« Va et dis-le aux chiens » Isabelle COUDRIER

Ah il m’en aura fallu du temps pour parvenir à la fin de ce roman, pour tenter de le saisir, d’analyser plus ou moins mon impression de lecture… un roman qui vous obsède à ce point, doit bien avoir quelques chose de particulier. Mais au moment de rédiger ce billet, je sens comme un gouffre s’ouvrir sous mes doigts ! Donc le mieux est de commencer par le commencement.

Sylvia Delaunais, agrégée de mathématiques et scénariste, eut une liaison assez longue avec Louis Schlessinger, jeune homme passionné de cinéma, critique dans la Revue qui a beaucoup à voir avec Les Cahiers du cinéma. Le roman raconte donc deux époques de leur liaison en plusieurs parties. La première se situe dans le présent, lors d’une soirée Sylvia et Louis se revoient plusieurs années après leur liaison. Les parties suivantes racontent les différentes étapes de leur liaison dans les années 90. La fin du roman renoue avec le présent. Voici pour l’essentiel de l’intrigue.

Tout ce roman est donc construit sur cette liaison centrale, et l’analyse plus ou moins psychologique des deux principaux personnes.

Sylvia est une jeune fille assez renfermée sur elle-même, persuadée de n’être pas une vraie femme (selon les dires de sa mère), donc un peu mal dans sa peau. Elle s’évade en pensée à Davos, lieu de l’intrigue de son roman fétiche, La Montagne magique de Thomas Mann. Louis est un passionné de cinéma, il se réfugie dans les salles noires, comme pour se préserver aussi de la réalité. Couple peu banal, légèrement asexué, l’amour physique ne les intéresse pas plus que cela, ils ne sont pas non plus dans une affection tendre, et on finit par se demander ce qu’ils peuvent bien faire ensemble, si ce n’est aller au cinéma, et se rendre à quelques soirées.

Isabelle Coudrier, scénariste, livre ici son premier roman et pour un premier roman c’est un pavé, plus de 800 pages des plus denses. La construction est originale et basée sur un long récit rétrospectif de la liaison entre les deux personnages principaux ! Mais le roman ne fait pas que raconter leur histoire, il éclaire aussi la vie des personnes que côtoient le couple : la famille, les amis, les gens avec lesquels ils travaillent. Le roman offre donc de nombreuses digressions sur la vie de ces personnages secondaires.

L’empreinte cinématographique est très marquée. Tout d’abord parce que les personnages parlent de cinéma, que la Revue dans laquelle travaille Louis a beaucoup de points communs avec les célèbres Cahiers du cinéma, que Sylvia va être amenée à collaborer à quelques scénarios, mais l’écriture même d’Isabelle Coudrier relève de l’écriture scénariste, et certaines scènes sont particulièrement cinématographiques dans la façon de décrire les gestes, les attitudes des personnages. De même, par moment, certains passages m’ont fait penser à ces voix off de film qui permettent l’ellipse pour faire avancer l’histoire.

C’est un roman prenant, parce que l’on suit le cheminement des pensées des personnages, leur évolution, leurs états d’âme, leur malaise, et j’ai aimé particulièrement le fait que l’on pénètre dans la pensée de chacun, et que l’on perçoive ainsi la façon dont ils interprètent les réponses, ou les attitudes de l’autre. L’auteur met donc particulièrement bien en relief la différence entre ce que l’on peut paraître penser et ce que l’on pense réellement, le décalage qui se crée et qui débouche sur des malentendus. Finalement la relation entre Sylvia et Louis se construit sur des malentendus, un mal-être respectif et tout le roman va consister à résoudre ces erreurs, pour enfin construire quelque chose de viable.

Toutefois, il faut bien en venir à quelques points qui ont quelque peu entravé ma lecture. Mon principal problème face à ce roman, c’est sa construction et sa trop grande densité justement. Certains passages sont trop longs, et semblent ne rien apporter à l’histoire, si ce n’est une épaisseur qui devient parfois étouffante. Le début (soit les bonnes 250 premières pages) est assez maladroit, avec des répétitions et des insistances sur des éléments constitutifs du personnage de Sylvia, par exemple, mais qui, au fil du roman finissent par totalement disparaître, à tel point qu’on se demande pourquoi l’auteur a tant insisté dessus au début.

Il manque, à mon avis, un travail de synthèse, de resserrement de l’intrigue, et de contrôle du flux de l’écriture. Isabelle Coudrier aime écrire, écrit bien mais est trop prolixe, et m’a souvent perdue dans le flot des mots. Ce n’est pas tant le fait qu’elle insère l’histoire des personnages secondaires qui pose problème, mais la place que cela prend dans l’économie du roman et l’intérêt que cela apporte à l’intrigue principale. Vouloir tout dire est impossible, et pour qu’un roman « fonctionne » (je sais le terme n’est pas très joyeux!) il est nécessaire de resserrer, de synthétiser, bref d’aller à l’essentiel.

Il y a également quelques maladresses et notamment la référence à La Montagne Magique de Thomas Mann. Cela se ressent surtout au début du roman, où les références sont très fréquentes mais n’apportent pas grand chose, ensuite il y a plusieurs parties où ces références disparaissent puis ressurgissent et trouvent plus ou moins leur justification à la fin, sans pourtant que ce soit très explicite alors même que c’était justement l’occasion de souligner le lien avec ce roman.

Toutefois, et malgré le temps passé à la lecture de ce roman, je ne peux pas dire que je ne l’ai pas aimé (double litote!), il s’en dégage une forte impression de bon roman, que l’on peut même rapprocher du Aurélien d’Aragon dans le portrait de ce couple atypique. C’est un roman riche, passionnant, dans lequel les personnages ont une réelle épaisseur, et auxquels on s’attache, et des personnages que j’ai quittés, finalement, avec regret. Il y a des vraies trouvailles stylistiques dignes des grands écrivains. Tout cela fait que, malgré mes remarques quelques peu négatives, ce roman est sans aucun doute à lire, et Isabelle Coudrier est une romancière à suivre.

Chroniques de le rentrée littéraire

Challenge 1% Rentrée Littraire 2011 3/7

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27 Commentaires

  1. Excellente analyse….qui enchante et refroidit en m^me temps
    Ce pavé de 800 pages me fait peur (j’ai déjà capitulé avec « Les Bienveillantes »,) et je pense avoir du mal à « rentrer dedans ».
    Je m’en vais terminer « Le type de la tombe d’à côté »……

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    • les Livres de George

       /  octobre 3, 2011

      Disons que l’auteur aurait pu le couper de moitié, c’est un peu ce qui énerve ! mais c’est un roman qui a du potentiel comme on dit 🙂 ! je n’ai pas encore lu « le mec » il est dans ma PAL depuis pfffff !

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  2. J’ai survolé pour mieux revenir sur ton billet après ma lecture!

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    • les Livres de George

       /  octobre 3, 2011

      j’ai hâte de connaître ton avis, pour l’instant je n’ai vu passer aucun billet sur ce roman, je suis donc curieuse de voir d’autres avis ! tu l’as entamé ?

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  3. Les états d’âmes, j’aime ça. Il est vrai que sur 800 pages, il faut maitriser et c’est peut-être difficile pour un premier roman. Mais, j’avais dêjà lu des critiques positives sur ce roman, donc, si je le trouve en bibliothèque, je le lirais sûrement.

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    • les Livres de George

       /  octobre 3, 2011

      Je serai ravie d’avoir un autre avis sur ce roman ! j’espère que tu aimeras, mon avis est un peu mitigé, mais finalement je n’ai jamais vraiment voulu l’abandonner, ce qui reste bon signe !

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  4. 800 pages avec tout ce que j’ai à faire (et à lire ) en ce moment je passe mon tour mais ton analyse est très intéressante

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    • les Livres de George

       /  octobre 3, 2011

      merci ! je l’ai lu en en intercalant d’autres, comme ça c’était plus facile et j’y revenais quand même avec plaisir !

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  5. Pas très envie de le lire, les 800 pages me refroidissent ! Mais j’apprécie ton analyse ! un beau billet.

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    • les Livres de George

       /  octobre 3, 2011

      merci Syl. ! disons que 800 pages justifiées ça peut marcher, mais quand on sent qu’il y a des digressions un peu longuettes, ça fait réfléchir !

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  6. Une très belle analyse qui attise ma curiosité pour ce roman… On sent nettement que tu as apprécié ta lecture, mais que tu as dû faire face à des entraves dans les « scènes »… Que ça n’a pas « coulé » tout seul quoi… Il reste un sentiment positif qui me fera sûrement tenté l’aventure si ce roman finit par sortir en format poche… Le nombre de pages sera alors la surprise! 😉

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    • les Livres de George

       /  octobre 3, 2011

      en poche je n’ose pas imaginer 😦 ! ce qui est un peu bizarre c’est que j’en garde une certaine nostalgie, et un certain regret aussi parce que je pense que ça aurait pu être un très bon roman s’il avait été un peu plus « travaillé » !

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  7. tenteR!!! pfff… Pas les neurones en phase ce matin… 😉

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  8. Beau billet s’il en est ! >Mais comme toi, je reproche souvent aux primo-romanciers d’en faire trop, de vouloir « tout » dire (ou presque) dans leur premier roman ! Ces 800 pages ne m’attirent pas du tout pour le moment… J’en ai un de 500 en cours et j’ai du mal justement avec des longueurs inutiles alors que le livre par ailleurs est bon ! La dilution j’appelle ça ! 🙂

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    • les Livres de George

       /  octobre 3, 2011

      merci 🙂 ! c’est dommage car il y a des très très bons moments et que ça aurait pu être un coup de coeur ! j’attends donc le prochain avec impatience 🙂
      Dilution : le mot est parfait 😉

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  9. Je passe mon tour également, je remarque que quand un livre me lasse, en ce moment, il devient trop pesant pour moi et je n’arrive pas à lutter pour voir si c’est mieux ensuite…exemple, le Pancol lâchement abandonné la semaine dernière…
    l’histoire semble malgré ces failles intéressantes…mais le cap des 250 premières pages est trop difficile à atteindre 😉 je verrais pour un roman de cet auteur plus court !

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    • les Livres de George

       /  octobre 3, 2011

      Mais en fait, je me rends compte que je n’ai jamais eu vraiment envie de l’abandonner, parce qu’il y avait toujours un moment où ça devenait intéressant, et puis il n’y a pas à dire, cette Isabelle a une plume, et une capacité à créer et faire vivre ses personnages, le problème est qu’elle ne va pas toujours au bout, et qu’on doit lire des cinquantaines de pages sur un personnage sans que cela serve à l’intrigue principale ! chaque personnage finalement est pour l’auteur l’occasion d’écrire presque un roman dans le roman !

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  10. Très belle critique pour un livre qui me semble, outre sa longueur, très dense. Je ne suis pas certaine de vouloir le lire (800 pages !!!!) bien que très attirée

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    • les Livres de George

       /  octobre 3, 2011

      Il sortira sans doute en poche un jour ! c’est un roman intéressant malgré mes petites réticences, il faut dire que le style est assez remarquable et tient vraiment le roman !

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  11. 800 pages, ce n’est pas pour me faire peur, mais l’idée que les 250 premières… Bon, 250, c’est beaucoup et dès le départ, même en sachant que je n’ai JAMAIS abandonné un livre en cours de lecture, ça me fait un peu peur. Donc, pas tout de suite (Attendre la sortie en poche?), mais j’ai quand même beaucoup aimé le billet. Lire le roman pour mieux apprécier le billet? Ce ne serait assurément pas la plus mauvaise raison de lire! On lit bien sur base d’une jolie couverture… D’ailleurs, il n’y a que de bonnes raisons de lire, alors, merci de nous y pousser!

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    • les Livres de George

       /  octobre 3, 2011

      c’est embêtant parce que mon avis sur ce roman est assez paradoxal ! j’ai envie de le faire découvrir, car il en vaut vraiment la peine, l’histoire, les personnages, le style sont vraiment intéressants, mais d’un autre côté je ne peux taire les quelques imperfections (qui me sont propres !). Le mieux est sans doute de s’en faire sa propre idée ! si vous vous décidez à le lire, j’aimerais bien que vous reveniez me dire vos impressions ! bien à vous !

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  12. Félicitations, tu as enfin terminé ce pavé 🙂
    Pour le moment, j’ai pas le courage de me lancer dans une telle lecture, s’il est si long à lire, mais un jour peut-être 🙂

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    • les Livres de George

       /  octobre 4, 2011

      OUIIII ouf !!! peut-être auras-tu envie de le lire quand il sortira en poche, s’il sort en poche !

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  13. depocheenpoche

     /  octobre 5, 2011

    Livre et auteur inconnus au bataillon. C’est sûr que déjà 800 pages ; ça calme alors si en plus la lecture n’est pas aisée, ce roman ne me tente pas beaucoup, moi qui mets des jours et des jours à lire « L’ombre du vent » !! Donc félicitations d’avoir été jusqu’au bout. On sent tout de même que ce livre ne t’a pas laissée indifférente alors peut-être que pour les plus courageuses, il y a peut-être un certain intérêt à le lire et découvrir cette auteure…

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    • les Livres de George

       /  octobre 5, 2011

      « L’ombre du vent » est pourtant plein de rebondissements 😉 !! pour celui de Coudrier, c’est un roman très intéressant sur plusieurs points, et une fois fini, et avec le recul, on finit par oublier un peu les bémols, mais sur le coup, en le lisant, on est aussi parfois un peu exaspéré,donc pas facile, le mieux étant de se faire son propre avis !

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  1. Délivrer Des Livres » Challenge 1% Rentrée Littéraire 2011 – Les participants et les titres

à vous....