes, les exemples ne manquent pas…
    Quant aux argumentations, vos propos ne sont – par comparaison- que des impressions … Comme vous le souhaitez vivement, restez entre vous en effet…c’est le meilleur moyen d’avoir raison.
    Vous me rappelez, en souvenir, une expo littéraire sur Rollinat ( G.Sand, marraine) où l’intervenant indiquait aux touristes d’un été qu’il n’était pas utile d’entrer dans la salle s’ils ne connaissaient pas l’auteur ou ne l’appréciaient pas. Auto-suffisance maladroite…
    C’est quand même un peu ça, « votre » blog.
    Respectueusement vôtre…

    Réponse
  2. Excusez du peu…mais un dernier commentaire :
    Si les éditions Lattès ont pour réflexe d’ afficher la photo de l’auteur sur la jaquette de l’ ouvrage publié, pourriez-vous envisager de publier la vôtre pour qu’on évite de juger la personne et non le roman comme vous le souligniez ?
    Meilleurs sentiments.
    Vérité en deçà, erreur au-delà (Pascal)

    Réponse

à vous....