« Les Années douces » Hiromi Kawakami

J’ai mis fin ce matin à la lecture de ce roman, mais plus que la fin d’un roman c’est aussi, pour moi, la fin d’une promenade en compagnie de deux personnages pudiques et comme hors du temps.

Avant de découvrir l’existence de ce roman, j’avais lu le manga qui en est une adaptation. Le manga m’avait un peu laissé sur ma faim. Mais le roman fut un réel plaisir, tout simplement parce qu’il apporte plus de sensibilité, plus de détails, nous plonge davantage dans les pensées des personnages, et notamment de Tsukiko, la narratrice.

Tsukiko est une jeune femme plus proche de la quarantaine que de la trentaine, célibataire, on saura seulement qu’elle travaille dans un bureau. Un soir, elle rencontre, dans un petit troquet, son ancien professeur de japonais, Harutsuna Matsumoto. Elle l’appellera dorénavant le maître. Le hasard va régler leurs rencontres. Ils ne prennent pas rendez-vous (du moins pas encore), ils se croisent, au troquet, dans la rue, et décident de boire ensemble. Depuis que j’ai lu ce roman, je veux absolument connaître le goût du saké chaud! Autour de cette boisson, leurs conversations ne sont guère animées, ils sont ensemble et cela semble leur suffire !

Le roman est divisé en plusieurs chapitres, qui chacun raconte une de leur rencontre, comme de très courtes nouvelles qui utiliseraient toujours les mêmes personnages. On s’installe, dans ce roman, paisiblement, on se met au rythme des personnages. En dehors de leurs rencontres, on ne saura rien, ou presque sur eux. Le maître conservera son mystère jusqu’au bout.

Tsukiko, le maître le lui dit assez, n’est pas la japonaise traditionnelle : célibataire, quasi alcoolique, elle vit seule à près de 40 ans, sans enfant et ne semble pas avoir eu un passé sentimental très florissant. Le maître est veuf, parle peu, récite et écrit des Haïku. Tout semble les séparer et pourtant, autour de ce fameux saké chaud, un lien étrange se noue.

Je me rends compte, en écrivant ce billet, qu’il m’est bien difficile d’en parler, sans doute parce qu’il se ressent plus qu’il ne s’analyse, que le style de Kawakami, tout étant très simple, suggère plus qu’il ne dit :

Depuis quand le maître et moi étions devenus si poches l’un de l’autre? Au début, il avait été pour moi un personnage très lointain. Il représentait à mes yeux « le prof » que j’avais eu autrefois, dans un lointain passé, un inconnu, un vieux. Même après avoir échangé avec lui, quelques mots, je ne savais pas quel visage il avait. C’était une présence indéfinissable à côté de moi, à ce comptoir où il buvait paisiblement son saké. (pp.206/207)

On ressent à la fois un bien-être, une douceur (voilà pourquoi le titre français est si bien choisi), mais aussi une certaine tristesse nostalgique. Car, après tout, ces deux êtres sont bien seuls, et leur rencontre, si elle va leur permettre de combler cette solitude quelque temps, la révèle aussi.

!!!! attention, spoiler  !!!!

Le dernier chapitre montre toute la pudeur du style de Kawakami : aucun apitoiement, aucun sentimentalisme facile, bien au contraire, cette fin se dévoile en douceur, délicatement, et j’ai refermé le roman avec un sentiment mélancolique, cette mélancolie qui mêle tristesse et bien-être :

Les soirs comme ça, j’ouvre la serviette du maître, et je regarde à l’intérieur. La serviette est vide, et ce vide se déploie. Oui, un vide infini s’étend sur toutes choses, le vide de l’absence. (p.284)

Lu dans le cadre du Club des Lectrices.

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23 Commentaires

  1. J’en avais déjà très envie depuis le billet de Karine alors tu prêches une convaincue ! ;o)

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    • leslivresdegeorgesandetmoi

       /  Mai 6, 2011

      J’espère qu’il te plaira aussi 😉 !j’ai en effet lu aussi le billet de Karine, qui était très beau !

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  2. Je l’avais lu il y a quelques années déjà, mais la sortie de la version manga (by Jiro Taniguchi, quand même) me donne très envie de le relire.

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    • leslivresdegeorgesandetmoi

       /  Mai 6, 2011

      Tanigichi est en effet très bon, et le manga a été fait avec la collaboration de Kawakami, il colle parfaitement au roman !

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  3. Delphinesbooks

     /  Mai 6, 2011

    Tu décris très très bien les sentiments que j’ai eu face à ce livre, cette grande nostalgie. Je vais aller voir ton avis sur le manga, mais si tu es restée sur ta faim….

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    • leslivresdegeorgesandetmoi

       /  Mai 6, 2011

      Après avoir lu, je t’avoue que je reconsidère un peu mon avis sur ce Manga !

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  4. Mon homme (qui a vécu au Japon) me dit que la saké chaud, c’est très bon 😉

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    • leslivresdegeorgesandetmoi

       /  Mai 6, 2011

      oh non ne me dit pas ça…. j’en ai encore plus envie 😉

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  5. Déjà noté, tu en remets une couche. Je pense qu’il devrait me plaire 🙂

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    • leslivresdegeorgesandetmoi

       /  Mai 6, 2011

      oui oui oui !!! j’en suis presque sûre ! 🙂

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  6. depocheenpoche

     /  Mai 6, 2011

    Anne-Claire,
    J’ai besoin de tes lumières pourquoi tu as écrit en rouge : !! Attention spoiler !! ?

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    • leslivresdegeorgesandetmoi

       /  Mai 7, 2011

      parce que ce qui suit peut donner des infos sur la fin du roman !!!! 🙂 ! to spoil signifie gâcher, donc c’est pour prévenir !

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  7. Impossible de ne pas le noter !!!

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  8. Très, très tentant . J’aime ces romans où on a l’impression qu’il ne se passe rien alors qu’il s’y passe tout , et où on prend le temps. Je note donc.

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  9. Ta description me tente……. je crois que je vais le mettre sur ma liste des livres à lire….

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  10. Je ne suis pas trop tentée par le roman (vu que je ne suis pas forcément fan de littérature asiatique) mais la BD qui en a été tirée me tente énormément (et puis, c’est Taniguchi qui met cette histoire en images !)

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    • leslivresdegeorgesandetmoi

       /  Mai 10, 2011

      le manga est très fidèle au roman, et il a été écrit avec Kawakami, l’auteur du roman + l’art de Taniguchi, ça donne un très beau résultat !

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  11. Val

     /  juin 2, 2011

    Bonsoir,
    Ce roman m’avait emportée dans un monde de douceur et presque de vacuité tout comme son précédent « la brocante nakano ». J’ai vraiment plaisir à partager ces impressions avec vous qui l’avez lu… Peu de gens lisent des romans japonais autour de moi et quand je les prête personne n’arrive à s’y mettre. L’année dernière, j’ai eu une période romans étrangers asiatiques et j’ai découvert Kawakami, puis je suis passée à des romans indiens (« le tigre blanc » et les nouvelles de Bulbul Sharma) et au détour d’une conversation avec un libraire, j’ai été dirigée vers » l’immeuble Yacoubian » de El aswany. Cette promenade littéraire m’avait comblée.
    Ce mois ci, j’ai lu, suite à votre billet, « le cercle littéraire des éplucheurs de patates « puis  » 84 charing cross road » et, là encore régal…
    Je suis tentée par Oates après votre billet sur « Blonde »…
    Cordialement

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    • leslivresdegeorgesandetmoi

       /  juin 3, 2011

      Merci Val ! votre commentaire me touche beaucoup, savoir que mes petits billets donnent envie de lire et comblent des attentes de lecture justifient l’existence de ce blog et me donnent l’énergie et l’enthousiasme de continuer. Oates est une auteure magistrale avec un style si percutant, si parfait qu’elle parvient à m’emporter dans des univers même les plus sombres ! j’espère que « Blonde » vous plaira autant qu’à moi !
      Bonne lecture,
      Bien à vous

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  12. ROBERT

     /  janvier 28, 2017

    Bien qu’assez âgé, je n’avais jamais lu un roman aussi tendre et doux.
    Quelle pudeur entre nos deux personnages !
    On ressent tout au long de ce roman une certaine paix intérieure semblable aux jardin zen. Vraiment une belle écriture pour nous faire du bien.

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  1. Les Années douces (2001) / Hiromi Kawakami « Le Blog des Livres qui Rêvent …

à vous....