« Le fils de Jean-Jacques ou la faute à Rousseau » d’Isabelle Marsay

Jean-Jacques Rousseau, philosophe, écrivain et musicien, est un homme paradoxal, et son meilleur ennemi, Voltaire, s’est fait fort de le mettre devant ses contradictions. L’auteur de l’essai sur l’éducation des enfants (Emile ou l’éducation), qui révolutionna le rapport de la mère à l’enfant (et notamment en mettant à l’honneur l’allaitement maternel) mais aussi l’enseignement à donner aux enfants (enfin plutôt aux fils qu’aux filles d’ailleurs), est aussi un père qui abandonna ses cinq enfants à l’Hôtel-Dieu. De cette contradiction, Isabelle Marsay a fait un roman. Elle imagine le destin de l’aîné de ses fils déposé à l’hospice des Enfants-Trouvés en novembre 1746. Ce roman a plusieurs intérêts, et il fut une très agréable découverte pour moi.

Isabelle Marsay nous décrit les conditions de vie de tous ces enfants abandonnés dans un siècle qui s’ouvrait à la Lumière des réflexions philosophiques sur l’homme, la liberté, l’éducation, etc. L’auteure nous met au sein de l’horreur du destin de ses enfants, dont la plupart n’atteignait pas l’âge d’un an, et, pour les plus « chanceux », étaient confiés à des nourrices qui, en donnant leur lait pour quelques sous, se souciaient souvent fort peu du bien-être de ces petits êtres. Rousseau finalement incarne parfaitement l’aspect paradoxal de ce siècle encore englué dans un certain obscurantisme et à la fois porté par les lumières voulant remettre l’homme au centre des préoccupations. A l’époque évoquée dans le roman, le taux des enfants abandonnés était très important et exponentiel, à tel point que l’on pensait les envoyer en Lousiane pour obtenir de la main d’œuvre facile et pas chère, on faisait peu de manières dans un siècle où l’esclavage n’était pas encore abolie. Ces enfants bâtards et nourris aux frais de la France devaient rendre ainsi compte des dépenses effectuées pour eux.

Baptiste, fils naturel de Rousseau et de sa compagne, Marie-Thérèse Le Vasseur, va connaître une vie que la majorité des enfants abandonnés n’auront pas, mais ce destin, imaginé par Isabelle Marsay, est surtout les faits du hasard et de la bonté d’une femme.

A travers le récit de la vie de Baptiste, Isabelle Marsay nous plonge dans le XVIIIème siècle, nous montre ses aspects sombres, mais aussi l’évolution en marche. Baptiste sera élevé par un médecin, personnage fabuleux, nourri des nouvelles recherches sur l’anatomie, un médecin rousseauiste en sorte, une autre façon de filer la métaphore du paradoxe.

En parallèle du récit de la vie de Baptiste, l’auteure intercale des extraits de la correspondance de Rousseau, des lettres dans lesquelles il révèle ses remords vis-à-vis de ces abandons, son malaise et tout le courage et l’abnégation de Marie-Thérèse qui partagea la vie du philosophe malgré ce qu’elle dût subir dans sa chair de mère. Isabelle Marsay révèle aussi la contradiction de Rousseau en publiant des extraits de l’Emile, des passages qui nous révoltent d’autant plus par la mise en parallèle avec le récit du destin de Baptiste.

Ce roman est une très belle découverte, pour tout ce que j’en ai dit ici mais aussi pour son style, pour la construction du récit, pour ses personnages marquants et aussi, bien sûr, pour l’évocation du scandale qui secoua les philosophes et qui est à l’origine du complexe de persécution de Rousseau. Un très grand livre.

Si ce roman vous tente, et parce que j’aimerais le faire découvrir, je peux en faire un Livre Voyageur. N’hésitez pas à vous manifester en commentaire (Aspho tu es la première sur la liste!).

Roman lu dans le cadre du Challenge Romans sous influences : Si le personnage de Rousseau n’apparaît pas dans le roman, les référence à son oeuvre, et à sa vie font entrer ce roman dans le challenge Romans sous Influence.

et du Challenge S.T.A.R 4.

Merci à Babelio et à son Masse Critique (lien qui vous permettra de lire d’autres avis) qui m’a permis de passer un merveilleux moment de lecture, et merci aux éditions Ginkgo.

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30 Commentaires

  1. michelle

     /  Mai 1, 2012

    tu me donnes envie de lire ce livre,
    entre Voltaire et Rousseau, mon coeur va plus naturellement vers Voltaire

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    • Je t’avoue que moi aussi, depuis ma lecture des « Confessions » ce cher Jean-Jacques a tendance à me taper sur les nerfs, même si « L’Emile » est quand même un livre très novateur !

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      • michelle

         /  Mai 1, 2012

        certes ,et le nouveau contrat social est un grand pas;
        mais il lui était plus facile d’écrire que d’appliquer ses méthodes ;
        écrire l Emile et abandonner ses enfants!!

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  2. liligalipette

     /  Mai 1, 2012

    Il faut lire « La nouvelle Héloïse » de Rousseau ! Un des plus beaux textes d’amour !

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  3. Quelles contradiction !
    Ton billage donne envie de le lire en tous cas ! Je veux bien être dans la liste pour le livre voyageur derrière Asphodèle bien sûr !

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  4. C’est un roman qui permet en plus de un écrivain et une époque, de réviser ses classiques, un roman que je note et mettrais sûrement dans ma prochaine commande, une manière de faire sortir Rousseau de son rayon (pas poussièreux mais un peu oublié !!)

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  5. estellecalim

     /  Mai 1, 2012

    Je vote pour le livre voyageur (je vais d’ailleurs en envoyant quelques uns en excursion très bientôt, je pense) et je postule sans hésiter 😀
    Mais j’ai une petite question : est-ce que l’auteur romance la vie de cet homme qui a vraiment existé ou est-ce qu’elle part du fait (l’abandon) pour inventer ensuite la vie possible, éventuelle de l’un des fils ?
    Ces abandons me fascinent, je dois bien l’avouer…

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    • Je te note. Pour répondre à ta question, le destin de Baptiste est totalement inventé puisque Rousseau avait abandonné ses recherches, on ne sait donc pas du tout ce qu’est devenu ce garçon, ni ses frères et sœurs d’ailleurs.
      Ce sujet m’intéresse aussi beaucoup.

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    • isabelle marsay

       /  Mai 24, 2012

      Merci pour le fil de vos commentaires, découverts à l’instant. Je tente de répondre à Estelle qui tente de démêler la part de fiction et de réalité. L’auteur, en l’occurrence ma petite personne, s’est fondé sur des recherches biographiques, historiques pour tenter de comprendre les paradoxes de notre éminent pédagogue.
      Mon but n’est pas tant de juger Rousseau mais de donner au lecteur le maximum de clefs pour le faire et exaucer le voeu de l’auteur des « Confessions ». Le destin du petit Baptiste se fonde sur des recherches relatives au sort des enfants abandonnés, mais il n’existe que sur le papier, même si je me suis beaucoup attachée à lui!!! Excellente soirée, isabelle Marsay.

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      • Bonjour, merci pour votre commentaire et pour les explications que vous donnez sur la façon dont vous avez procédé pour écrire votre roman. Votre roman est un vrai coup de coeur, et votre Baptiste est un personnage qui me poursuit encore plusieurs semaines après la lecture de votre roman. Merci donc pour ce beau roman.

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  6. Lumineux et obscur Rousseau, comme son époque…

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  7. C’est un livre qui me tente beaucoup

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  8. J’arrive, j’arrive et je dis OUI pour le voyage !!! 🙂 Ton billet a fini de me convaincre ! J’ai lu Voltaire et Rousseau à l’école, donc ça remonte mais il est vrai que j’ai des souvenirs plus nets concernant Voltaire. Ce paradoxe est intéressant même si (à mes yeux) aucune priorité intellectuelle ne justifie l’abandon d’un enfant… Donc doublement intéressant !!!

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  9. Génialissime, un livre voyageur que j’ai très envie de lire! Je m’inscris à dix mains! Je partage entièrement ton avis et celui de Michelle sur Rousseau! C’est pourquoi j’ai bien envie de lire ce livre!

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  10. Je te rejoins complètement! J’ai été fascinée par ce livre, entre roman et citation des essais de Rousseau. Isabelle Marsay réussit un coup de maitre avec ce livre!

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  11. Je viens de publier un billet à propos de ce livre que j’ai vraiment aimé aussi ! Contente de voir qu’il fait son chemin sur la toile car je trouve qu’il a peu été mis en valeur par la critique dite « officielle », c’est bien dommage car il mérite lecture et lecteurs.

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    • Oui c’est dommage qu’on en parle si peu sur les grands médias alors même que l’on fête les 300 ans de la naissance de Rousseau, heureusement il y a les blogs !!!

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  12. Flo

     /  août 19, 2012

    Je découvre ton blog avec plaisir. Ton billet me donne vraiment envie de lire ce livre.
    Que faut il faire pour participer au livre voyageur ? Est ce possible même si on n’a pas de blog ?

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  13. Et voilà, je vais le publier.. Pas encore décidé ce Vendredi ou lundi .. merci George pour ce livre passionnant! Je l’envoie bien vite à la suivante.

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  1. LE FILS DE JEAN-JACQUES ou la Faute à Rousseau d’Isabelle Marsay |

à vous....