Les éditions de Minuit ont une histoire et présentent souvent des textes littéraires héritiers du Nouveau Roman… aborder ce roman de Jean-Philippe Toussaint dans cette édition, celle qui édite Echenoz, Robbe-Grillet, c’est partir avec un idée dans la tête… ce que l’on va me raconter ne va pas primer, c’est davantage la façon dont on va me le raconter qui va importer… et en effet !
Le sujet de ce roman : la rupture d’un couple racontée en quelques jours dans une ville étrangère, à la culture étrangère : Tokyo…
Mais, Toussaint ne tombe jamais dans l’exotisme, ses descriptions de la ville s’accrochent aux buildings, aux lumières, au grouillement des gens, bien sûr nous parle-t-il des baguettes, mais pas de longues descriptions, presque rien sur les gens croisés, les mots japonnais ne peuplent pas le texte… on est loin d’un roman réaliste et exotique…
De même pour le sujet. Si celui-ci est un poncif de la littérature, la façon dont le traite Toussaint est nouveau. Le narrateur est fatigué (décalage horaire), déprimé (il rompt), puis malade (il a pris froid lors d’une excursion nocturne dans la neige!), il nous entraîne dans un série de pensées mais là encore rien de romantique, de pleurnicheur… bien au contraire… car cette prose manie aussi l’humour, le décalage… les pensées sont perçues à travers une manière de nous décrire le décor ou les gestes du narrateur :
Je sortis mon carnet d’adresses de la poche de mon manteau et m’assurai que j’avais bien le numéro de téléphone de Bernard. Je cherchai un téléphone à pièces et en trouvai un dans une cabine aux portes mal conçues, qui s’ouvraient vers l’extérieur, je me faufilai entre les battants, que je laissai se refermer dans mon dos, posai mon carnet sur la plaque de métal des annuaires, et composai le numéro de Bernard. (p.113)
Descriptions dans le détail des moindres gestes, comme un automate accaclé par la fatigue, la déprime et la maladie, le narrateur agit sans réfléchir…
Faire l’amour est le premier roman d’un cycle qui se poursuit par Fuir et dernièrement sorti La Vérité sur Marie. Autre figure centrale du roman, Marie, la femme aimée, tient une place bien évidemment essentielle. Très peu décrite, elle nous apparaît souvent en pleurs, sensuelle, sûre d’elle. Nous entrons, selon l’expression, in media res, dans leur histoire, comme on prend un train en route… l’immersion est totale, et ce couple, en pleine séparation, que le désir anîme encore, nous apparaît violent et en même temps inséparable. Le narrateur l’explique :
Nous nous aimions, mais nous ne nous supportions plus. Il y avait ceci, dans notre amour, que, même si nous continuions à nous faire plus de bien que de mal, le peu de mal que nous nous faisions nous était devenu insupportable.
En arrière plan, la menace de ce flacon d’acide chlorhydrique, que le narrateur transporte tout le temps avec lui, comme en prévision d’un drame à venir… En complément du roman, une analyse très fine et très intéressante de Laurent Demoulin, tente d’expliciter la raison de la présence de ce flacon. Que symbolise-t-il? Il finit par conclure que ce petit flacon représente l’angoisse du narrateur, la précision de la disparition de l’amour pour Marie.
Un roman donc, surprenant par son écriture, mais qui emporte et qui donne envie de poursuivre le cycle, d’autant que rien ne semble résolu à la fin de ce roman !


D’autres critique par ICI, notamment celles de Hélène, Gabi, Zaza et Cathy.
