Défi à suivre sur le Journal
Oui, je suis heureuse, car on a besoin de moi. Peut-être chaque être humain n’a-t-il besoin pour être heureux que d’une seule personne qui ait besoin de lui. (p.177)
Madame le professeur a disparu de son petit appartement de la maison de retraite où elle a accepté de s’installer une fois « jetée à la porte » de chez elle, après le décès de mon mari, par une belle-fille manipulatrice, le monstre, comme elle la surnomme. Âgée de 80 ans, madame le professeur est une femme qui prend encore soin d’elle, qui observe ce petit monde de la maison de retraite avec un regard ironique et lucide. Avant de quitter sa maison, elle a embarqué le tout nouvel ordinateur portable de l’ami du monstre, elle a pris quelques leçons d’informatique à la maison de retraite, et depuis elle y consigne son journal…
Outre le premier et le dernier chapitres, tout le roman est écrit à la première personne, nous lisons le journal en train de s’écrire, sans date pourtant, juste un récit au jour le jour sur les évènements qui entourent la vie de la narratrice. Celle-ci fait un jour la connaissance de Vova, un jeune adolescent de 16 ans, d’origine russe, à la réputation déjà entamée. Mais avec la vieille femme, Vova se montre attentionné, s’occupe de sortir Cora, la petite chienne de Mme de la professeur. Assez secret sur lui et ses activités, Vova confie cependant, que dans son pays, vivent de belles vaches rouges que l’on trait 3 fois par jour. Il évoque alors de beaux paysages, et une certaine nostalgie pour ce pays lointain qui prend des allures de rêve. Entre la vieille femme et le jeune homme, une amitié se crée, une entre-aide, mais rien de si explicite, rien de certain, car Vova parle peu.
En dehors de ce lien, madame le professeur raconte les visites de la doctoresse, de la coiffeuse, du jardinier colérique, réfléchit sur son éventuel Alzheimer, sur la peur de paraître sénile et d’être dépossédée de ses biens par le monstre, sur le charme du vieux monsieur élégant, sur sa voisine qui s’endort devant la télé hurlante… On partage avec elle l’ennui des après-midi chantant, des plateaux repas qui refroidissent dans le polystyrène … Livre sur la vieillesse, non ! comme le dit si bien la phrase d’Oscar Wilde mise en exergue : La tragédie de la vieillesse, ce n’est pas d’être vieux, mais d’être jeune. Si le corps est défaillant, on sent l’esprit encore alerte de la dame, sa détermination, son humour.
Le rôle de la veuve, de l’épouse du célèbre philosophe privée de son mari, ne me plaît pas du tout,mais il ne m’est sans doute pas permis d’en jouer d’autre. (p.65)
Son cher mari décédé, Silène, en prend d’ailleurs régulièrement pour son grade dans les pages de ce journal.
C’est aussi sans doute, un roman social. Il y a comme une mise en parallèle entre deux catégories sociales et deux classes d’âge : d’un côté la suspicion contre la vieillesse et le spectre d’Alzheimer, de l’autre la suspicion sur ces jeunes émigrés russes en Allemagne. Vova et Mme la professeur, pourtant d’âge et de classe sociale différents, sont, tous les deux, en marge de cette société, rebelle à leur manière, et c’est très agréable !
Enfin, la découverte de l’informatique et d’Internet par une femme de 80 ans est jubilatoire :
J’ai pris mon nouveau livre,que j’étais enfin allé chercher, et me suis assise dans mon fauteuil.Vova a raison : j’aurais pu trouver toutes ces informations sur Internet, mais un livre reste un livre. On tient dans les mains quelque chose que l’on peut saisir par les sens, parfois même savourer. Me mettre au lit avec un ordaniteur ne me viendrait pas à l’esprit. (p.94)
Bref un beau roman à découvrir ! et une couverture qui colle parfaitement à l’esprit du roman !
Merci aux Editions Buchet-Chastel et à Denis L. pour sa confiance.

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