Katya a 16 ans, elle est embauchée comme nounou durant l’été dans une station balnéaire, Bayhead Harbor, dans le New Jersey. Elle s’occupe des enfants du couple Engelhardt, nouveau riche, assez désagréable et soupçonneux envers Katya. Alors que Katya admire une vitrine de dessous, elle se fait accoster par un homme de 68 ans, poli, respectueux, d’allure élégante. Ses phrases un peu désuètes amusent la jeune fille, mais elle reste méfiante. Élevée dans une famille qui ne l’a jamais valorisée, abandonnée par son père dans son enfance, elle a grandi entre une mère ayant sombré dans l’alcoolisme et le jeu, dans une petite ville de province sans intérêt où ses amours se résument à violence, et drogue. Mais Katya est une jeune fille à la fois naïve en quête d’amour, et déjà consciente de la noirceur de l’existence : la concupiscence, la soumission de la femme aux désirs masculins, le mépris des classes riches. L’attention et le respect de Mr Kidder envers elle, la flatte. Mr Kidder l’invite chez lui à plusieurs reprises. Il jouit d’une aura prestigieuse : artiste, écrivain, homme d’affaires reconnu à Bayhead Harbor, riche, il propose à la jeune fille de poser pour lui. Si la jeune fille est séduite, elle ne se départ pas d’un sentiment de malaise : Mr Kidder est-il un homme respectable tombé sous le charme de Katya ou n’est-il qu’un vieux pervers ?
On ne peut bien sûr s’empêcher de penser à Lolita de Nabokov. Le roman de Oates est cependant plus ramassé, et comporte moins de péripéties. Il se borne à cet été à Bayhead Harbor et est circonscrit entre la maison des Engelhardt et la maison ou plutôt l’atelier de Kidder. Oates raconte la fascination réciproque de Katya et Kidder, mais une fascination intéressée. Katya se laisse manipuler par Kidder pour obtenir de l’argent, Kidder voit en la jeune fille le moyen de créer une dernière toile et un amour ultime et fatal. Chacun se sert de l’autre ce qui crée une tension malsaine entre eux, quelques scènes de rébellion de la part de Katya et en même temps une soumission à cet homme qui reconnaît enfin en elle une beauté et des capacités artistiques.
Oates teinte son roman d’une atmosphère enfantine : les livres pour enfants et une légende ancienne. Katya est à un âge charnière : sortie de l’enfance et de l’innocence et début de l’âge adulte et de la sexualité. Son amour tendre pour la petite fille des Engelhardt, est une tendresse qui la renvoie à sa propre enfance volée, ne voit-elle pas en Tricia ce qu’elle aurait pu vivre : une enfance douce, protégée du monde des adultes et de la dureté de la vie. L’enfance et son innocence sont au cœur de roman, tout comme l’est aussi la vieillesse, la décrépitude, la maladie et peut-être le vice. La différence d’âge est aussi beaucoup plus importante dans le roman d’Oates que dans celui de Nabokov, pourtant, si parfois Katya assimile Kidder à son grand-père, le désir sexuel de Kidder pour Katya est sans ambiguïté.
J’ai trouvé ce roman assez différent des autres romans que j’ai pu lire d’Oates : moins de réflexions, moins de densité. Il se lit vite, un peu comme un conte, une légende, une mise en abyme de la légende racontée par Kidder vers la fin du roman, cela m’a un peu déçue au début, mais finalement ce roman a aussi sa propre richesse, et surtout entraîne une réflexion qui se poursuit une fois le livre refermé. On sent chez Katya une solitude, une errance, une recherche d’identité et une révolte, une volonté d’exister quitte à profiter, à franchir la barrière du respectable. Elle oscille entre une attitude fière et une faiblesse qui lui fait tout accepter, entre ce qu’elle aimerait être et ce que son milieu voudrait qu’elle soit, comme une fatalité à laquelle elle ne pourrait se soustraire. Son innocence est à la fois sa force et sa faiblesse, son besoin d’amour, que Kidder semble avoir bien compris et dont il se sert, comme il se sert aussi de son argent pour la rendre dépendante, est sa principale faiblesse ; sa force, quant à elle réside dans cette révolte qu’elle nourrit contre le mépris des hommes surtout.
Mr Kidder est plus difficile à cerner, plus énigmatique et vu essentiellement à travers les yeux de Katya. Son nom est établi sur un jeu de mot, puisque kid renvoie à « enfant », mais kidder, signifie également « blagueur » comme l’indique la traductrice en note. Cette précision a son importance, sans doute, et fait du vieil homme un personnage, comme le titre l’indique, bien mystérieux. Son passé est peu expliqué, il refuse de répondre aux questions de Katya qui sont aussi des questions que le lecteur se pose. Étrangement j’ai pensé à Barbe-bleue. Les portraits de femmes accrochés dans son atelier m’a entraînée dans la chambre cachée de Barbe-Bleue, là où ses anciennes épouses sont pendues. Mais rien ne nous est vraiment dit sur les rapports qu’a entretenu Kidder avec toutes ces femmes peintes : tableau de chasse ou recherche artistique ?
C’est un roman sombre, qui, comme souvent dans les romans d’Oates, entraine un certain malaise, mais un roman qui parle de l’adolescence, cette période de tous les dangers, cet âge souvent mal vécu et qui pourtant représente l’apogée de notre vie.
Roman lu dans le cadre du Challenge Joyce Carol Oates, du Challenge Amoureux saison 3 (cat. Amours contemporaines) et du Challenge Ô vieillesse ennemie.
sabbio
/ avril 3, 2013Une lecture encore une fois bien particulière, donc. Par contre l’adolescence comme apogée… je ne suis pas certaine d’être d’accord…
les Livres de George
/ avril 3, 2013Oui c’est vrai que quand on la vit cette adolescence elle nous paraît bien cruelle mais cette période reste quand même une période très nostalgique, je trouve.
Pooky
/ avril 3, 2013quelle idiote
je lis via mon tel et que vois-je « le mystérieux Mr kiNder » et j’imagine déjà un 200 pages sur « comment choisit_il les surprises » etc.
je préfère m’être trompée!
merci pour te sélections « fines » et élégantes…
les Livres de George
/ avril 3, 2013😀 ! moi ça me fait rire, vas savoir si elle n’y a pas pensé 😉 !
Merci !
valou
/ avril 3, 2013ce n’est pas un sujet simple, les histoires d’inceste, et tout ce qui se rapproche de près ou de loin à ce thème, me font frêmir… ça me rappelle le seul livre de Oates que j’ai lu jusqu’à présent… « Premier amour »… je préfère me faire une autre idée d’elle, plutôt que de relire sur le même thème !
les Livres de George
/ avril 3, 2013Ce n’est pas de l’inceste dont il est question ici, et tout est dans la suggestion. Comme je le disais dans les commentaires j’évite ses textes courts que je trouve plus violents donc je n’ai pas lu « Premier amour ».
Titine
/ avril 3, 2013Je ne connaissais pas ce roman de Oates, mais elle en a écrit tellement ! D’ailleurs je n’aime pas toujours ce qu’elle écrit (je me suis terriblement ennuyée avec « Les chutes ») et j’hésite dans le choix de ses romans.
les Livres de George
/ avril 3, 2013Il vient de sortir ! Tu t’es ennuyée avec « Les chutes » ? j’ai beaucoup aimé de mon côté, mais Oates est spéciale et je comprends très bien qu’elle ne plaise pas, elle aborde des thèmes souvent difficiles.
yuko
/ avril 3, 2013Un Joyce Carol Oates que je ne connais pas mais dont les thèmes ressemblent à ceux qu’elle aime d’ordinaire traiter. Est-ce que le thème ressemble à « premier amour »?
J’ai moi aussi rédigé une critique sur un autre de ses livres aujourd’hui : Zombi. L’as-tu lu ?
http://art-enciel.over-blog.com/article-zombi-de-joyce-carol-oates-116770539.html
les Livres de George
/ avril 3, 2013Oui il vient juste de sortir en fait ! Je n’ai pas lu « premier amouré, j’ai un peu plus de mal avec ses textes courts. J’ai lu ton billet sur « Zombi » et comme je te le disais en commentaire je ne l’ai pas lu mais le sujet me plait assez !
Yuko
/ avril 4, 2013J’espère qu’il parviendra à plus te convaincre que moi.. qui sait, on en reparlera peut-être 🙂
les Livres de George
/ avril 4, 2013Si je suis amenée à le lire nous en reparlerons volontiers !
Giny
/ avril 3, 2013Effectivement, pas un sujet très facile.
Tu as bien commencé à tenir ton planning d’avril, félicitations !
les Livres de George
/ avril 3, 2013Merci ! Demain je serai seule chez moi, je devrais donc pouvoir finir mon deuxième livre !
cartonsdemma
/ avril 3, 2013J’ai eu beaucoup de mal avec les romans de Oates pour l’instant. Je retenterai probablement mais quand?
les Livres de George
/ avril 3, 2013Je te comprends, on est toujours un peu mal à l’aise avec les thèmes qu’elle aborde, mais c’est tellement bien fait ! elle ne tombe jamais dans les clichés ou dans la facilité.
Bianca
/ avril 3, 2013C’est une auteure que je n’ai pas encore osé lire, ses sujets semblent assez ardus, je commencerais sans doute par Blonde !
les Livres de George
/ avril 3, 2013« Blonde » est mon roman préféré de Oates, pour son sujet, mais aussi pour son écriture et sa façon dont elle aborde le thème de la femme, de la beauté, du désir ! Il n’est pas facile à lire cependant, notamment le début qui est très angoissant, mais j’espère qu’il te plaira.
evilys2angel
/ avril 3, 2013Encore un thème ambigu qui mets un peu mal à l’aise. J’ai l’impression que c’est souvent le cas chez Oates. Mais elle excelle tellement bien dans ce créneau là…
les Livres de George
/ avril 3, 2013Oui Oates prend toujours des thèmes en marge qui peuvent mettre mal à l’aise mais elle sait ne pas tomber dans le glauque.
denis
/ avril 3, 2013j’aime beaucoup cette auteure et ne connais pas ce roman à découvrir
les Livres de George
/ avril 3, 2013Il vient de sortir en France.
will
/ avril 3, 2013Et un Oates de plus a ajouter à la lonnnnnnngue liste de son oeuvre monumentale. C’est l’un de ses derniers romans parus en France, je crois, donc j’ai le temps de l’acquérir.
les Livres de George
/ avril 3, 2013J’ai eu la chance de pouvoir le recevoir, quand c’est Oates, je ne suis obligée de dire oui.
will
/ avril 3, 2013Je te comprends parfaitement.
Violette
/ avril 3, 2013Je ne connais pas du tout celui-ci…. Quand l’a-t-elle écrit?
les Livres de George
/ avril 3, 2013Il vient juste de sortir en France en fait !
Valérie
/ avril 3, 2013j’avais bien aimé ce roman que j’avais trouvé en Angleterre. Malgré le thème, il n’est pas malsain même s’il est bien sûr gênant.
les Livres de George
/ avril 4, 2013Oui c’est ça elle ne tombe jamais dans le glauque même si les thèmes qu’elle aborde sont toujours difficiles.
zazy
/ avril 3, 2013J’ai commencé de lire un livre de cette auteures, « Chutes » je crois et…… j’ai démissionné, cela ne m’a pas plu du tout
les Livres de George
/ avril 4, 2013Les romans de Oates et notamment celui-ci sont assez particuliers, elle lance souvent plusieurs pistes qui se recoupent ensuite. Le début des Chutes peut être assez déstabilisant mais la construction de ce roman et l’analyse des personnages sont vraiment fabuleux, c’est un de mes romans préférés de Oates après « Blonde » mais là on parle d’un chef d’œuvre !
Mrs Figg
/ avril 3, 2013Bonjour ! Je crois que c’est mon premier commentaire mais je lis très régulièrement et attentivement ton blog depuis quelques semaines. Je n’ai lu ton billet qu’en diagonale car j’aime beaucoup JCO et je compte bien lire rapidement celui-ci et une de tes remarques (sur le monde du conte) m’en donne encore plus envie …
les Livres de George
/ avril 4, 2013Bonjour, merci pour ce premier commentaire et pour cette attention à mon blog.
J’espère que ce roman te plaira et que tu viendras me dire ce que tu en as pensé ! bonne lecture, à bientôt.
novelenn
/ avril 3, 2013Tentant, je le note, rien que pour la période charnière entre l’adolescence et l’âge adulte.
les Livres de George
/ avril 4, 2013J’espère qu’il te plaira.
Mango
/ avril 4, 2013C’est curieux mais j’ai beaucoup aimé « Les chutes » . Si j’avais le temps, je lirais tout JCOates mais j’y pense et puis j’oublie. J’ai encore son journal à lire; Je ne connaissais pas celui-ci. Je sens qu’il me plairait bien. Quand c’est bien écrit, aucun thème ne me fait fuir!
les Livres de George
/ avril 4, 2013Moi aussi j’ai beaucoup aimé « les chutes », il fait partie de mon trio gagnant avec « Blonde » et « nous étions les Mulvaney ». J’ai vraiment envie cette année de lire les Oates de ma PAL, il y a une petite dizaine je crois, donc j’ai de quoi faire et j’attends avec impatience la sortie en poche de son journal qui sera la cerise sur le gâteau.
Natiora
/ avril 4, 2013J’aime beaucoup Oates, donc forcément, même si ce roman dénote par rapport aux autres, je note !
les Livres de George
/ avril 4, 2013ça reste du Oates mais peut-être moins analysé que les autres romans que j’ai pu lire d’elle.
Syl.
/ avril 4, 2013Je ne pense pas lire ce roman. Je n’aime pas trop ce rapport que tu décris. Je passerai donc à un autre titre !
les Livres de George
/ avril 4, 2013Je comprends certains thèmes chez moi aussi font que j’évite certains romans.
metaphorebookaddict
/ avril 4, 2013Je ne sais pas si je vais le tenter celui là,
Je l’ai rajouté aussi au challenge 🙂
les Livres de George
/ avril 6, 2013Dans ce roman la vieillesse est en effet vue sous un angle assez particulier et peu reluisant !
Merci ! Tu le renouvelles ton challenge ? parce que j’ai encore plein de lectures sur ce thème que je trouve passionnant !