J’en sors à peine, et j’en suis encore émerveillée, ravie (dans les deux sens du terme), le sourire aux lèvres. Quel plaisir, mon Dieu ! Il faut absolument parler de ce roman, le lire, le conseiller, c’est un objet à part, réjouissant au possible qui m’a fait vivre deux heures merveilleuses. Alors je pourrais m’arrêter là mais ce serait bien dommage car il y a foule à dire sur ce « petit » roman.
Tout d’abord le sujet en lui-même : ce roman raconte la vie mouvementée d’un livre, ce livre que vous allez tenir entre vos mains. Le narrateur c’est lui, le Livre, vouant à l’auteur, l’Autre, un certain mépris, critiquant son narcissisme et son manque de reconnaissance, cherchant les mains douces qui sauront le prendre, l’ouvrir, le caresser.
Faire parler un livre, quelle bonne idée! Et nous lecteurs et lectrices, n’avons-nous pas aussi pensé parfois à la vie de nos livres chez nous ? Sont-ils heureux ? les avons-nous placés dans le bon voisinage ? Frédérique Bué nous offre ici l’histoire de l’un d’eux, avec humour, avec une goût fabuleux pour les mots, avec réflexions et intelligence. Les personnages qui croisent le chemin du Livre, sont de douces figures, par toujours des lecteurs très accomplis, mais que j’ai aimé rencontrer, notamment ces enfants aux prénoms si bien choisis : Lili, Lulu ou Kilitou. Le libraire est Dieu le père, la bibliothécaire est revêche, la Lectrice laisse dans son sillage de douces fragrances… Impossible après la lecture de ce roman, de voir nos livres comme avant! Ils sont vivants, qu’on se le dise.
Constitué de courts chapitres, mêlant récit et métatextualité, ce roman est un bonheur de lecture pour amoureux des livres. Certaines phrases sont comme des gourmandises qu’on laisse fondre sur sa langue pour en savourer le goût jusqu’au bout. Nos habitudes de lecteur s’y retrouvent : petits signes au crayon à papier dans la marge blanche, marque-page divers et variés, mais nos vilaines habitudes aussi comme curer nos ongles de leur saleté sur le bord de la page, ou éclater la tranche d’un geste nerveux. Si la première partie fait évoluer le Livre dans un univers de lecture, où le Livre est avant fait pour être lu, dans une deuxième partie, l’objet livre se révèle davantage et existe pour lui-même en dehors du texte. Frédérique Bué s’autorise des plongées poétiques, des clins d’œil aux classiques (rien qu’à la lecture de la première phrase du roman, j’étais conquise!), une vision nouvelle et assez juste du libraire et du bouquiniste. Le Livre change de main, échoue dans des lieux incertains, se voit attribuer des usages pour le moins étonnants, et tout cela, finalement, rend bien compte des mille et une vies d’un livre.
Les deux derniers chapitres nous font chérir notre exemplaire, et je peux vous dire que je ne le vois pas du tout du même œil depuis que je l’ai lu.
Merci à Céline D. pour m’avoir permis de lire et d’aimer ce roman.
Ce roman entre parfaitement dans le cadre du Challenge Le Nez dans les livres, car non seulement le livre est le sujet principal du roman, mais plus encore puisqu’il est lui-même le narrateur de ce roman. Mise en abyme fantastique, qui donne au livre le don de la parole et du récit, et qui nous plonge dans un monde parallèle, où un livre peut tomber amoureux d’un congénère, peut détester son double ou souffrir de partager son étagère avec un livre ennemi. Le livre est ici à la fois objet de lecture, mais, comme je le disais aussi plus haut, livre-objet, symbole de culture en dehors même de son texte.