« Affinités » Sarah WATERS – Le Mois Anglais.

Margaret Prior appartient à la bonne société londonienne. La mort de son père et un événement (qui sera clarifié au cours du roman) l’ont laissé fragile nerveusement. Cette nervosité est traitée par des doses de chloral que sa mère lui fait boire scrupuleusement chaque soir. Pour lui changer les idées et l’occuper, M. Shillitoe, ami de la famille, lui propose de devenir bonne dame patronnesse à la prison de Millbank. Margaret accepte et pénètre dans cette prison sombre, humide et sinistre où sont enfermées des avorteuses, des voleuses, des suicidaires… Elle y découvre tout le fonctionnement de ce lieu : la rigueur voire la méchanceté de certaines surveillantes, les conditions du vie des pensionnaires, les couloirs où résonnent sans cesse des bruits de clef et de grilles que l’on ouvre ou ferme. Parmi les femmes auxquelles elle rend visite, l’une attire particulièrement son attention : Selina Dawes. Margaret est touchée par cette jeune fille triste et belle, dont on dit qu’elle est une puissante spirite capable de convoquer les esprits.

Au gré de ses nombreuses visites, Margaret s’insère dans cette atmosphère carcérale si loin de son univers familial dans lequel elle étouffe, entre une mère possessive, une sœur uniquement intéressée par son mariage et son futur voyage de noces en Italie et la femme de son frère, Helen, avec laquelle elle semble avoir un lien trouble. Elle se sent à part dans cette famille, elle qui était très proche de son père. Petit à petit, Selina l’obsède. Ses visites sont de plus en plus fréquentes, et elle apprend son histoire : orpheline, elle fut recueillie par un certain M. Vincy qui exploite son talent de spirite avant d’être hébergée par Mme Brinck. Mais lors d’une séance qui tourne mal, cette dernière meurt et Selina est emprisonnée.

Le récit est composé d’extraits de deux journaux intimes : celui de Selina et celui de Margaret, chacun avec une police différente. Les extraits du journal de Selina vont du 30 septembre 1872 au 3 août 1873, tandis que celui de Margaret débute le 24 septembre 1874 et s’achève autour du 22 janvier 1875. Ainsi, tout en suivant, quasi au jour le jour la vie de Margaret et ses visites en prison, le lecteur a également accès au passé de Selina, avant son arrestation.

Comme dans les autres romans que j’ai pu lire de Sarah Waters (Du bout des doigts et Derrière la porte), il y règne une atmosphère particulière du fait du point de vue interne. La lecture du journal de Margaret nous donne accès à ses pensées et ses réflexions et nous ne percevons les événements présents qu’à travers elle. Le journal de Selina est plus factuel, elle y raconte essentiellement ses séances de spiritisme deux ans auparavant. Le lecteur ne s’en tient donc qu’au récit de Margaret. Bien sûr au fil de la lecture des deux journaux, le lecteur doute : Selina a-t-elle réellement des dons ? Mais, Sarah Waters fait toujours pencher la balance d’un côté plus que d’un autre.

L’autre élément commun aux romans de Sarah Waters est l’amour lesbien. Celui-ci est toujours taxé de déviance, marqué d’interdit. Dans cette Angleterre victorienne, ces amours sont bien évidemment criminelles. Si Margaret se sent si différente au sein de sa famille, c’est bien aussi parce qu’elle se sait attirée par les femmes. Selina devient l’objet de son désir, un désir dont l’auteure décrit la montée de façon subtile et intense. A travers Margaret, Sarah Waters montre également tous les diktats de cette période qui conduit la femme à n’être qu’une épouse, ce que refuse Margaret, elle qui est portée par les arts et la culture. Elle finit par se sentir plus libre durant ses visites à Millbank qu’au sein de son foyer même où elle est épiée par sa mère.

Enfin, et bien que je puisse rien vous en dire sans le déflorer, le dénouement est une vraie révélation que j’ai trouvé tout à fait génial. Jusqu’au bout donc, ce roman tient ses promesses.

Pour le thème « Romancière anglaise » du Mois Anglais, j’avais d’abord opté pour Nancy Mitford et son Tir aux pigeons, court roman que j’envisageais de lire rapidement. Finalement j’ai mis trois jours pour lire laborieusement 100 pages sur 190. Je m’ennuyais à mourir. Etant peu passionnée, je lisais sans lire et je ne comprenais rien par manque d’attention. Je ne regrette donc pas du tout d’avoir abandonné Nancy pour Sarah !

 

 

Lu dans le cadre du Mois Anglais organisé par Titine et Lou.

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9 Commentaires

  1. Je n’avais jamais entendu parler de cette auteure jusqu’à l’écoute du dernier épisode des Bibliomaniacs qui m’a donné envie de découvrir cette auteure (avec également dans le roman dont elles parlent un basculement au milieu du récit). Je l’ai mise sur ma liste…. Ah décidément la littérature anglaise 🙂

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    • J’adore cette auteure, elle a une façon de reconstituer une époque, de créer une intrigue et des personnages passionnants. Je suis sûre qu’elle te plaira.

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  2. J’ai lu Du bout les doigts et Caresser le velours et j’avais beaucoup aimé. Et celui ci est dans ma pal depuis des lustres tout comme Derrière la porte, ton billet donne envie d’y remédier

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  3. Je suis justement occupée à lire Derrière la porte, de la même autrice (je vois que tu l’as lu aussi). Je viens ENFIN de passer le drame : par contre, je trouve que c’est pas sympa de la part de l’éditeur d’en parler dans la 4e de couverture alors que ça arrive au milieu du roman. :/

    A lire ta chronique, je remarque déjà pas mal de similitudes dans les thèmes (mort du père, relation tendue avec la mère, amours lesbiens). Je note ce titre-ci car j’ai lu assez peu de romans qui se déroulent dans le milieu carcéral et celui-ci me semble intéressant.

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    • Je suis d’accord avec toi sur la 4e de couv. je m’étais fait la même réflexion.
      Il toujours (enfin sans ceux que j’ai lus) l’amour lesbien mais c’est vrai que les pères sont aussi souvent absents.

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  4. Conclusion : il faut vraiment que je la lise ^^ Merci, George !

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  5. Comme Bianca, j’ai ce roman dans ma PAL depuis des lustres dans sa belle édition courante (je l’avais reçu dans un swap victorien, justement !). Je suis ravie de lire que c’est un bon cru de Sarah Waters. Ton billet me donne en tout cas très très envie !

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