« L’Oeuvre » Emile ZOLA

Zola l'oeuvreJe m’étais promis un jour, de lire les Rougon-Macquart dans l’ordre. J’avais même commencé en lisant La fortune des Rougon, premier tome de la série, puis j’ai abandonné l’idée, même si j’avais beaucoup apprécié de découvrir l’origine de cette famille littéraire. Mais depuis que j’ai commencé à lire les classiques, dans mon adolescence, j’ai pris l’habitude de les lire selon mon envie, sans forcément choisir d’emblée les romans les plus connus. Pour Balzac, j’ai commencé par Béatrix, par exemple. Pour Zola, ce fut Le Bonheur des dames, offert par ma mère pour mes 15 ans (je crois), puis Le Rêve. Je n’ai toujours pas lu Germinal et si j’ai lu L’Assommoir c’est parce que je l’ai étudié en Première. C’est un conseil que je donne à mes élèves. Lisez les auteurs classiques, mais choisissez les romans qui vous donnent envie, même si ce ne sont pas les plus connus. Balzac, Zola, Maupassant, restent Balzac, Zola et Maupassant, quelque soit le roman qu’ils aient écrit.

Concernant L’Oeuvre, je suis venue à le lire de cette façon-là. Il y a de nombreuses années maintenant. Puis, je l’ai inclus dans mon mémoire de DEA sur le Mythe de Pygmalion et puis, j’ai décidé de le mettre au programme de mes Secondes pour la rentrée. Je dois donc en être au moins à ma troisième lecture, si ce n’est plus. Certes, mais lectures précédentes remontent à quelques dizaines d’années et, si je me souvenais précisément de certaines scènes emblématiques du roman, j’en avais oublié plusieurs autres.

Cette nouvelle lecture fut attentive, crayon en main, lente et passionnante. J’aime Zola et ses contradictions, surtout ses contradictions. J’adore quand il écrit qu’il faut être objectif, scientifique, se méfier de l’idéalisation et du romantisme et qu’il y plonge, pousser par sa plume. J’ai toujours eu l’impression qu’il luttait intérieurement contre sa tentation du romantisme. Or, dans ce roman-ci, Zola se révèle sous son vrai jour.

sand nadarL’oeuvre est un roman autobiographique. Zola se peint sous les traits de Sandoz. Et rien que ce nom me fait sourire ! Car, pour une grande lectrice de George Sand comme moi, impossible de ne pas voir dans ce nom une contraction de SAND + ZOla. Cela est d’ailleurs prouvé. Zola a beaucoup lu George Sand dans sa jeunesse, et dans son roman, s’il ne la cite pas (il ne faut pas exagérer quand même !!!), il cite Victor Hugo ou, en peinture, son admiration pour Eugène Delacroix, et souligne plusieurs fois son attachement au romantisme et sa difficulté à s’en séparer. Mais ce n’est pas la seule preuve. Que ce soit Sandoz ou le maître Bongrand, Claude Lantier, le héros du roman, petit à petit, tend, si ce n’est vers le romantisme, du moins vers le Symbolisme.

Quoiqu’il en soit, ces contradictions ne sont pas les seuls éléments de mon intérêt pour ce roman.

zolapar manetZola nous plonge dans le Paris des premiers peintres de plein air : Courbet, Cézanne, Manet, Monet, voire Caillebotte. Il raconte la lutte de Claude Lantier, fils de Gervaise et frère de Nana, pour imposer cette nouvelle conception de la peinture, pour rompre avec la peinture académique du Salon. On suit donc le destin de Claude, du premier Salon des Refusés, en 1863 jusqu’en 1876 (petite entorse au projet de Zola qui était de ne pas dépasser 1870.). Sa difficulté à créer, à rendre compte de la réalité, à donner vie à ses figures et notamment aux femmes qu’il peint. Si Claude s’enlise dans ses créations, Sandoz, double de Zola, tente lui aussi de rendre compte de la réalité du Second Empire à travers ses romans. Dans plusieurs passages, Zola parle à travers son double littéraire et expose ses théories naturalistes. Il se peint sous son meilleur jour et raconte son ascension, son embourgeoisement avec une certaine complaisance même.

Le regard que porte Zola sur ce monde des peintres est cependant quelque peu pessimiste. Autour de Claude, gravite d’autres peintres et un sculpteur. Chacun va choisir sa voie, soit en restant fidèle à ses convictions soit en les reniant pour pouvoir faire fortune. A cela s’ajoute les allusions aux marchands d’art, les vrais amoureux de l’art et les spéculateurs qui profitent de la situation.

Mais l’autre grand intérêt de ce roman est la place centrale faite à Paris. La ville devient un vrai personnage : décrite, parcourue en tout sens, peinte, la ville est présente à presque chaque page et hante Claude comme une amante inaccessible. En lisant, j’avais envie de me balader dans Paris sur les traces de Claude (et d’ailleurs je compte bien le faire). L’Île de la Cité, centre du centre, est notamment particulièrement mise en avant dans le roman : décrite à des saisons différentes, sous des ciels différents. Les descriptions deviennent picturales et Zola excelle dans celles-ci. On sent alors sa fréquentation des peintres, sa capacité à faire ressortir les couleurs, les effets de lumières.

ile-de-la-cite-notre-dame-1900

 Enfin, L’oeuvre est aussi un roman à clef, mais il serait bien dommage de le réduire à cela. Certes, Zola raconte son enfance à Aix (Plassans dans le roman), son amitié avec Cézanne (dont il s’inspire entre autre pour créer son personnage de Claude ce qui entraînera leur rupture, Cézanne ayant été blessé d’être incarné dans ce peintre qui échoue), certes le tableau de Claude Plein Air est bien proche du Déjeuner sur l’herbe de Manet, certes Sandoz pose pour Claude comme Zola a posé pour Manet, mais ce n’est pas le plus important.

Gervex une séance au salon

Je pourrais aussi vous parler des principes naturalistes présents dans ce roman : la puissance de l’hérédité qui handicape Claude, les scènes qui évoquent le sexe, la prostitution, le vice des femmes et qui durent offusquer les petits bourgeois de l’époque, les références à la modernité de l’époque (le train, les architectures en fer, le Paris Haussmannien, le mouvement des rues parisiennes), etc.

Il y aurait tant à dire ! et c’est bien le propre des classiques, ils sont inépuisables ! Il faut les lire et les relire pour les saisir et c’est ce que j’aime, tout ne nous est pas donné dès la première lecture comme dans certains romans contemporains.

 Lu dans le cadre du Plan Orsec 2015

plan orsec 2015

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30 Commentaires

  1. Je l’ai lu pour l’enseigner, il faudra que je le relise. Zola a été très déçu par les impressionnistes (qui ne faisaient pas la grande peinture naturaliste dont il rêvait) qu’il n’a absolument pas compris. Mais ce roman donne une très bonne idée de l’accueil réservé à Manet au Salon !

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    • J’aime l’ambiance artistique de ce roman. Cependant il en ressort un esprit assez pessimiste, une idée d’échec, mais on a un peu l’impression de revivre l’effervescence artistique de cette époque.

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  2. L’Oeuvre : quel merveilleux roman ! Un des plus beaux des Rougon-Macquart pour moi ! Une amie s’est lancé le pari fou de le faire avec ses 4e cette année et ça a plutôt bien fonctionné ! Je suis sûre qu’il en sera de même avec les 2nde. C’est bon, comme tu le dis, de les inciter à découvrir des classiques de derrière les fagots aussi. Moins connus certes, mais tout aussi savoureux que les titres canoniques.

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  3. Celui-là je ne l’ai pas lu mais j’aime beaucoup Zola, découvert avec L’Assommoir. Comme toi j’ai songé les lire dans l’ordre mais je ne l’ai finalement pas fait. Il faudrait tout de même que je replonge dans ses oeuvres !

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    • En fait j’ai du mal avec certains romans de Zola que je trouve excessivement noirs. Je préfère ceux qui sont moins misérabilistes comme « La Curée » ou « Au bonheur des dames ».

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  4. Ce roman est magistral, l’un de mes préférés de Zola. La scène qui m’a le plus marquée, voire bouleversée, c’est lorsque Christine se contraint à poser pour Claude, par dépit, par jalousie envers les autres femmes, mais surtout par amour.
    Un très beau roman, mais très dur aussi.

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    • Le personnage de Christine est en effet très beau. Une femme amoureuse qui lutte contre cette peinture qui tue son homme. « L’oeuvre » fait aussi partie de mes romans préférés de Zola.

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  5. J’aime beaucoup Zola. Je l’ai découvert avec l’Assommoir, puis Nana, La Bête humaine, La fortune des Rougon, sans ordre spécifique. Il y a deux jours j’ai terminé Son Excellence Eugène Rougon. J’aimerais aussi lire tous les Rougon-Macquart ! Merci beaucoup pour ton analyse, ça me donne envie de lire l’Oeuvre, je le note dans le prochain Zola à lire. Ce que j’aime, c’est que chaque volume nous plonge dans un domaine et milieu particulier.

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    • J’aime beaucoup « Nana » et j’ai hésité à le faire étudier à mes futurs secondes à la rentrée, mais il m’a semblé que « L’oeuvre » permettait d’étendre l’étude plus facilement à l’art de cette époque. Et puis l’histoire d’une prostituées ça risque de faire parler dans les chaumières 😉 !

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  6. Je n’ai pas lu L’œuvre de Zola mais j’aime cet auteur. J’ai lu les Rougon-Macquart mais pas dans l’ordre hélas.

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  7. Laure Micmelo

     /  juillet 14, 2015

    Je m’étais dit également que j’allais lire les Rougon-Macquart dans l’ordre, et j’avais même l’intention de le faire prochainement ! Bon, d’ici là, je lirais peut-être avant l’Oeuvre, ça me dit beaucoup, beaucoup, beaucoup 🙂

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  8. Je les lis dans l’ordre mais à mon rythme, sans pression, j’ai quand même hâte de découvrir celui-ci.

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  9. Je n’arrive pas à lire des classiques… J’ai un blocage…. pourtant j’ai envie et j’en ai certains (qui me font envie), mais j’arrive pas à franchir le pas… *Anne*

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  10. Aelys

     /  juillet 16, 2015

    « Lisez les auteurs classiques, mais choisissez les romans qui vous donnent envie, même si ce ne sont pas les plus connus ». Un merveilleux conseil !

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  11. estellecalim

     /  juillet 16, 2015

    Ah là là ! Que j’ai aimé ce roman ! Je ne me souviens pas de tout ce que tu en dis, mais je sais que c’est mon préféré et que je le relirai un jour 🙂

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  12. Giny

     /  juillet 17, 2015

    Je pensais les avoir tous lus (et dans l’ordre) mais j’ai dû louper celui ci, il ne me dit rien.
    En tous cas ton article est très riche.

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  13. Ah, L’Oeuvre… mon premier Zola, lu il y a deux ans seulement! (ou trois?)
    Depuis je m’attelle aux Rougon-Macquart, mais dans le désordre 😉

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  14. Ce n’est pas forcément mon favori mais j’avais apprécié les contradictions de l’artiste, ses compromis dans un monde où l’or règne en maître. Peut-être faudrait-il que je le relise un jour !

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  15. J’ai adoré ce roman de Zola.
    Unelittéraire.

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